Читать книгу Poum : aventures d'un petit garçon - Paul Margueritte - Страница 7
Cousine Mad
ОглавлениеPoum vivait donc au cœur du grand jardin, qui symbolisait pour lui le paradis, ni plus ni moins; le paradis de ses échappées folles, de ses courses après les papillons; le paradis de ses gourmandises, car le verger regorgeait de prunes mûres, et l’herbe s’étoilait de noyaux de prunes mangées; le paradis de ses peurs, quand les guêpes bourdonnaient, ou que les taillis, le soir, s’assombrissaient, ou que le grand chien de garde, Polyphème, aboyait, comme un monstre sauvage!
Dans ce paradis, deux êtres, aux yeux de Poum, complétaient, avec Polyphème, une trilogie d’où se tiraient tous les éléments de drame et de comédie, d’idylle et de mystère, dont ce minuscule individu, poète comme tous les enfants, récréait son esprit; j’entends par là ses cousins Stéphane et Madeleine, cousin Stép et cousine Mad!
Le reste du monde n’existait pas pour Poum. Mais cousin Stép! Ah! par exemple, celui-là n’était pas un garçon ordinaire! Brun, velu, fort comme un Turc pour ses seize ans, nul mieux que lui ne savait tenir une chaise en équilibre sur l’extrémité de son nez, ni lever une table en l’air au bout de ses dents. Il déployait une merveilleuse aptitude pour se déguiser en sauvage ou en fantôme. Il savait faire la grosse voix de gendarme, celle de l’homme des bois ou de Croquemitaine. Et quelles inventions taquines, sournoises et redoutables! Comme il faisait peur à Poum en le menaçant de le jeter tout cru dans la gueule de Polyphème! Comme il savait le faire pâlir en lui annonçant que des voleurs, indubitablement, pénétreraient cette nuit dans la maison et égorgeraient tout le monde, à commencer par Poum! Ce Stép, vraiment, avait le génie cruel. Il représentait le mal; c’était l’Ahrimane du paradis enfantin de Poum, qui l’adorait et l’exécrait!
Mais cousine Mad! Oh! celle-là, c’était l’être de lumière et de tendresse, la fée, l’Eve blonde de cet éden, l’Ormuzd femelle. Elle symbolisait tout ce qui est douceur, beauté, bonté ; elle incarnait des visions suaves, des souvenirs de mains blanches bordant un petit lit, de lèvres molles baisant des paupières qui palpitent et se ferment de sommeil; elle rappelait mille précieux petits dons: poupées taillées dans un chiffon, ciseaux prêtés afin de découper, bien sage, des images au pied de sa table à ouvrage; et c’étaient encore des tartines de confitures, et puis des petites chansons allègres jouées au piano, en un tapotement de notes qui ressemblait à une danse de marionnettes. Oh! cousine Mad!
Par malheur, elle n’était pas toujours là pour défendre Poum et le protéger contre son frère, le terrible Stép!
Ce matin-là, Stép justement était d’humeur farouche; et Poum, rien qu’à le considérer, sentait une délicieuse et atroce terreur se glisser comme une couleuvre froide le long de son dos et glacer son petit derrière. Aussi se tenait-il à distance, prêt à une fuite qu’il savait d’ailleurs inutile, le cousin faisant les enjambées de sept lieues de l’Ogre.
Stép, une main à son menton, contemplait, en louchant effroyablement, maître Poum; il ricanait d’une façon sarcastique et insensée; et son silence planait, gros d’épouvante. Pour se mettre en appétit, il avait déjà proposé au jeune gentleman de l’enduire de miel, afin de le faire dévorer par les guêpes et les abeilles. Ensuite il avait imité Polyphème avec une rare perfection, en aboyant si fort que celui-ci, du fond de sa niche, avait fait chorus et mis en rumeur tous les chiens du voisinage. Puis il avait invité son minuscule cousin à s’asseoir, et, chaque fois, il lui avait retiré brusquement la chaise, en le laissant choir sur des orties. Que pouvait-il bien méditer encore? Tout à coup il parla:
— Poum! déclara-t-il... Poum! reprit-il après un court silence d’angoisse... Poum! je meurs de faim!
Il montra ses dents en roulant les yeux comme un cannibale:
— Poum!... je pense que vous n’êtes pas bien gras, je pense que vous devez être coriace, je pense que j’aimerais mieux manger un lapin, ou me dinde, ou un cochon de lait. Mais comme je n’ai ni cochon de lait, ni dinde, ni lapin sous la main, je vais vous manger, Poum!...
Poum devint pâle, et ses jambes flageolaient: il avait beau se dire: «Ce n’est pas vrai! c’est pour rire!» il avait peur tout de même.
Mais Poum se sentit tout à coup consterné.
Cousin Stép continua:
— Seulement, comment vais-je vous manger, Poum? là est la question! Haché menu et trempé dans la saumure? Dépecé en quartiers frits à la poêle? Bouilli dans la marmite ou salé au court-bouillon? Et à quelle sauce? mayonnaise, tomates, oignons, vinaigrette? Sur une purée de fèves, peut-être, ou plutôt... Eh! oui, qui sait?... les pommes de terre sont si bonnes en ce moment que... Non, décidément, Poum, je vous mangerai comme un agneau, rôti à la broche!
