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LES SEXES ADVERSES, LA GUERRE ET LE FÉMINISME

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«Il s'agist donc de savoir si en ce temps et dans l'estât où sont les affaires, il est à propos qu'une fille s'applique entièrement à l'estude des bonnes lettres et en connoissance des arts et sciences. Quand d moy je suis pour l'affirmative, je tiens qu'elle le peut et le doit faire, et il me semble que pour prouver ce point j'ay des raisons considérables.»

Anne-Marie Schurmann, 1646.

«NÉRISSA: Comment aimez-vous ce jeune Allemand neveu du duc de Saxe?

«PORTIA: Il me plaît très piètrement le matin quand il est sobre, et encore moins l'après-midi quand il est ivre. A son mieux il est un peu pire qu'un homme, et à son pire un peu mieux qu'une bête.»

... Il est vrai que Portia—qui savait juger—ne juge guère avec plus d'aveuglement le jeune baron anglais, ni le comte italien, ni le lord écossais, ni le gentilhomme français!

Ne plus nous apercevoir avec une justesse terrible de tout ce qu'ils ne sont pas.

Ils ne vous octroient que cette destinée de cassette, de loterie.

Pour juger d'un homme, sortez-le de son milieu; pour juger d'une femme, donnez-lui le sien.

—Elles sont si adaptables qu'on n'a jamais songé à leur faire une place.

Trop puritaines pour Vénus, trop frivoles pour Minerve, trop découragées pour Junon, leur intelligence semble cependant mériter une destinée...

N'être plus réduites à se marier pour se faire une situation.

Le mariage, une fausse valeur.

La maternité? L'enfant aussi limite à lui la femme,—et puis la délaisse.

Leur rancune ne venant que de leur superlative attente...

Leur rôle est si ingrat qu'il ne leur reste qu'à faire un sort à chacun de leurs silences.

Elles sont pourtant plus sensées que leurs chapeaux.

Découvrir leur front serait perdre leur dernière pudeur.

Si Œdipe, au lieu de répondre aux questions du sphinx, lui en eût posé? Mais, homme, il fut flatté qu'une femme aussi mystérieuse lui adressât la parole pour lui demander une futilité qu elle savait,—et il perdit, comme tant d'autres, l'occasion de s'instruire en lui répondant que son énigme était l' «homme»; mais l'énigme de la femme?

On entend encore: «Il sait parler aux femmes!»—mais celui qui saurait les faire parler?

Beaucoup ont trop renoncé à leur instinct pour avoir une sensibilité juste; d'autres, trop sensibles, n'ont pu céder à leur instinct.

La jalousie de leurs amants les contraint plus encore que la surveillance sans intuition de leurs époux.

Même les heureuses vivent dans cette cage, suspendue au-dessus de la vie,—ô monde vu au travers!

Ces petits noms de femmes et leurs diminutifs, comme pour les réduire encore davantage, les faire entrer dans cet état de pitié tendre que sont leurs meilleurs mariages.

Dans le mariage le moindre domine. Est-ce pour cela que le mariage est régularisateur?

Ne nous laissons pas choir à la légère: l'étreinte égalise.

Leur corps, arbre fruitier que leur démarche balance...

Et je songe à une stèle vue autrefois chez un peintre nippon: «Plus ses racines sont profondes, plus les fleurs sont légères.»

—On dit: il faut «se conformer».

Je ne me suis jamais conformée et pourtant je suis.

Quel enseignement pourtant, ô femmes, dans l'énigmatique douceur de cette déesse indienne: Son corps doré s'entoure de chaînes, et, d'une main elle fait le geste précis de l'éternité, laissant l'autre offerte à la vie.

Se venger, en ne leur donnant de soi que ce qu'ils veulent:

On dit que l'homme est triste après l'amour,—mais la femme l'est peut-être avant, pendant et après.

Jusqu'aux animaux en rut clament leur malédiction à la nature.

Ces mères—vierges nostalgiques de l'amour qu'elles n'ont pas connu.

Certaines femmes sont d'une si lente maturité sensuelle, qu'en devenant des mères, elles le restent à jamais.

Il est inadmissible que celles-ci surtout n'aient aucune voix dans les lois disposant de leur double destinée.

Seules celles qui créent péniblement la vie en connaissent assez le prix pour ne pas la gaspiller.

La guerre—cet accouchement de l'homme.

—Ils enfantent la mort, comme elles la vie, avec courage, inéluctablement.

Il reste aux femmes d'être leurs sages-femmes, des sœurs de charité, des marraines ou des témoins—en attendant.

«La patrie est une mère». Un gangréné dit: «Elle nous arrange bien, notre mère!»

