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II
M. PYTHAGORE GRAFFINARD

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Table des matières

M. Pythagore Graffinard était un des plus illustres parfumeurs de la rue Saint-Denis.

Aujourd’hui, il a quarante-cinq ans, le teint frais, le jarret souple et le petit mot pour rire.

Le bruit courait dans le quartier qu’il avait eu une jeunesse échevelée. Malgré les quelques cheveux argentés qui commençaient à poindre sur sa tête, il aimait toujours le cotillon. C’était encore sa passion dominante.

A vingt-cinq ans c’était un homme fort aimable, dans toute l’acception du mot. Son regard passionné, son sourire provocant, sa taille élégante lui donnaient l’allure d’un charmant cavalier.

Les jeunes boutiquières avaient la faiblesse de loucher de son côté, lorsqu’il passait sur le trottoir. Il le savait bien, le fat! Il était si heureux de poser pour un gaillard à bonnes fortunes!

Il avait une grande qualité: la discrétion.

Il faisait ses coups à la sourdine. Il n’avait jamais eu de confident pour ses amours. Il gardait son bonheur comme un avare son trésor. Il n’était jamais atteint par la fièvre de l’égoïsme. Quand, par hasard, il narrait les phases d’une de ses aventures galantes, il la mettait sur le compte d’un de ses amis, dont il se gardait, comme on doit bien le penser, de prononcer le nom. Il entourait, par ce moyen, ses récits d’un certain mystère qui leur donnait un relief de vraisemblance et d’intérêt.

Pythagore était un roué de la boutique, un galantin à l’eau de rose, dont l’histoire amoureuse aurait pu être écrite en collaboration par les plus belles femmes de la rue Saint-Denis, car elles en connaissaient au moins chacune un chapitre.

Un beau jour, fatigué des plaisirs faciles et éphémères, il résolut de faire une fin. Il acheta un fonds de parfumerie, et épousa la fille d’un marchand de roses de Provins. Cette jeune provinciale lui apporta une jolie dot, et toutes les vertus de son département. Ce n’était pas une beauté hors ligne, mais elle avait tout ce qu’il faut pour plaire et être aimée. Cette nature vierge, simple et douce, fit une révolution dans les goûts et les appétits mondains de Pythagore. Il se rangea, il se donna tout entier à son commerce, et sa maison devint bientôt une des premières de la place, pour la renommée des huiles, des poudres et des parfums.

Cette félicité, embaumée par les essences les plus délicates et les plus volatiles, ne devait pas être de longue durée.

Après deux années de mariage, madame Graffinard devint mère; mais elle mourut en donnant le jour à une gracieuse petite fille qui, sur les fonts baptismaux, reçut le nom de Rose, en souvenir de celle dont elle avait causé la mort. C’était le prénom de la parfumeuse.

Nous ne savons comment peindre le désespoir de Pythagore. Frappé dans ses plus chères affections, il devint fou. Il ferma son magasin pendant huit jours, pour cause de décès, ou bliant les affaires et ne songeant qu’à son bon heur perdu.

Il avait vingt-huit ans alors.

Le temps, ce grand médecin des âmes affligées, ramena peu à peu la raison et le sang-froid dans l’esprit du commerçant. Il garda longtemps sa tristesse, et ne trouvait quelque soulagement à sa douleur que dans les sourires de la frêle créature qui lui rappelait sa femme bien-aimée.

En pensant à l’avenir de sa petite Rose, il surmonta ses maux et se remit aux affaires avec une ardeur nouvelle. L’amour paternel fit place à son désespoir, désormais il avait un but dans la vie: travailler pour le bonheur de son enfant.

Quand la petite Rose eut cinq ans, il la mit dans un pensionnat des environs de Paris. Il pensa que l’air de la campagne était plus nutritif que l’atmosphère épaisse de la rue Saint-Denis. Il avait raison, ne voulant pas avoir une fille souffreteuse et malingre.

Au bout de quelques années, Pythagore Graffinard comprit qu’il n’était pas apte à donner les soins nécessaires à l’éducation d’une demoiselle. Il aimait Rose à l’adoration, mais il ne se sentait pas de force à accepter la responsabilité de son avenir. Il songea donc à se remarier.

Le choix d’une nouvelle épouse était difficile. Le mariage est une loterie. La première fois il avait tiré un bon numéro, la chance le favoriserait-elle encore au second tirage?

L’incertitude du sort lui donnait beaucoup à réfléchir. Il hésitait. Il avait peur. Et cependant sa fille, à sa sortie de pension, devait trouver sous son toit une affection toute féminine. Il savait bien que souvent une belle-mère n’a pas les vertus d’une mère pour l’enfant qui ne lui doit pas la vie, mais heureusement qu’ici-bas il y a des exceptions. Toutes les belles-mères ne sont pas des marâtres. Il cherchait l’exception.

