Читать книгу Pensées d'une amazone - Natalie Clifford Barney - Страница 7
INDIGNATIONS
Оглавление... Nous qui avons fait l'arrière ensemble!...
«Qui vivra verra»,—mais qui vivra?
Le marteau musical,
Le balancier égal.
Du frappeur de médailles...
... A présent que la plupart de nos amis sont des morts—ou des ministres...
Appelons-les de leurs noms primitifs: Caïn, Abel.
Ce n'est pas parce que je ne pense pas aux hommes que je ne les aime pas, mais parce que j'y pense.
S'expatrier de toute patrie?
Si je m'étais abonnée à l'humanité, je m'en désabonnerais.
La guerre, cette justification de la bêtise humaine.
Quelle que soit la sottise des pronostics, la réalité la dépassera.
Le genre humain,—un genre que je déplore.
«... Et en dernier, Dieu créa l'homme.»—Nous nous ressentons de la fatigue du créateur.
L'humanité, cet enfant de vieux.
«Ubu roi?—Ubu Dieu.
Adam et Ève seront toujours nos parents les plus proches.
Si l'amour existait parmi les hommes, ils auraient déjà bien trouvé le moyen de le prouver.
La nature ayant inventé une horrifique et presque inextricable façon de naître et de subsister, la civilisation a sans doute voulu y apporter le secours de ses engins exterminateurs.
Cependant qui eût cru que la petite civilisation, si mal ajustée, dont nous pâtissions et jouissions si médiocrement, aurait un jour la force d'un élément pour s'anéantir?
Une bêtise collective a quelque chose d'élémental—c'est notre grandeur, à nous autres, civilisés.
L'idéal: ce lieu commun, qui ne se trouve nulle part.
Cette terre insatiable de sang, qu'on nomme patrie.
Quand on repeint l'Europe, la première couche est toujours de rouge.
Ugolin fut un père moins terrible que la mère patrie.
Était-ce par honte ou par prudence que Louis XIV défendait la grande porte de Versailles aux blessés de ses guerres?
Et vous, bourgeois, que peut votre petit zèle auprès de ces grands blessés?
Leur offrir une médaille commémorative et compensatrice de tout ce qu'ils ont perdu, aux manchots le confectionnement d'ouvrages de dames; de misérables rentes pour garantir leur misère d'aveugles—jusqu'à la fin de leurs jours sans jour?
Quel sort est à présent digne d'eux? statues mutilées de la France, victimes de leurs victoires.
Vous accepterez le sacrifice des «sommités fleuries» de la race, sans faire aucun geste qui vous montre leurs égaux, fut-ce même de vous immoler pour eux à votre tour.
Rangez-vous donc, citadins apeurés, et baissez la tête devant ces morts qui reviennent.
Ils semblent presque tous indignes de leur malheur.
Nous comprenons à présent la saine rudesse d'un Gargantua, la frivole insouciance des délicates victimes de la Conciergerie,—aussi ces bourgeoises bouffies et bavardes devenues des mater dolorosa.
Ces gens abrutis devant leur douleur—à laquelle ils n'avaient jamais pensé, insensibilisés à force d'étonnement.
Le choc est un anesthésiant naturel.
Le rire seul échappe à notre surveillance.
Je sais mieux par leurs rires que par leurs confessions ou leurs pleurs, combien et comment ils sont atteints.
Leurs rires, comme une vibration de fils conducteurs, nous mènent au centre des sinistres.
Ce cœur des armées, le tambour démodé, son battement emprisonné comme dans de la chair du cœur.
Nous recevons la vie, généralement couchés, mais la mort, dont nous avons solennisé le personnage, mérite qu'on la reçoive debout.
Je ne crois pas au manque de perspicacité des Français, mais plutôt à leur incapacité de s'ennuyer. Et penser à la guerre, et se préparer à la guerre, c'est s'ennuyer, ennuyer tout le monde, c'est s'encaserner. Mille fois mieux vaut-il mourir—et vaincre également sans y penser!
Trop de réflexion gâte le plaisir, trop de réflexion gâte aussi la guerre—les Allemands l'ont bien prouvé.
L'organisation est le bâtard delà réflexion—la réalité peut la désavouer et la fausser.—Vivent ces élans qui font l'esprit et le corps d'un peuple!
La Marseillaise dénote bien que le peuple français, bien qu'ayant produit Jeanne d'Arc et Napoléon et les plus résistants et les meilleurs combattants que le monde ait connus, n'a rien d'agressivement guerrier: «Aux armes, citoyens!... Entendez-vous dans les campagnes—Mugir ces féroces soldats—Qui viennent jusque dans nos bras—Egorger nos fils et nos compagnes... »
Cela pouvait sembler un sport pour le gentleman anglais, une raison d'être au militarisme prussien, une saignée pour la Russie, une occasion pour la Belgique d'être héroïque et de rentrer dans l'histoire, mais pour la France?
Le Français est en effet distrait; il a subi la guerre; il a également subi la victoire, et dédaignera même d'en tirer profit.
En Allemagne ils ont militarisé même leurs forêts...
Wilhelm: Will—volonté; helm—casque.
Allemagne: fourreau d'épée, embûche à canons, pépinière de Prussiens, usine à guerre. Ne vaut-il mieux refaire de vos soldats des mercenaires industriels, de vos métaux des mines de prospérité? Cela n'est-il d'un meilleur commerce?
