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I
ОглавлениеQuelques pages d’histoire.
L’histoire des malheurs des peuples n’est autre que celle des sottises ou des crimes de leurs chefs.
Les princes veulent être absolus, les nobles veulent être indépendans, les peuples veulent être heureux.
(DUPATY. )
LE roi Charles V venait de monter sur le trône.
La France à cette époque reculée, se sentait encore des secousses du règne précédent, et les années écoulées depuis cette guerre civile qu’on nomma la Révolte de la Jacquerie, n’avaient point encore effacé la haîne que les paysans conservaient contre les nobles.
Ils se rappelaient encore que cent mille d’entre eux avaient succombé sous le fer de leurs seigneurs; qu’un instant peut-être, ils avaient rêvé l’affranchissement, et qu’ils n’avaient fait, au contraire, qu’ajouter un anneau de plus à leur chaîne.
On se souvenait des intrigues, des sourdes menées, des cruautés même de ce roi de Navarre, fils aîné de Philippe, comte d’Évreux, et de Jeanne de Navarre; ce même Charles Ier surnommé le Mauvais, dont Mézerai parle et dit: qu’il avait toutes les bonnes qualités qu’un mauvais caractère rend pernicieuses.
Ce redoutable adversaire de la royauté de Jean avait su s’attirer les bonnes graces de la noblesse et ranger sous sa bannière jusqu’ au dauphin même. Tous le voyaient avec plaisir se charger du rôle dangereux de conspirateur et lever sans crainte l’étendard de la rébellion.
Jean sut bientôt ramener à lui son fils dont le cœur n’était point encore endurci; il se servit de son amitié et de sa liaison avec Charles, pour faire tomber son adversaire dans le piège qu’il lui tendit, et où ce dernier se laissa prendre, tout adroit et rusé qu’il pouvait être.
Le roi de Navarre fut donc saisi au milieu des réjouissances publiques où il assistait, et Jean, non content de cette victoire, voulut encore rassasier ses yeux du spectacle d’un supplice: il fit exécuter quatre des favoris de Charles le Mauvais; et le comte d’Harcourt fut un des malheureux qui payèrent de leur tête les intrigues de leur maître.
On se rappelait la guerre qu’avait allumée contre Jean cet acte d’autorité ; cette guerre qui vint finir en 1556, à la fameuse bataille de Poitiers, et où le roi Jean, vaincu et fait prisonnier par le prince de Galles, surnommé le prince Noir, fut conduit en Angleterre où, il resta quatre années entières. Il voulut sortir de cette captivité en signant le traité le plus honteux qu’on eût jamais proposé à la France; c’est-à-dire, en livrant à l’Angleterre douze de nos plus belles provinces: la Normandie, la Saintonge, le Poitou, la Guyenne, le Maine, l’Anjou, la Touraine, le pays d’Aunis, le Périgord, le Limousin, le Ponthieu, le Boulonnais, et de plus, quatre millions d’écus d’or.
Les états et le dauphin refusèrent de ratifier un semblable traité.
La guerre recommença de nouveau, et le vieil Édouard ne put que ravager quelques provinces qui, cette fois, ne tombèrent même pas entre ses mains.
La paix de Brétigny, en 1560, mit un terme à la captivité du roi Jean; on le ramena en grande pompe à Calais où il fut échangé contre des otages.
Cependant combien de crimes n’avait-il point été commis avant son retour...?
Le dauphin était parvenu à se faire reconnaître régent; mais cette régence, véritable tutelle, ne lui fut conférée qu’à la condition expresse: qu’il ne ferait rien d’important sans l’avis de trente-six personnes qui lui furent données pour conseil.
On ne connaissait point encore sa fermeté, et cette défiance était en quelque façon pardonnable; car on se souvenait qu’il avait trahi le roi de Navarre, sous le masque de l’amitié ; qu’il avait abandonné son père à la bataille de Poitiers: et ces causes réunies formaient de graves griefs contre lui.