Rose avait douze ans et lui en avait quarante quand il crut avoir découvert la femme vertueuse qui pouvait le seconder dans ses projets.

Pythagore avait rencontré chez un de ses confrères, dans une soirée de famille où il était régulièrement invité, une personne qui pouvait lui convenir. C’était une vieille fille qui s’épanouissait dans sa trentième année. Elle était caissière chez M. Stanislas Benjoin depuis plusieurs années. Dans tout le quartier, on la citait comme un modèle de distinction et d’innocence. Jamais le plus léger cancan n’avait porté atteinte à sa réputation; on en parlait avec respect, elle faisait honneur à la parfumerie.

Un jour Pythagore Graffinard prit son parti. Il alla trouver le parfumeur Benjoin.

–Mon cher confrère, lui dit-il, je viens vous demander un conseil.

–Si c’est pour acheter des huiles ou des amandes au-dessous du cours, après faillite, répondit M. Stanislas, je vous engage à faire le marché, si toutefois les huiles et les amandes sont de bonnes qualité. On ne gagne jamais assez dans le commerce. Si vous le désirez, je me mets avec vous de compte à demi dans l’affaire.

–Il ne s’agit pas d’une affaire commerciale.

–Alors, c’est différent, parlez.

–Il s’agit de mariage.

–Et vous n’appelez pas cela une affaire commerciale! s’écria M. Stanislas Benjoin.

–Pas à mon point de vue, du moins.

–Cela vous regarde. Ici-bas, chacun pour soi et Dieu pour tous.

–La jeune personne est pauvre, je crois.

–Et le prétendu?

–Il est dans une belle position.

–Tant mieux pour la future.

–La personne en question passe pour avoir de belles qualités.

–C’est quelque chose.

–Il s’agit de mademoiselle Aurore, votre caissière.

–Qui donc en est amoureux.

–Moi.

–Vous!

–Oui.

–Je vous en fais mon compliment.

–Et je viens vous prier de me dire en toute franchise votre sentiment sur elle.

–Ah! vous aimez mademoiselle Aurore des Quatre-Vents.

–Elle est donc noble?

–Oui, mon cher ami, cette belle personne jouit de la particule aristocratique; elle est de vieille souche et de noble race.

–Vous ne plaisantez pas?

–En affaires, je suis toujours sérieux.

–Vous connaissez donc son histoire?

–Oui, depuis son premier vagissement jusqu’à son dernier sourire de jeune fille.

–Alors vous allez me renseigner sur son compte.

–Avec toute la sollicitude dont je suis capable.

Cette scène se passait dans l’entresol situé au-dessus du magasin de M. Stanislas Benjoin.

Le parfumeur se leva et prit dans une armoire une bouteille de chartreuse verte. Il la posa sur une petite table qu’il plaça entre Pythagore et lui. Il remplit deux verres de la stomachique liqueur et trinqua avec son collègue en parfums.

–Mademoiselle Aurore des Quatre-Vents est fille unique du vicomte Arthur-Louis-Hortensius des Quatre-Vents. Ce noble fut exilé sous le premier empire. Il rentra en France à la suite de Louis XVIII et eut sa part dans le milliard voté pour les émigrés qui avaient tenu haut et ferme, hors frontière, le drapeau blanc de la branche aînée des Bourbons; à l’avènement de Charles X, il fut nommé grand veneur de Sa Majesté, et en juillet1830, il accompagnait avec M. Odilon Barrot et autres gentilshommes, son roi, à Cherbourg, qui partait pour l’exil.

» Il revint à Paris et, dans l’intérêt de son pays, il n’accompagna pas alors le roi déchu en Angleterre. Il écrivit, en1848, sur son blason: Liberté, Égalité, Fraternité, et se mit à la disposition du gouvernement provisoire. La République, dans l’intérêt du pays, se garda bien d’accepter ses services et il mourut de désespoir dans son domaine, qu’il avait depuis longtemps hypothéqué pour le double de sa valeur.

» Ce patriote de la vieille souche laissa une fille, âgée de douze ans environ, qui, pendant la dernière tourmente révolutionnaire, fut recueillie par un vieux frère, fermier d’une propriété de M. des Quatre-Vents. Mon frère, qui, grâce à son travail et à son activité avait amassé quelque fortune, se rendit acquéreur de la ferme dont il n’avait été jusqu’alors que locataire et éleva avec tous les soins qu’on doit à l’infortune mademoiselle Aurore des Quatre-Vents. Cette jeune orpheline se montra toujours digne des bienfaits dont elle fut l’objet; elle est instruite, laborieuse et économe. Comme physique elle est irréprochable, et son reste de fierté aristocratique est tempéré par un vernis de modestie qui ne laisse rien à désirer. Voyez plutôt.

