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I
LE SEPTIÈME JOUR
ОглавлениеEntendez-vous ces ondes sonores traverser l’espace?
C’est le glas monotone des cloches des églises, qui monte en pleurant vers le ciel.
Cette note banale, chanson lugubre, attriste Jes âmes des bien portants et donne le frisson de la mort aux malades.
Ce jour qui se lève d’une façon si triste, c’est le jour consacré au repos et... aux plaisirs. C’est le septième jour de la semaine, c’est le dimanche.
Dans la vie, chacun prend son plaisir où il le trouve.
Pour s’amuser, il faut avoir de l’argent de poche et être libre.
Le sportsman va aux courses.
Le gandin se lève tard.
La dévote va à la messe, si elle est jeune, pour voir les toilettes et connaître le dernier mot de la mode; si elle est vieille, par habitude et pour prier.
Le boursier passe la journée à la campagne, et le boursicotier aux fêtes villageoises de la campagne.
Le négociant va dans ses propriétés.
Le petit commerçant ou le boutiquier se rend avec sa famille et ses amis aux réunions patronales des environs de Paris.
Les canotiers vont aux régates.
L’étudiant herborise avec son étudiante dans les bois de Clamart et de Meudon.
Le calicot fait sa tête. On le rencontre un peu partout. Il est multiple et ses transformations sont nombreuses.
Le flâneur se promène le long des boulevards et des Champs-Élysées.
Le paresseux ne quitte sa chambre qu’à l’heure du dîner.
Le bureaucrate visite les établissements de Paris, et donne son avis à qui veut l’entendre sur leur exécution et sur leur utilité.
Les marchandes de plaisirs affichent et parent leur marchandise, cherchent partout des acheteurs.
Les amoureux, qui ne peuvent disposer que de ce jour-là, se donnent rendez-vous. La cuisinière reçoit son cousin le pompier, et la bonne d’enfant va trouver son cousin le pioupiou, qui l’attend aux Tuileries ou au jardin du Luxembourg.
Le demi-monde s’attife, se pomponne, se recrépit, se maquille pour subjuguer le monde entier,–le maquillage est une seconde nature.
Le dimanche est un jour d’échéance pour le sentiment. Débiteurs et créanciers s’entendent à merveille! Que de jeunes fous sont partis ce jour-là pour le pays du cœur, et sont revenus non sans avoir laissé des lambeaux de leurs plus douces illusions aux ronces de la route!
Les plaisirs du dimanche sont les plaisirs de tout le monde.
Pour les chevaux, c’est différent; pour les chevaux de fiacre, c’est la fatigue; mais, pour les chevaux de courses, le septième jour est un jour de lutte et de gloire.
Avez-vous été, cher lecteur, par une belle matinée de printemps, aux fêtes hippiques données par la Société d’encouragement sur le vaste hippodrome de Longchamps?–C’est là que se réunissent toutes les prodigalités, toutes les élégances, toutes les exagérations, toutes les folies de la fashion parisienne. La vaste pelouse, encombrée d’attelages magnifiques et de curieux enthousiastes, offre un spectacle animé et grandiose. Le coup d’œil est splendide.
Les cochers s’impatientent, crient, jurent; les cavaliers galopent, s’arrêtent, se penchent, pour montrer avec quel art ils manient leur monture. Ils sont, pour la plupart, élégants et distingués. –La foule se presse, se pousse, se rue vers l’endroit où la curiosité l’attire. Comme une mer houleuse, elle a son flux et son reflux. Vue de loin, c’est un océan de têtes.
La gandinerie aristocratique et la bicherie luxueuse sont là à droits égaux. Elles représentent le luxe et le faux luxe, voilà la différence; mais elles ont toutes deux des armoiries, des laquais, des pur-sang attelés à des drags, des phaétons, des mail-coaches, voilà la ressemblance. On y voit le marquis de Saint-Flour regardant de tous ses yeux la célèbre Nini-Chignon, et le comte de Vert-Galant envoyant un bouquet monstre à mademoiselle Patte de Velours.
Le monde des courses ne cherche qu’à se mettre en vedette pour exciter l’admiration ou l’envie. Chacun, du haut de son brillant équipage, cherche de l’œil si on le regarde, si on le critique, si on l’admire ou si l’on est épaté. Tout pour l’épatement, c’est la devise de ce monde.
Depuis la grande dame du faubourg noble jusqu’à la fille entretenue de la rue Blanche, qui engage une partie de ses diamants pour se payer une voiture et un cocher; depuis le grand seigneur jusqu’à l’employé qui économise toute la semaine sur sa nourriture pour louer un cheval le dimanche... Épatement... épatement... toujours épatement!–Gloire, vanité, gloriole, ridicule!