Le roi de Navarre, depuis sorti de prison, en sut tirer parti, et, guidant à couvert les factieux, il mit à leur tête un Lecoq, évêque de Laon, et Marcel, prévôt des marchands, qui, se fondant sur les fautes précédentes et sur l’altération des monnaies par le dauphin, rejetèrent sur ce dernier tous les désordres auxquels le royaume était en proie, et proclamèrent hautement le renversement de l’état, si l’on ne se hâtait d’y remédier. Secondé par les Parisiens, Marcel courut au palais du dauphin; il fit massacrer à ses pieds et dans sa chambre même, le maréchal de Normandie et celui de Champagne, et comme leur sang avait rejailli sur ses vêtemens, et qu’il avait paru en être effrayé , Marcel lui jeta pour sauvegarde son chaperon aux couleurs de la ligue, en lui disant avec une sorte de mépris: «On n’en veut point à ta
» personne...»
Bientôt le roi de Navarre se rendit à Paris escorté de ses hommes d’armes; il fit publier à son de trompe, qu’il voulait parler au peuple, le haranguer dans la place qui servait aux combats en champ clos; et là, il lui prouva, avec sa finesse d’esprit ordinaire, qu’il avait plus de droit à la couronne de France que celui qui la portait encore, et que le roi Édouard qui semblait y prétendre. Son discours fut couvert d’applaudissemens, et il devint en quelque façon l’idole du peuple.
Le dauphin, de son côté, voulut employer le même moyen; il vint aux halles haranguer le peuple à son tour; mais privé de cette éloquence persuasive que possédait si bien son compétiteur, il manqua son but et s’exposa au rire et aux huées de la multitude.
Il agit donc de finesse. Il promit et feignit d’accorder tout ce qu’on lui demandait; mais il s’assura en secret l’appui de la noblesse: il quitta la capitale, et ayant visité quelques provinces, il revint tenir les états généraux à Compiègne; là, il rassembla environ trente mille hommes d’armes, et, possesseur de quelque argent, il revint à Paris soumettre les révoltés.
Ce même Marcel, prévôt des marchands et chef des factieux, fut assommé par un nommé Maillard au moment où il se disposait à livrer les portes de la ville à Charles-le-Mauvais. Cette mort fit alors changer la face des affaires; elle ramena au parti du dauphin presque tous les insurgés sortis de ce peuple aussi prompt à vaincre pour une belle cause, que prompt à changer pour en défendre une autre.
Une chose remarquable, c’est qu’au milieu de ces troubles, de ces factions sans cesse renaissantes, le luxe, ver rongeur pour un état, qui, comme celui de cette époque était tout entier au métier des armes et totalement étranger au commerce, le luxe, dis-je, avait fait des progrès effrayans; on ne voyait dans toutes les villes que des fêtes brillantes et des repas splendides; on n’apercevait que hoquetons brodés et chaperons chamarrés de clinquant et de dentelles, tandis que les campagnes étaient en proie à la plus affreuse misère, que les villageois étaient écrasés par le travail et les impôts.
Quant à la noblesse, presque tous les seigneurs avaient aliéné ou vendu une partie de leurs domaines pour subvenir aux frais des croisades; et lorsqu’ils échappaient aux cimeterres des Sarrasins, ils rentraient en France et ne retrouvaient plus alors pour centre de possession, que leurs vieux châteaux, leurs donjons et leurs tours crénelées.
De là cette haine des nobles contre les vilains. Ils ne pouvaient voir sans une sorte de rage, leurs terres passées entre les mains et devenues la propriété de gens qu’ils s’étaient habitués à regarder comme esclaves; ils accusaient leurs ancêtres d’aveuglement devant la signature de ces actes qu’ils ne pouvaient annuler; ils employaient le peu de forces qui leur restaient pour opprimer le pauvre laboureur; tout enfin tendait chez eux à les ramener à leur ancienne condition, et pour y parvenir, il n’est pas de moyens honteux dont ils ne se servissent, pas de vieilles lois, de vieux abus, de vieux droits oubliés et perdus, qu’ils ne cherchassent à remettre en vigueur. Ils poussaient même la déloyauté jusqu’à produire de faux actes qu’ils soutenaient être authentiques; somme toute, les paysans étaient plus malheureux, libres et propriétaires du terrain qu’ils cultivaient, que lorsqu’ils labouraient ce même terrain sous le fouet de la servitude.