Quand la patrie aura l'intuition, l'initiative, les appréhensions, les soins et les désintéressements d'une mère, on pourra peut-être là sauver des calamiteuses négligences des conseils d'hommes.

Est-ce par un sentiment de compensation et de restitution qu'un buste de femme réduit à l'état de bronze, préside dans vos palais de Justice, mairies...?

On accorde aux femmes des qualités d'astuce, d'intuition, de ruse et d'adresse supérieures si souvent à celles des hommes, pourquoi ne leur accorderait-on pas la possibilité de s'en servir au profit de l'État, au ministère des affaires étranges, etc...?

La diplomatie est une carrière éminemment féminine et dont les hommes s'acquittent assez mal, puisqu'en quarante ans, ils n'ont pas su se concilier une ennemie voisine, ni obliger qu'on se munisse suffisamment contre elle.

Et vous, sceptiques, à présent que les événements sont descendus au niveau de vos attentes, à présent que rien ne saurait être pire, que risquez-vous en admettant aux contreverses du gouvernement, madame ou mademoiselle Ubu? Voilà la légitime, la raisonnable et familiale trinité.

Le féminisme ne peut être une question de sexe, puis que le Français est plus femme que l'Anglaise.

Les femmes s'étonnent que, seul, le monde officiel ne paie pas ses erreurs assez cher, elles qui sont habituées à payer leurs fautes plus qu'elles ne valent.

Pourquoi ne citerait-on pas à l'ordre du jour les méfaits et négligences politiques?

—Mais qu'est-ce qui a montré les femmes dignes d'occuper de tels postes?

—Et vous-mêmes?

On ne saurait assez souligner qu'un Etat, composé et gouverné par des hommes, ne pourra jamais représenter ou suppléer la moitié du genre humain.

Adopter le Home Rule dans son sens universel.

Les rôles de Judith et de Cléopâtre sont démodés,—on n'a trouvé personne pour l'emploi.

Nous pouvons mieux que de conquérir le conquérant.

Toutes ces femmes de l'arrière, casquées comme des Amazones—désarmées.

Il faut libérer l'homme de l'homme.

«Le couple», où donc le placez-vous? sinon en tout, partout, avec son double droit de vie et de mort sur le monde—ensemble consenti? Reprenant le thème, de Lysistrata de plus haut, éclairer le vrai sexe ennemi, en lui rappelant que la vie est en nous, et qu'il détruit l'œuvre de la femme sans son consentement,—par ce suicide involontaire, collectif, ordonné aux mâles.

«Cette illustre amazone instruite aux soins de Mars Fausse les escadrons et brave les hasards. Vêtant le dur plastron sur sa ronde mamelle, Dont le bouton pourpré de grâces étincelle, Pour couronner son chef de gloire et de lauriers, Vierge, elle ose affronter les plus fameux guerriers.» ENEIDE, traduction de Marie de Gournay.

Il est temps que les Amazones ne se fassent plus féconder par l' «ennemi»—et l'ennemi n'est-il pas celui qui prendra à la femme son enfant, pour l'élever ou le tuer à sa guise?

Il n'y a pas de sexe ennemi; l'ennemi de l'homme, c'est l'homme.

Que tous ceux, purifiés par le feu, s'approchent de nos foyers solitaires: nous serons mieux que l'épouse, la mère ou la sœur d'un homme, nous serons le frère féminin de l'homme.

Femmes belles, vos visages éclairent comme des lampes d'albâtre fardé, votre jeunesse est déjà une jeunesse d'art et encore une jeunesse de lumière.

Douce lampe de Psyché, ne brûlez pas l'amour endormi,—éclairez-le.

Ne considérer leurs mains sur vos yeux que comme des pétales plus vivants? des fleurs, rien que des fleurs odorantes, fraîches, et qui se défont—et qui se défont aussi de vous, car vous n'avez su que les prendre, vous n'avez pas su les porter.

Vous acceptez leurs fleurs,—mais comment les jeter?

«Vieillir en beauté», est-ce vieillir de cette vieillesse sans prestige et sans défense des fleurs fanées?

La fin des femmes est encore plus navrante que la fin des fleurs.

Au lieu de se plaindre du bavardage envenimé des femmes vieillissantes, trouvez-leur donc une autre occupation.—La ligue contre la médisance ne suffit pas.

Quand arrive l'âge de ne pouvoir «créer des scandales», elles les répandent.

Pour cacher leur navrement, elles disent: «Renonçons enfin à la servitude de devoir plaire. On n'est guère libre qu'à 6 ou à 60 ans.»

Cette catastrophe: être femme.

