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V
LE JEUNE HOMME DE CHAT ELLERAULT

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Table des matières

Un beau matin, M. Pythagore Graffinard, en dépouillant sa correspondance, trouva une lettre portant le timbre de Chatellerault.

–Enfin! dit-il.

Il fendit délicatement l’enveloppe avec un couteau à papier.

–Après tout, ajouta-t-il, je n’ai pas à me plaindre de la négligence de mon ami, il n’a mis que huit jours pour me répondre. C’est de la promptitude pour un commerçant de province.

Il prit la lettre et l’ouvrit.

Il la lut à demi-voix; elle était ainsi con çue:

«Mon cher Pythagore,

Votre honorée, que j’ai reçue la semaine dernière, m’a causé une véritable joie. Si vous croyez que mon fils puisse devenir votre gendre, j’acquiesce dès aujourd’hui à ce mariage. Nos enfants formeront un couple assorti; votre fille, si elle a tenu ce qu’elle promettait, doit être char mante, et mon fils qui a tenu plus qu’il ne promettait, est un joli luron.–Pour moi, il n’a qu’un défaut, c’est de ne pas mordre à la fabrication des couteaux et de préférer la lecture du Journal amusant au règlement des comptes courants que j’ai avec mes commettants. Il aura peut-être plus de goût pour la parfumerie. Enfin je vous l’expédierai sous trois jours, et, si les beaux yeux de mademoiselle Rose trouvent le chemin de son cœur, vous me le ferez savoir.– Du reste, mon ami, je vous donne carte blanche pour traiter cette affaire de conjungo, ce que vous ferez sera bien fait.

Onésime arrivera donc à Paris samedi prochain; comme ce jour-là n’est pas un jour d’échéance, vous pourrez le recevoir tout à loisir.

Votre ami pour la vie,

FOURCADIN.»

Voilà donc un mari pour ma fille, pensa le parfumeur; pourvu que mon enfant l’accepte, toutefois. Le jeune Fourcadin est peut-être un peu emprunté, un peu godiche, mais cela tient au terroir où il est né. Je me charge de l’acclimater à Paris, je lui procurerai des distractions, bals, concerts, promenades, rien ne me coûtera pour le préserver de la nostalgie. Il sera donc ici samedi. Je commencerai par lui donner un avant-goût des plaisirs du dimanche en le conduisant aux courses du bois de Boulogne. Je vais prévenir Aurore de la prochaine arrivée de mon gendre.

Et M. Graffinard monta quatre à quatre dans la chambre de sa femme.

Aurore était à sa toilette; enveloppée dans un ample peignoir, elle était aux mains de son coiffeur, qui lui arrangeait artistement un chignon bouffant qu’il lui avait apporté. Ces cheveux, suivant l’artiste capillaire, venaient de Bretagne, le pays où Aurore avait reçu le jour. Ils avaient été coupés sur la tête d’une jeune Bretonne bretonnante. Madame Graffinard apportait beaucoup d’importance à l’origine de sa chevelure.

Elle avait des préjugés pour enchignonner sa tête.

Ces cheveux payés au poids de l’or avaient peut-être été rasés sur le crâne de la femme d’un porteur d’eau; mais, en coquetterie comme en religion, c’est la foi qui sauve.

Les coiffeurs de Paris sont tous plus ou moins descendants de M. de Crac, pour flatter la manie de leurs clients; verbeux, loquaces et parfois spirituels, ils savent aussi bien que personne qu’on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre.

–Qui est là? demanda madame Graffinard sans sortir de son immobilité.

–C’est moi, ma chérie, répondit le parfumeur.

–Pourquoi venir me déranger à cette heure?

–J’ai une nouvelle à vous apprendre.

Je ne puis vous écouter en ce moment, monsieur; vous voyez bien que je suis toute à ma toilette. Revenez dans une heure.

–J’attendrai, chère Aurore.

Et M. Graffinard s’assit sur une chaise.

–Non, sortez; vous troublez mon coiffeur dans son inspiration.

–C’est, je crois, inutile de renvoyer monsieur votre mari, madame, dit alors le coiffeur; Je viens de placer la dernière épingle dans vos beaux cheveux.

–Vous reviendrez demain, à la même heure?

–C’est entendu, madame.

Et le coiffeur sortit de la chambre en faisant un gracieux salut aux époux Graffinard.

Madame se contempla encore quelques instants dans sa glace et dit en se tournant vers Pythagore:

–Comment trouvez-vous cette nouvelle coiffure?

–Charmante, répondit le parfumeur en quittant sa place et en admirant la tête de sa femme avec la profonde attention qu’eût mise un collectionneur à regarder un objet d’art.

–Cette mode nouvelle me rajeunit, n’est-ce pas?

–Vous n’avez pas besoin de cela pour me plaire, Aurore.