Mais ces exactions et ces mauvais traitemens sur des gens doux et inoffensifs, devaient enfin produire le germe d’une révolution. On se lasse de souffrir; et les paysans du Beauvoisy sentirent les premiers la dignité d’hommes. Ils se rassemblèrent un jour, et l’un d’eux osa dire hautement que tous leurs malheurs venaient de l’orgueil et de la cupidité de la noblesse qui, loin d’être comme ses ancêtres, était totalement dégénérée et ne trouvait plus de courage que pour maltraiter le peuple; or, le seul moyen de se délivrer de cette tyrannie était de punir les oppresseurs par le fer et la flamme.
Ces avis furent écoutés. Ils s’armèrent, et tous les habitans des contrées voisines suivirent leur exemple; malheureusement ils salirent leur cause si belle en elle même, par les massacres les plus horribles et les cruautés les plus inouies.
Leur nombre croissait de jour en jour; déjà près de quarante mille hommes étaient armés; ils avaient élu un chef qu’ils nommaient Jacques Bonhomme ; mais la noblesse s’étant liée pour se défendre contre ces nouveaux ennemis, elle eut bientôt exterminé les rebelles; le sire de Couci fut un de ceux qui leur fit le plus de mal. Ils furent poursuivis et traqués comme des bêtes fauves; et en effet, que pouvait cette multitude mal armée et forte seulement de sa férocité et de son désespoir, contre une forêt de lances et des hommes bardés de fer?.... Il fallait succomber: les révoltés succombèrent!....
Mais un principe de haine, un germe de révolte n’en resta pas moins caché dans le cœur des villageois, et combien de siècles ont passé depuis cette époque sans les détruire entièrement!
Un règne en butte à tant de désordres, de guerres, de révolutions, est loin d’être un règne tranquille, et celui qui lui succède ne peut que s’en sentir long-temps encore: c’est ce qui arriva.
Le dauphin, à son avènement au trône sous le nom de Charles V, eut plusieurs guerres à soutenir.
Édouard, le vainqueur de Poitiers, se vit enlever en quelques campagnes les provinces qu’il possédait encore et qui lui coûtaient si cher. Charles de Navarre renouvela ses prétentions sur la Brie et la Champagne; mais Duguesclin vivait et Duguesclin le battit. Duguesclin! l’ennemi né des Anglais! celui dont le nom seul les faisait trembler! et, pour me servir des expressions de Mézerai, qu’ils n’osaient plus regarder que par les créneaux de leurs murailles!
Charles avait appris à se connaître; il avait eu la force de se juger: chef souverain d’un peuple guerrier, il ne se sentait pas le courage de le conduire lui-même à la victoire; il se souvenait de la bataille de Poitiers, et ne voyait en lui qu’un soldat médiocre et peureux. D’ailleurs sa santé toujours faible et chancelante le rendait incapable de suivre lui-même des opérations militaires; et l’on donne pour cause de cette espèce de langueur à laquelle il était en proie, les effets d’un poison assez violent qui lui fut administré par Charles-le-Mauvais lorsqu’il n’était encore que dauphin; poison qui lui fit tomber, en moins d’un mois, là barbe, les ongles, la peau, et auquel il n’échappa qu’en se faisant faire au bras gauche une large incision pour donner une plaie à l’activité du venin.
Néanmoins, Charles conserva toujours une ame de feu dans un corps faible et débile. Ses vingt-deux ans de souffrances n’ôtèrent rien à la force de son jugement, et ses qualités politiques lui valurent le surnom de Sage.