Quelle pauvreté est la vôtre, vierges d'une seule virginité! Que n'avez-vous pu naître houris, ou du moins les oreilles, le nez, les yeux, la bouche également scellés. Une dévirginisation en vaudrait la peine. Mais quel piètre avantage de posséder le premier une qui vous juge de ses yeux ouverts, qui vous écoute de ses oreilles insatisfaites, et se tait avec ses silences. Et même arriveriez-vous à lui «faire dire comme vous», rien ne peut l'empêcher de penser comme elle, selon son sexe opposé et complémentaire; et ce sexe opposé, n'est-ce pas le stimulant et la cause de la création? Qu'elles vous tentent donc vers elles—et le fruit de la connaissance que les dieux ont défendue, de peur que les couples humains ne les surpassent.

Ni patriarçat, ni enfantiarçat, ni matriarçat, «elle avait cent villes, puis fut cloîtrée»,—participation, union, essai d'entente entre tous les genres du genre humain.

Elle aurait donné dix ans de sa vie (des dernières) pour ne pas arriver aussitôt à la cinquantaine. Que faire de la cinquantaine? A cet âge, la vie privée ne veut plus des femmes, la vie publique pas encore. Il faudrait avoir au moins à voter, à opter pour le bonheur d'autrui, avec toute la sagesse et l'expérience acquises,—et qui ont si peu suffi à leur bonheur personnel.

Les autres seuls profitent de notre expérience—que l'Etat à son tour profite de notre expérience!

Elles ont assez mal choisi leurs amants pour bien choisir leurs dirigeants.

Mais cette race, l'homme politique, s'est montrée si peu politique qu'elle tend à disparaître.

Qu'il se fortifie, et se perpétue, et se justifie, et s'intensifie, et se purifie, en s'adjoignant les femmes.

Car personne plus vite qu'une femme, non éprise, ne reconnaît la valeur d'un homme, ses buts, ses desseins, ses vanités, ses faiblesses.—Les hommes se trompent avec des paroles, on ne trompe pas une femme, même par le silence.

L'ambition est plus corruptible que l'amour, et les femmes ne feront rien sans amour.

Atalante, aux jambes fuselées, montant en s'évasant jusqu'aux hanches puissantes de lévriers de course,—faites pour courir après l'impossible!

Jambes d'Atalante et côtes de Saint-Sébastien.

Et vos admirables bras trop longs, étendus comme un peu au-delà de tout ce qu'ils pensent pouvoir saisir.

Quelle a dû être l'existence d'Atalante domestiquée par Mélanion?

Prenait-elle pour lui plaire de petits pas étriqués de mousmé, portait-elle comme Salammbô des chaînettes invisibles?

Quels sont les êtres qui ne sont jamais jetés à terre par la lourdeur de leur ailes?

La réalité est assez difficile à ployer à nous-mêmes pour permettre à tous nos actes de nous ressembler.

O Atalante, que votre démarche, comme un vaisseau, reprenne le large!

Et ne regrettez rien si, libre enfin, vous tracez un beau sillage.

Ayez la seule sorte de pureté qui vaille, celle qu'on ne peut ni vous gâter, ni vous ôter, et dont vous ne pouvez vous défaire. Votre pureté ne dépend pas d'un état d'ignorance, n'a pas plus ou moins de virginité,—votre pureté est aussi durable que vous-même, votre pureté, c'est vous.

Autre nativité: Seulement de la femme consciente et libre—de sa pureté à venir pourra naître le surhomme.

Quelle nouvelle griserie de se sentir seule et soi auprès de qui l'on aime, libérée de l'amour,—n'avoir plus besoin des autres pour être.

Gaspiller ainsi, sur un seul nos dons d'aimer?

Quel public ingrat qu'un seul.

Mais nous revenons aux êtres par nécessité, découragées de voir le peu de chaleur du reste.

—Pourquoi ne pas aussi leur permettre vos gloires et autres honneurs, postiches du cerveau.

Quoi de plus féministe que les neuf Muses—et Apollon?

La femme grecque devait devenir courtisane pour être écoutée.

Choisissons tout de même l'Occident septentrional où la jeunesse de la femme peut ne pas être sa seule destinée.

Mais Phryné n'aurait aucune chance d'être acquittée à présent—du moins en pays anglo-saxon—où aucune grâce ne prévaut, où l'amour semble jugé et les lois appliquées par de vieux eunuques. Il faut donc donner aux femmes d'autres valeurs.

—La concurrence tue l'amour; nous ne les aimerions plus.

—Vous les aimeriez peut-être mieux, en oubliant moins tout ce qu'elles furent, sont, et peuvent devenir, et l'amour sera toujours nécessaire pour tenir tout le reste à sa place.

Mais quelle gloire est digne de vous, ô femmes qui faites de vos cheveux une triple couronne?

Pensées d'une amazone

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