Madame Graffinard jeta un coup d’œil oblique sur son mari et fit une petite moue fort si gnificative. Cette expression de physionomie que Pythagore n’avait pas remarquée, voulait dire: Imbécile, est-ce que vous croyez que c’est pour vous que je me fais si belle?

Si je cherche à dissimuler ma trente-troisième année, ce n’est pas pour faire la cour à vos quarante-cinq ans! Je n’ai pas acheté de longs et beaux cheveux pour donner des velléités à votre perruque poivre et sel! J’ai des idées de séduction, mais elles ne me sont pas inspirées par votre physique suranné. Si je veux rajeunir ma tête, c’est que mon cœur n’est pas vieux. L’une a passé la trentaine, l’autre n’a pas vingt ans. L’une s ennuie rue Saint-Denis et l’autre se réjouit au bois de Vincennes. C’est là qu’il s’est éveillé, c’est là qu il a goûté des sensations nouvelles.»

M. Graffinard, après avoir tourné autour de sa femme en poussant quelques exclamations admiratives, donna une intonation confidentielle à sa voix et dit:

Vous m’aviez manifesté le désir de marier Rose, je vous ai écoutée.

–Ah! fit la parfumeuse en inspectant ses ongles taillés en amandes.

–Oui, ma chérie, samedi prochain, le chemin de fer nous apportera un gendre.

–J’en suis heureuse pour votre fille. Vous ne me dites rien de ma nouvelle robe?

–Ravissante. Où l’avez-vous achetée?

–C’est Hortensia, la grande couturière de la rue de Rivoli, qui me l’a fournie.

–Vous avez l’air d’une reine.

–La coupe en est gracieuse, n’est-ce pas?

–Admirable! Elle vous coûte cher?

–Non, cinq ou six cents francs;... du reste on vous enverra la facture.

–Vous auriez dû me consulter, Aurore, avant de faire cette emplette. J’ai des amis dans les nouveautés qui vous auraient donné une étoffe aussi belle et à meilleur compte.

–Est-ce que vous croyez que je vais fournir moi-même mon étoffe à ma couturière?

–Pourquoi non?

–Parce que je ne veux pas ressembler à ces femmes au goût étroit et mesquin qui assassinent la mode par leur parcimonie. Hortensia fournit, coupe et livre à ses pratiques toutes les toilettes qui sortent de chez elle. Elle n’accepte de nouvelles clientes qu’à cette condition.

–C’est différent, répondit M. Graffinard, dompté par le ton impérieux que sa femme avait pris pour prononcer ces derniers mots.

–Alors, votre gendre arrive à la fin de cette semaine? reprit Aurore avec calme en se dirigeant vers le lit sur lequel elle prit un riche et élégant chapeau qu’on lui avait apporté dans la matinée.

–Oui, répondit le parfumeur. Onésime, fils de mon vieil ami Fourcadin, sera ici samedi.

–Est-il riche?

–Il doit l’être.

–Tant mieux!

–Il a vingt-cinq ans.

–C’est bien. Est-il joli garçon?

–Je le crois.

–Plaira-t-il à votre fille?

–Je le pense.

–Espérons-le! Que dites-vous de ma coiffure?

–Délicieuse. On vous prendrait pour la sœur cadette de Rose.

–Vraiment?

–Je vous le jure!

–Ali! c’est qu’Amélie excelle dans son art!

–Quelle Amélie?

–La modiste de la rue Laffitte.

–Je ne la connais pas.

–C’est que vous ne lisez pas les journaux.

–Si, pourtant.

–Son nom resplendit à la quatrième page.

–C’est possible; moi, je ne lis que les faits divers.

–Sa renommée est européenne.

–Elle est chère?

–Non.

–Combien vous vend-elle ce chapeau?

–Soixante ou quatre-vingts francs, je ne sais au juste.

–Soixante ou quatre-vingts francs!

–Eh bien?

–Vous voulez donc me ruiner?

–Je ne puis pourtant pas m’habiller comme une maîtresse de piano à vingt sous le cachet.

–Je ne vous demande pas un tel sacrifice... mais il me semble...

–Que vous semble-t-il? interrompit Aurore avec impatience.

–Il me semble que des parfumeurs ne doivent pas s’habiller comme des ambassadeurs.

–La raison?

–La raison en est bien simple...

–Tenez, Pythagore, vous m’ennuyez, repartit vivement madame Graffinard.

–Si j’ai consenti à vous épouser, ce n’est pas pour être tyrannisée... Vous êtes riche, je peux bien être élégante. Étant dans les affaires, votre fortune, votre fortune augmente tous les jours, et puis nous n’avons pas d’enfant... Il faut vous défaire de la manie de thésauriser avant que cette manie soit passée à l’état de passion... Et d’ailleurs j’ai les avares en horreur... Si vous me poussez à bout, si vous m’exaspérez par vos lésineries continuelles, je renonce au monde, je brûle ces toilettes, je me coupe les cheveux et je me retire dans un couvent. J’aime mieux m’enterrer vivante dans une cellule que de vivre torturée par vos idées fausses et votre mauvais caractère.