Si les guerres furent longues et nombreuses sous son règne, c’est à la position critique où il se trouvait, qu’on doit en attribuer tous les malheurs; ces guerres devenaient nécessaires pour employer un corps militaire que jusqu’alors on n’avait pu discipliner. Lorsqu’ on était en paix, ce corps redoutable se partageait en différentes bandes, lesquelles avaient chacune un chef; elles se répandaient ensuite dans les campagnes, pillaient et ravageaient ceux que quelques jours avant elles venaient de défendre. Ces bandes étaient connues sous le nom de grandes compagnies ou malandrins, et les soldats qui les composaient, dédaignant de retourner à la charrue, se livraient à toutes sortes de brigandages et de dilapidations, et devenaient pour l’Etat un fléau plus terrible encore que celui des guerres civiles.
Charles-le-Sage finit par se défaire de ces soldats en les envoyant, d’abord en Bretagne soutenir Charles de Blois, ensuite en Castille, à la solde de Henri de Transtamare qui disputait le trône à son frère Pierre-le-Cruel.
Ce même Henri, meurtrier de son frère, qu’il poignarda au milieu d’une bataille, devint plus tard l’allié fidèle de Charles V, qui, pour effacer la honte du traité de Bretigny, ajourna, comme seigneur suzerain, le duc de Guyenne à la cour des pairs. Il déclara en même temps la guerre à Edouard, roi d’Angleterre, et bientôt cinq armées furent sur pied pour défendre l’indépendance du royaume.
Dans cette occurrence, Charles prévoit tout; il ne peut commander lui-même, mais il a, dans son cabinet, réglé jusqu’aux marches et aux campemens. Duguesclin est son bras droit; il vient de le faire Connétable en lui confiant la plus nombreuse de ses armées. La victoire lui sourit; en quelques jours la Guyenne est presque conquise; mais le général anglais, par une marche aussi savante que prompte, tourne l’armée et fond à l’improviste sur la capitale dont les murailles, hérissées de fer, le tiennent quelque temps en échec.
On provoque, on injurie le roi de France, on le défie au combat, et des fenêtres du Louvre on entend les trompettes et les fanfares anglaises.
Charles ne s’en émeut point; il est calme, réservé ; aucune sortie n’est faite, elle aurait pu lui être funeste; et par cette impassible fermeté, il lasse le général anglais, qui chaque jour et de plus en plus resserré par Duguesclin, est enfin obligé de lever le siège et de battre en retraite. De son côté Henri attaque la flotte anglaise et réussit à couper les communications entre la Guyenne, où les généraux français ne trouvent déjà plus d’obstacles à vaincre.
Tout semblait favoriser le roi Charles, et c’est alors seulement qu’il parvint à rabaisser l’orgueil de ses rivaux, et à leur prouver, que pour le bien des empires, un roi prudent et sage, est souvent plus fort qu’un roi courageux.
Après avoir jeté un coup d’œil rapide sur la position intérieure de la France à cette époque, j’ajouterai:
Que les guerres nombreuses soutenues par Charles V, ne l’avaient point empêché d’amasser des richesses immenses pour le temps, et de doter l’état, et la capitale surtout, de monumens précieux qui seuls pouvaient immortaliser un règne.
Secondé par Hugues Aubriot, prévôt des marchands, qu’il nomma plus tard intendant des finances et premier ministre, il fit élever les murs crénelés de la fameuse Bastille; jeta sur la Seine plusieurs ponts, entre autres celui de St Michel; construisit le petit Châtelet et fit enfin reculer les limites de la ville, qu’il entoura de murailles, depuis la porte Saint Antoine jusqu’à celle du Louvre.
Tous ces travaux et embellissemens lui avaient gagné l’amour de ses sujets, mais malheureusement pour eux, il ne vécut pas assez; son fils qui lui succéda, trop jeune encore pour occuper le trône, dut laisser les rênes de l’état entre les mains de ses oncles, qui devinrent les oppresseurs du peuple et dissipèrent en peu de temps les richesses que le feu roi avait amassées avec tant de peine.
Le peuple n’avait plus de défenseurs Charles V venait de succomber, et son ministre languissait dans les fers!..