«Il faut bien vivre»,—-bien vivre des autres? Mais pour cela, il faut des autres; massacrer et exterminer sa clientèle, n'est-ce pas d'une mauvaise économie politique?
L'Allemand, dont la musique est la femme, et la femme un bétail.
Ils critiquent l'utopie en vous disant qu'on ne gouverne qu'avec des «possibilités».—Comme s'ils n'accomplissaient pas chaque jour des utopies malfaisantes!
De l'homme des cavernes à l'homme des caves...
Il ne fallait pas avoir l'ouïe aiguë d'un Iroquois pour discerner la croissance et la marche de l'ennemi.
Si, au lieu de dormir sur leurs «deux oreilles», ils avaient fait la concession de ne dormir que sur l'une...
«Et qui l'eût cru!» disent leurs sceptiques écrivains, réduits à l'ironie des clichés.
L'illusion: une paresse de l'esprit.
L'inconséquence adressée à l'incompétence.
Ils sont fatalistes—en ce qui concerne autrui.
Ils disent: «La mort d'un homme est une terrible calamité, la mort de 100.000 est une statistique.»
«Le but» n'est qu'un prétexte.
Je croirais à ceux qui veulent servir la République, s'ils ne se servaient avant elle.
Même leurs jeux de dames finissent en jeux d'échecs.
Mais la politique doit être moins passionnante que les cartes, puisqu'on n'y joue surtout que la fortune d'autrui.
Les premiers rôlent varient: les figurants sont presque toujours les mêmes, qu'ils crient un jour Vive César, ou...
Ils ne se rendent pas assez compte qu'en choisissant le succès on ne choisit pas son public.
Je n'ai peut-être pas assez de haine pour comprendre la politique.
Ne consiste-t-elle pas dans l'exercice de son intelligence non contre l'ennemi, mais contre «l'autre parti»?
La France avec ses milliers d'artistes, n'a-t-elle pas un financier?
Imaginez un tronc sans tête, hérissé comme un porc-épic de porte-plumes: l'Administration.
Leur gouvernement: le hasard; les événements: leurs ministres.
La Tour Eiffel, précoce commémoration des fils de fer barbelés.
1914: immense Magic-City se terminant par son grotesque jeu de massacre.
Tant de morts n'ont-ils pas mérité la mort du militarisme.
En guerre, le choix des armes n'est pas égal, car c'est l'agresseur qui les choisit.
Les hommes politiques sont trop souvent incompétents dans les grandes circonstances parce que, étant limités par le quotidien de leur profession, ils ne trouvent plus en eux l'envergure d'une improvisation, histrions et non créateurs des premiers rôles.
Que ne nomme-t-on un plébiscite pour le Rhin, un plébiscite de Loreleys?
Ces instigateurs du nationalisme qui font la guerre en chapeau haut de forme.
Ceux qui ne pensent pas pensent comme l'Echo de Paris, ceux qui pensent ne savent pas ce qu'ils doivent penser.
Si l'on voit les poètes se prêter à l'action, c'est que l'action est montée sur leur sommet et qu'ils peuvent en tirer tout le lyrisme qu'ils réclament.
De ces juifs dépossédés qui semblent pâlir encore de l'agonie d'un dieu, qui ont accepté l'opprobre et l'héritage de la couronne d'épines;—mais toutes les couronnes sont peut-être des couronnes d'épines!
L'égalité: un niveau d'infériorité.
Pour assagir les profiteurs, que ne réduit-on leurs profits au «statu quo»?
Si ceci se pouvait, on verrait ces capitalistes enclins à des «pourparlers» immédiats.—Il y a aussi des jusqu'auboutistes du profit.
Cette rage de posséder m'étonne.—Quelle sagesse de n'être propriétaire de rien. On possède simplement, parce qu'on sait regarder, parce qu'on sent bien ce que l'on peut faire vivre en soi. Le propriétaire perd ce qu'il possède par l'habitude et l'ennui, ou il en devient le gardien, et, sans même le lui enlever le passant le lui prend.
Le propriétaire échappe rarement à sa possession, mais la possession échappe presque toujours à son propriétaire!
Tant de pays et tant de femmes aussi sont en souffrance, mal possédés: exproprier les propriétaires—sans prendre leur place.
Ils disent: «J'aime le poisson, et ne tiens pas à ce que le poisson m'aime!» Argument prussien qu'ils crèvent donc d'une arête—même le poisson mort a de la défense!
... Et qui de nous, parmi ses proches,
N'a pas de gens du genre boche?
Les Belges nés d'un méridional blond et d'une Allemande sympathique—encore sympathique.
Ces réfugiés, avec des yeux d'un bleu qui ne se fait plus en France, ce bleu strié des vitraux en rosace, le bleu de Chartres, devenu introuvable? ... Et va-t-on retrouver avec l'affluence des autres races chez vous, des pigments perdus, des procédés et des combinaisons d'êtres oubliés, des types assez anciens pour sembler nouveaux. Il faut se renouveler pour retrouver même le passé.
Certains réfugiés. Misérables d'une misère qui n'a fait que changer de place; quitter une pauvreté navrante et régulière pour une pauvreté pleine de nouveautés et de divertissements, est peut-être pour eux une façon inespérée de voyager.
Le primitif amour de l'aventure (plutôt qu'une fortitude envers l'adversité) fait supporter aux peuples des calamités, à la condition qu'elles soient excessives et inattendues, et délivrent pour un peu des calamités et des laideurs quotidiennes et habituelles.