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NOTES SUR LE COURAGE

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Autant de différentes sortes de sensibilités, autant de sortes de courages.

Remy de Gourmont a dit: «Le courage se mesure sur la sensibilité.» Mais la sensibilité, sur quoi se mesure-t-elle?

Rien n'a l'air aussi simple ni n'est aussi complexe—et souvent faux—que les différenciations et classements.

«Courage physique»: les animaux sont courageux pour un besoin; les hommes sont courageux pour les mêmes raisons, ou par besoin de le paraître: courageux par peur.

«Courage moral»: et ses excès, intrépidité, fanatisme, amour du danger, etc...

L'excès est un attribut du courage, mais la prudence, et même la peur ne sont pas incompatibles avec un certain courage:

«Oh! mon Dieu, que cette coupe puisse m'être épargnée!»

On peut être courageux à contre-cœur et sans entraînement ni exaltation, pour ainsi dire en contradiction avec soi-même, ayant mis son courage, son but ou son plaisir dans autre chose. Ceux qui aiment la guerre manquaient d'un amour ou d'un sport adéquat, manquaient de l'art de vivre. C'est une calamité, pire, un dérangement, pour ceux qui ont trouvé.

Redevenir anonyme: prendre sa place dans l'épopée.

Lovelace, en partant combattre, dit à sa belle cette parole peu consolante pour elle: «I could not love you, dear, so much, loved I not honour more.»

Ce sophisme rend évident qu'il préférait la griserie de la bataille incertaine aux ébats d'un amour triomphant. C'est toujours humiliant de se voir préférer même l'honneur et c'est d'un Don Juanisme peu galant de le clamer.

L'homme, qui a une tendance à accepter les sentiments tout faits et qui les préfère même résumés en clichés, trouve dans le mot: honneur, une incitation au courage. Ce mot, sans autre excuse, masque presque toujours un intérêt parfois collectif ou simplement une des voluptés de la haine. Les femmes, plus véridiques en ce qui est essentiel, souvent le dédaignent.

On dit des Anglais, qu'ils se laissent tuer «comme des mouches».

S'exposer est souvent un manque de prévoyance plutôt qu'un signe de courage: ne pas craindre un obus sur la tête prouve une atrophie de l'imagination.

On peut aussi être cité à l'«Ordre du Jour» sans pour cela être un héros. A la guerre surtout, il y a la bravoure par entraînement, par inadvertance, sans réflexion ni choix, «la fuite en avant». Il faut en certains cas, un grand courage pour déserter—y être tenté et résister, se surmonter et surmonter l'instinct de la préservation, pour un but collectif et peut-être douteux, s'offrir résolument et consciemment en sacrifice, par esprit de corps, par esprit de pays ou par esprit de rien, est peut-être plus courageux que de ne jamais peser l'inutilité du risque.

Napoléon n'a-t-il pas dit que l'homme le plus courageux fut, selon lui, un soldat belge mort de peur à son poste?

En temps ordinaire il est difficile d'être courageux sans être trop remarqué; la guerre permet qu'on le soit d'une façon qui passe à peu près inaperçue.

Abdiquer de soi.

«They also serve who simply stand and wait.»

—Rôle de la femme pendant la guerre, courage muet, presque inactif, rempli seulement à faire silencieusement et sans honneurs de petites besognes navrantes: voir blessé ou mort ce qu'elle avait créé vivant, bien portant, et devant ce gâchis se donner encore, se donner toujours; sa tentation, son instinct, comme celui de l'homme de se battre, courage égal, mais le sien passe inaperçu d'être ce qu'on appelle naturel, cela rabaisse son courage à un rang animal, dont l'homme se différencie en combattant pour un idéal, pour une fausse valeur, ou pour le plaisir.

Suivre sa personnalité, le «to thine own self be true» d'Hamlet; mais j'oppose à cela cette vérité: «Céder à certaines tentations demande un terrible courage.»

L'être courageux n'est pas celui qui a fait une chose courageuse; mais dont toute la vie a été une chose de courage.

Admettre une idée, toutes les idées incitatrices au courage.

Leur courage est d'autant plus admirable qu'il est individuel et non collectif.

Je propose une croix civile pour ceux qui n'ont ni recherché, ni fui trop ardemment le danger,—pour tous ceux qui ont supporté la guerre avec un ahurissement sobre et sans paroles.

Qui ne se sont pas rués vers des besognes pour lesquelles ils étaient impropres.

Qui ont pris des coupons de l'Emprunt, et porté leur or au Trésor, sans espoir de le revoir jamais.

Qui n'ont pas recherché un brassard, ni un accoutrement, ni une occupation de guerre.

Qui, sous des prétextes fallacieux, n'ont pas essayé de voir le front, mais qui, avec sérénité, ont attendu ou créé la chose qu'ils pouvaient faire avec compétence.

En attendant que l'humanité redevienne humaine—le rester; garder un équilibre civil et personnel, dans le désarroi et l'ennui, est faire acte de bon citoyen, ce qui, égalant une croix de fer ou de bois, est une distinction en soi.

«Gloire à notre France immortelle, Gloire à ceux qui sont morts pour elle, Aux martyrs, aux vaillants, aux forts, A ceux qu'enflamme leur exemple, Qui veulent place dans le Temple. Et qui mourront comme ils sont morts.»

Monotonie de l'héroïsme, prestige de l'uniformité...

Ne sortiront-ils jamais de ce cercle de mort que chaque génération lègue, sous forme de service militaire, à la génération suivante?

Marraine d'un inconnu? J'aurais trop peur de ne pouvoir le négliger comme un ami.

Une jambe ou un bras de moins est devenu un insigne moral,—on les reconnaît par ce qui leur manque.

Ne reculons pas avec notre temps. Il ne suffit pas que les réalités soient pour avoir raison.

J'exulte de n'être d'aucune utilité.

Les soldats sont des figurants exaltés parfois, obligés toujours de suivre le char de César.

Si l'esprit se soumet, il n'est pas nécessairement en «déroute».

C'est parce que vous n'aimez pas la vie,—la vie qu'il faut travailler comme une belle matière ingrate—que la guerre vous enchante.

«Ne pas se boucher le nez devant l'épopée.»

—Ni la renifler non plus, comme une hyène affamée.

«C'est aussi un peu grosse caisse, terne carnaval horrifique, mêlez-y vos fifres subtils, et de plus près! (la belligérante est à Nice).

Vous attendez d'être émue pour une France «suppliciée».—C'est vous qui êtes distraite, il vous faut donc l'épreuve pour voir, aimer, savoir? L'épopée est continuelle... C'est la vie qui est la grande aventure guerrière.

Et il en sera comme pour madame de Genlis qui, dans ses «Mémoires», déplore la Révolution française parce que, lors d'une émeute, son cabinet d'histoire naturelle a été bousculé, et qu'on lui a dérobé une sardoine de grand prix.

Pensées d'une amazone

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