Et, ce disant, Stép fondit sur lui et en une seconde l’emporta, ligoté et ficelé comme un saucisson, devant le feu de la cuisine:
— Là ; je vous embrocherai tout à l’heure (il dépendit une terrible lardoire); en attendant, un petit air de feu vous attendrira, et je vais toujours préparer la table. Ne pleurez pas, Poum, je vous prie, — car la victime commençait à sangloter tout bas, — ne pleurez pas, vous pourriez éteindre le feu!
Et Stép mit la nappe sur la table, disposa à grand bruit les assiettes, se coupa une tranche de pain large comme une roue de voiture, se versa, en clappant la langue, un litre de vin dans un verre immense, gagné à la foire et qui était large comme un pot à fleurs. Puis, décrochant sa montre de son gilet, il sembla calculer le temps que prendrait la cuisson, et, ayant été retourner Poum qui commençait à devenir très rouge, il s’assit, les jambes croisées, en se livrant à un monologue où de cruelles alternatives d’espoir succédaient pour le jeune agneau rôti au découragement le plus affreux:
— Ai-je si faim que cela? insinuait Stép. Peut-être pourrai-je attendre à demain et mettre Poum en liberté ? Oui, mais il se sauverait!... Non, qu’il cuise! Je vais lire mon journal en attendant. (Et il déployait un journal, s’arrêtait: ) Ai-je bien le droit de manger ce petit Poum, qui est si gentil, qui aime tant les prunes et les confitures? (Il prenait une voix terrible:) Oui, oui, j’en ai le droit, car il m’a volé l’autre semaine vingt-six mouchoirs de poche et une somme de trois mille francs que je possédais en timbres-poste (supposition bien gratuite, mais Poum en ce moment y crut presque et se désola d’avoir volé). — Allons, finissons-en, et que je l’empale!
Là, Poum poussa des cris si aigus et si épouvantables que toute la maison en émoi s’agita, dans un bruit de portes et de fenêtres ouvertes; le méchant Stép soudain disparut, s’envola par la croisée; et, radieuse, cousine Mad s’élança dans la pièce, au secours de Poum affolé.
Ah! Dieu! que c’était doux pour lui de s’en aller maintenant, le cœur encore pantelant et les yeux rouges, la main dans celle de Mad, au milieu du jardin, dans la direction des prunes, tout en suçant un gros et consolant sucre d’orge! Quelle lumière de soleil! Comme les fleurs sentaient le miel! Et les guêpes qui ne piquaient pas! Et Stép disparu, évanoui! Peut-être reparaîtrait-il, aiguisant encore son grand couteau; mais non, c’était un rêve, tout cela, un cauchemar! Comme l’avait dit cousine Mad: «C’était pour rire!» Et elle avait ajouté :
— Oh! le petit bêta!
Mais Poum, quoique susceptible, ne s’était pas senti froissé ; et il se serrait contre la robe moelleuse de la jeune fille, levant son menton et renversant son nez retroussé pour mieux l’apercevoir, sa protectrice, sa douce, l’ange aux yeux bleus. Elle lui disait:
— Courons, Poum! attrape-moi!
Et sa robe voltigeait comme un grand papillon blanc, et il l’attrapait toujours; comment cela se faisait-il? Mais voilà qu’on était arrivé sous les prunes: quelle bonne odeur chaude et sucrée!...
— Tiens, Poum! disait Mad, mange celles-ci, ce sont les meilleures!
Mais Poum, au milieu de son bonheur, se sentait tout à coup consterné : une affreuse constatation, un jour de vérité navrante se faisaient en lui. Sans s’en apercevoir, dans sa terreur et son trouble, là-bas, ficelé devant le feu, il avait... il s’était... oh Dieu, oui! et son petit pantalon en était tout humide! Et voilà, comble d’humiliation, que cousine Mad, reconnaissant la cause de son air penaud, s’écriait:
— Poum, oh! le petit sale!
Et Poum alors fondait en larmes. Elle essayait de le consoler, l’emmenait dans sa chambre pour le changer. Et Poum, suppliant, répétait, prévoyant quel avantage et quel parti cousin Stép saurait tirer d’une catastrophe pareille:
— Ne lui dis pas, Mad, ne lui dis pas!
Mad le promettait.
— Jure-le, Mad, jure-le!
Mad jurait. Alors le petit Poum, habillé et changé, très honteux encore, mais rassuré et content, lui disait:
— Je t’aime, Mad, je t’aime!
Et il lui mettait les bras autour du cou, et il l’embrassait de toutes ses forces, étonné qu’elle sentît si bon la fraise; eh! parbleu, c’étaient ses lèvres qui sentaient ainsi: les jolies, les exquises fraises des bois!
— Mad, je veux que tu sois ma femme! Quand je serai grand, Mad, je te prendrai pour femme!
Elle répondait:
— Oui.
Et elle ajoutait:
— Pauvre petit Poum!