En disant cela, M. Stanislas Benjoin poussa lentement la planchette qui recouvrait un judas pratiqué dans le parquet de l’appartement, et par cette ouverture, Pythagore Graffinard put apercevoir mademoiselle des Quatre-Vents, assise majestueusement à son comptoir, faisant de sa blanche main l’addition d’une facture de parfumerie.

–Elle est charmante, dit Pythagore, charmante, charmante.

–Chut! plus bas, mon cher confrère, reprit Stanislas à demi-voix; elle pourrait nous entendre.

Et il repoussa sans bruit la planchette sur l’ouverture du judas.

–Ainsi, vous la trouvez charmante, monsieur Graffinard?

–Charmante, charmante, répéta celui-ci.

–Il y a beaucoup de’gens de votre avis.

–Cela ne m’étonne pas.

–Avez-vous remarqué ce joli grain de beauté, admirablement placé sur son cou d’albâtre? On dirait une perle noire incrustée dans sa blanche peau. Regardez.

Benjoin rouvrit le judas.

–En effet, ce signe est d’un grand effet, répondit Pythagore, en dévorant de tous ses yeux la belle Aurore des Quatre-Vents.

–Si cette jeune personne, reprit M. Stanislas, avait une riche toilette, elle serait la plus agréable personne de la capitale.

Et il referma le judas.

–Mais, si elle consent à porter mon nom, repartit vivement Graffinard, je pourrai la lui donner, moi, cette riche toilette...

–Là n’est pas la question, mon cher confrère.

–Que voulez-vous dire?

–Je veux dire que mademoiselle Aurore n’a pas le défaut de la coquetterie. Elle a déjà refusé bien souvent les présents qui lui ont été offerts. Elle est très susceptible sur cet article-là.

–Mon intention est de lui donner mon nom avant tout.

–Je le pense bien; mais l’acceptera-t-elle?

–On l’a donc déjà demandée en mariage?

–Parbleu! le dernier prétendant qu’elle à évincé est le pharmacien de la rue de la Lune. Il est riche cependant. Eh bien! elle l’a re poussé parce qu’elle a trouvé qu’il avait un trop gros serpent dans la devanture de sa boutique. Ce reptile à l’eau-de-vie lui a fait peur.

–Moi, je n’ai pas un boa dans un bocal, si c’est cela qui l’épouvante! Je vis au milieu des odeurs les plus douces et les plus suaves.

–Aussi aurez-vous des chances de réussir.

–Elle n’a donc pas l’intention alors de coiffer sainte Catherine?

–Non, si elle trouve un mari qui lui plaise.

–Il me semble que je suis dans de bonnes conditions pour cela... J’ai quinze mille livres de rente et je suis parfumeur...

–Elle a trente ans, dont elle n’a gardé que les printemps, vous en avez quarante...

–Dont je n’ai gardé aussi que les printemps, continua Pythagore.

–C’est ce que j’allais dire... A vous deux, vous formerez un couple parfait.

–Assurément, repartit M. Graffinard enthousiasmé.

Et, s’approchant du judas, il l’ouvrit de nouveau.

–Oui, oui, dit-il, cette belle Aurore est la femme qu’il me faut.

–Allons, pas d’enfantillage! reprit M. Stanislas en refermant brusquement l’ouverture faite au parquet, vous allez tout compromettre. Si elle s’apercevait que nous la regardons, adieu tous nos projets.

–De la prudence, alors.

–Et surtout de la raison.

–Je n’agirai pas sans vos conseils, mon cher Benjoin.

–Ce soir, venez dîner avec nous, vous au rez tout le temps de contempler mademoiselle Aurore.

–J’accepte volontiers.

–Je vais dire à ma femme que je vous ai invité, et elle corsera un peu le menu.

–Avec moi, pas de cérémonies, je vous en prie.

–Laissez-moi faire… un rien... un morceau de veau au petits pois, comme supplément... Aimez-vous le veau?

–Je l’adore.

–Tant mieux. Je vous placerai à côté de mademoiselle Aurore, et l’on se mettra à table à six heures.

–Comptez sur moi. Je rentre à la maison faire un bout de toilette.

–Allons donc!...

–Mais ce n’est pas à vous que je dois plaire!

–C’est juste.

–Je vais jeter quelques gouttes d’essence de Catalpista sur ma chevelure; c’est une odeur qui porte aux sens...

–Non, non, du tout, monsieur Pythagore; mademoiselle Aurore préfère à tous les parfums le baume des Tropiques.

–C’est son odeur favorite?

–Oui, elle a un faible pour cet arôme.

–Bon, à ce soir.

–Six heures précises.

–En attendant, présentez mes respectueux hommages à madame Stanislas Benjoin.

–Je n’y manquerai pas.

Six semaines après cette première entrevue, M. Pythagore Graffinard, parfumeur en titre du maire de Pantin et autres souverains étrangers, acceptait pour légitime épouse, devant M. le maire de son arrondissement, mademoiselle Aurore des Quatre-Vents.

Une amie dévouée

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