Le champ de courses foisonne de gandins, de ces jeunes gens qui, pour se dire hommes de cheval, affectent les manières du meilleur monde. –La majorité de ces pseudo-fils de famille tripotent à la Bourse. Ils y font des affaires et quelquefois des bénéfices. Ils mangent leur gain, au jour le jour, avec une fille qui se moque d’eux et dont ils payent le quart du luxe; les trois autres quarts se soldent au hasard de la fourchette.
Quand ils vont dans le monde, ces chevaliers de la corbeille, ils mettent leur carnet de coulissier dans leur poche et un mouchoir de batiste par-dessus.
Ils ont de belles connaissances dans les hautes régions de la finance, et le frottement continuel avec cette classe de la société leur donne un certain vernis de capacité qui ébaubit le bon bourgeois.
En dehors de la cote, leur savoir est mince. Ils ont ouvert le dictionnaire du Sport et en ont retenu quelques mots.–Chez eux, le cheval tue le livre, l’écurie remplace la bibliothèque.
Ils prennent volontiers le Pirée pour un homme, Milo pour le nom d’un sculpteur de l’antiquité, célèbre par sa Vénus, et Boule pour le nom employé dans l’ébénisterie. Ils disent: J’ai un meuble de Boule, comme ils diraient: J’ai un meuble de Palissandre. Ils appellent un homard: un cardinal des mers, quand ils soupent au café Anglais, mais ils font leur poussière, comme les autres, sur nos promenades depuis que l’hippodromie est en honneur!
Le dimanche est donc un jour important pour les plaisirs de Paris. C’est un temps d’arrêt pour cette population si intelligente et si laborieuse, qui a porté à un si haut degré l’art et l’industrie. C’est un prétexte de repos et d’amusement dont chacun profite à sa manière.
Le penseur, qui mure les plaisirs de sa vie dans son intelligence, a horreur de ce sep tième jour de la semaine. Il est désorienté, ahuri, hébété par ces jambes qui marchent, par ces bras qui se balancent, par ces toilettes qui frappent la vue, par ces chuchotements, par ces rires, ce bruit, ce va-et-vient qui donnent à la vie un aspect remuant et désœuvré. Il s’enferme dans son cabinet, condamne sa porte et se remet à son travail de la veille.
Ce septième jour tant envié des lycéens, des bureaucrates, des employés, enfin de tous ceux qui sont tenus par une règle claustrale ou une courroie administrative, a deux physionomies bien distinctes: l’une gaie, l’autre triste; l’une pauvre, l’autre riche.
Lorsque la meute humaine, affolée par les plaisirs du dimanche, se rue sur un point indiqué, elle est joyeuse, pimpante, frétillante, si le soleil répand sur elle ses chauds rayons; les toilettes ont des miroitements, les visages ont des sourires, les yeux ont des scintillations.
C’est gai!
Si le ciel se couvre, si la foudre gronde, si de grosses gouttes estampillent les chapeaux à la mode, Madame de Sainte-Vertu abandonne les rênes de son attelage et se réfugie dans sa voiture capitonnée; Mademoiselle OEil-de-Faucon, au contraire, brave la pluie en vraie cochère, son étincelante toilette s’éteint sous l’averse; elle met un certain orgueil à rentrer chez elle trempée jusqu à la ceinture, elle a bravé l’orage sous les yeux de ses riches amants. Quelle gaillarde!
C’est triste!
Par un dimanche de soleil, regardez les passants de la rue, ils ont toujours une apparence de bien-être, de richesse; vienne une ondée, les vêtements s’affaissent, le sourire disparaît des physionomies, l’un saute en voiture, l’autre se réfugie sous une porte ou dans un passage. Le mouvement de la foule se ralentit, puis s’arrête, comme le balancier d’une grande horloge dont les poids sont descendus; il pleut, le but de la journée est manqué.
Le soleil, c’est la richesse du pauvre.
La pluie, c’est la tristesse du riche.
Le boutiquier subit plus que tout autre les influences du dimanche. Ses commis et ses commises sont toujours charmants, prévenants, empressés le samedi; les clients n’ont qu’à se louer de leur amabilité; ils ne se doutent pas qu’ils doivent cela à la veille du dimanche.
Le lundi, ces mêmes employés sont maussades, indifférents, désagréables; c’est le lendemain du dimanche. Ils ont été passer leur jour de repos à Fontenay-aux-Roses ou à Bougival, et ils sont rentrés à Paris fatigués, exténués, rompus; il leur faut la moitié de la semaine pour retrouver leur sérénité.
L’attente des plaisirs du dimanche leur fait supporter patiemment les ennuis du travail journalier.
Tel est le dimanche à Paris! Et dire que Dieu a fait ce septième jour pour se reposer!