–Oh! ma louloute chérie, calmez-vous, s’écria le parfumeur en prenant dans ses mains les mains tremblantes de sa femme. J’ai eu tort... pardonnez-moi...

–Je sens que je vais me trouver mal, dit Aurore d’une voix faible.

–Mon Dieu! mon Dieu! un peu de courage, remettez-vous, mon adorée.

–Vous me tournez les sens, Pythagore; vous me ferez mourir... vous voulez donc ma mort?

–Aurore, chassez ces tristes idées...

–J’étouffe ici.

–Voulez-vous que je vous ouvre les fenêtres?

–Non, je reviens à moi.

–Vous me ferez envoyer les factures par vos fournisseurs, je les paierai... Allons, ne pensons plus à tout cela!

–Il y a des moments où vous êtes cruel, Pythagore.

–J’en conviens, mais pardonnez-moi.

–Je vous pardonne et je vais prendre l’air.

–C’est cela; sortez un peu, allez au Bois; l’air y est pur et bienfaisant, au Bois; les arbres, les feuilles, les herbes purifient l’atmosphère...

–Déjeunez sans moi.

–Non pas.

–La scène violente que vous m’avez faite m’a coupé l’appétit.

–Est-il possible?

–Je prends un biscuit et un verre de vin de Madère seulement avant de monter en voiture.

–Je vais chercher cela.

Pendant que Grafiinard se dirigeait vers la salle à manger, Aurore jetait un dernier coup d’œil à sa toilette et souriait complaisamment à son miroir.

–Si je pouvais le rencontrer, pensait-elle.

Une heure plus tard, elle était en équipage. Elle allait au grand trot de ses chevaux au bois de Vinçennes.

Sa toilette tapageuse, sa pose indolente au fond de sa voiture effaçait le cachet d’honnêteté qui relève la femme aux yeux de la foule. En la voyant passer, on disait: «Oh! la jolie cocotte!»

La coquetterie la jetait d’un seul coup dans le demi-monde, en apparence dn moins.

Mais, jusqu’à présent, elle était bien peu cou pable; elle voulait plaire à celui qui lui avait sauvé la vie, elle voulait le revoir et lui témoigner une fois de plus sa reconnaissance. Est-ce donc un si grand crime de montrer de la gratitude pour un service rendu?

En se faisant coquette, elle croyait se faire grande dame.

Aurore des Quatre-Vents oubliait et voulait faire oublier madame Pythagore Graffinard.

Prenez-y garde, madame; la coquetterie est sœur de la passion. Une femme coquette calcule encore toutes ses actions, mais une femme passionnée ne raisonne plus. Elle obéit aux égarements de son cœur et ferme les yeux pour ne pas entrevoir la profondeur des précipices qui bordent le chemin qu’elle suit.

Comment expliquer la conduite de la belle parfumeuse?

Elle avait quitté subitement M. Anténor des Malhars pour ne pas lui avouer que, d’un castel breton elle était tombée dans un entresol de la rue Saint-Denis. Et, à présent, elle se mettait à la recherche du jeune officier, par ca price ou par curiosité peut-être!

Elle regrettait, nous pouvons le supposer, la façon peu civile avec laquelle elle avait pris congé de lui après son accident. Elle revenait donc au bois avec un bon sentiment dans l’âme.

Attendons pour juger la belle délaissée que son procès soit commencé et que sa cause soit entendue. Chers lecteurs, ne faisons pas comme certaines gens qui accusent et condamnent toutes les femmes, sans exception. Chez elles, l’intention ne peut être réputée pour le fait. Nous savons bien que les femmes sont plus variables que les girouettes, puisqu’elles changent lors même que le vent ne change pas... Mais soyons indulgents pour madame Graffinard; elle fait peut-être exception à la règle générale.

Laissons notre belle Aurore à tous les charmes de sa promenade au bois de Vincennes et revenons rue Saint-Denis.

M. Pythagore Graffinard vient de se mettre à table pour déjeuner, et en face de lui il a Rose, sa fille bien-aimée.

–Serais-tu enchantée de te marier, ma chère enfant? dit le parfumeur en donnant à sa fille des asperges que la bonne venait de mettre sur la table.

–Oui, papa, répondit naïvement Rose.

–Ah! ah! fit M. Pythagore; eh bien! j’attends de Châtellerault le fils d’un mien ami, et, s’il te plaît, tu seras sa femme.

–Quand arrive-t-il?

–Samedi.

–Oh! mon Dieu! si tôt!

–Oui; mais tu es toute tremblante; qu’as-tu?...

–Ce ne sera rien, mon père; la surprise...

–Remets-toi, ma petite Rose. Quand tu auras vu le jeune homme de Châtellerault nous causerons plus longuement de mes projets.

Une amie dévouée

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