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Les chapeaux

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Ce soir-là, les parents de Poum donnaient un grand dîner. Par principe et par amour-propre, ils recevaient d’une façon très brillante; aussi Poum entendait-il parler de ce dîner depuis trois semaines. Des phrases telles que: «L’évêque viendra.» — «Le général aussi, si sa goutte le lui permet.» — «Des foies gras de Strasbourg.» —«Un beau chevreuil.» — «Ma robe rose garnie de point d’Alençon.» — «Du pomard de grand-père. » — Le lustre du grand salon.» — «Une livrée neuve aux domestiques» — et quelques autres propos semblables dansaient, en obsession, dans sa petite tête!

Il aimait bien que ses parents donnassent de grands dîners, d’abord parce qu’il n’y assistait pas; ensuite parce qu’il lui était donné, s’il avait été bien sage, de voir sa mère dans l’éblouissement de sa belle robe et de jeter un coup d’œil sur la table parée comme un autel, avec ses blancheurs, ses éclats de cristaux et d’argenterie, ses pyramides de fleurs et de fruits; enfin parce que, lorsque tout le monde était à table et qu’il ne risquait pas d’être surpris, il pouvait se glisser dans l’antichambre et là, devant deux grands divans plats, sur lesquels s’amoncelait tout un étalage de chapellerie, dénombrer et contempler en extase les coiffures variées que les invités avaient déposées, en entrant.

Oh! ces chapeaux, c’était inouï qu’il y en eût tant, c’était à faire croire que chaque personne venait avec deux chapeaux au moins, l’un sur la tête et l’autre à la main. Il y en avait de toutes les couleurs, de toutes les formes, et de l’or, et de l’argent, et des plumets, et des broderies, depuis le chapeau à cornes du général, en passant par le casque à aigrette de son aide de camp, jusqu’aux casquettes vertes, rouges, noires, à galons d’or des officiers supérieurs, jusqu’au bicorne brodé d’argent du préfet, jusqu’au chapeau rond et plat de l’évêque, poilu comme un castor et lustré comme du vernis, avec une ganse violette autour!

Par malheur, Poum n’avait pas été sage, aussi, malgré ses supplications et ses larmes, il lui fut impitoyablement refusé de voir sa mère en robe rose et de glisser son œil dans la salle à manger féerique. Condamné à dîner seulement d’un petit potage de semoule au lait, agrémenté d’une tranche de pain sec, il devait, c’était l’ordre, être fourré et bordé étroitement dans son lit avant l’arrivée des convives!

Quoi! ne pas même guetter au trou d’une serrure l’arrivée de ces importants et mystérieux personnages; écouter, sans pouvoir dormir, le bourdonnement confus des voix de la salle à manger, jusqu’au grand bruit de chaises reculées, suivi d’un lourd silence, qui marquait le passage par couple au salon! Quoi! ne pas épier le va-et-vient empressé des domestiques, ne pas humer les plats au vol! Poum se fût consolé de tout cela, encore. Mais ne pas admirer, en une sorte d’extase hypnotique, ses amis les chapeaux, ces chapeaux variés, brillant neuf, dorés et argentés sur tranche, avec des coiffes de satin qui sentaient bon la pommade... Non! non! l’âme de Poum se révolta. Il rendrait visite aux chapeaux, il les compterait, il les tirerait un peu par l’oreille pour voir s’ils ne s’ébouleraient pas, il leur caresserait le poil doucement, comme à des bêtes inoffensives, il pousserait l’audace, peut-être, jusqu’à en tenir un entre ses mains, le plus petit, et, avec une terreur et une joie indicibles, à l’essayer sur sa propre tête devant la glace!

Fortifié par une si noble résolution, il manges sans trop de mélancolie sa petite semoule au lait et sa tranche de pain sec, se laissa déshabiller et coucher par sa bonne, Pauline. Celle-ci, assez maussade, le pressait.

«Dites votre prière, Monsieur.

— Oui, Pauline, — et, son Notre Père achevé, il implora:

— Pauline, ne m’appelez pas Monsieur, appelez-moi Poum, Pauline!

— Je vous appellerai Monsieur, puisque vous vous faites mettre au pain sec. Dormez tout de suite, Monsieur.»

Poum, le cœur gros, ferma les yeux immédiatement; il adorait Pauline et il en avait très peur. Sournoisement, il attendit qu’elle eût achevé de ranger ses habits sur une chaise et eût emporté la bougie; il se dressa alors sur son séant, écouta les bruits confus de l’antichambre, le claquement des portes, le fracas de la vaisselle dans la cuisine, la rumeur d’invasion des hôtes dans la salle à manger, un brouhaha de voix qui traversait les cloisons. Longtemps, il attendit, dans l’obscurité, son regard dirigé vers le petit point lumineux de la serrure, avec la crainte que Pauline ne l’espionnât derrière la porte et n’entrât le menacer du fouet. Justement, la serrure grinça; et Poum, comme un lapin affolé, ressauta au plus vite dans les draps. Une forme s’approcha de lui, dans le noir; une main — était-ce pour la fessée? — tâtonna sur le lit.

«Vous dormez, Poum? demanda la femme de chambre.»

Et il répondit naïvement, d’un ton bien sage:

«Oui, Pauline, je dors.

— Tenez, dit-elle en lui glissant un petit four sec dans les doigts, dites que je ne suis pas bonne! Mais vous irez le rapporter encore à votre maman, et je serai grondée.

— Oh! non, Pauline!»

Et, délicieusement, Poum se mit à croquer le petit four dont les amandes faisaient: Grocl croc! sous ses dents.

«Pauline, est-ce qu’il est venu dîner, est-ce qu’il avait son grand chapeau violet?

— Qui ça?

— Le chevreuil, Pauline!

— Le chevreuil?

— Non, je veux dire l’évêque, Pauline; et est-ce qu’on l’a servi sur la table et est-ce qu’on l’a mangé ?

— Qui ça?

— L’évêque... le chevreuil, Pauline!

— Vous dites des bêtises, Poum. Oui, tout le monde est venu; on est à la moitié du dîner, et dormez tout de suite.

— Oui, Pauline, merci, Pauline.»

Elle sortit, et il se rétablit sur son séant, calculant le moment où le dessert servi et le va-et-vient des domestiques ralenti, il pourrait, avec moins de risque d’être surpris, ouvrir la porte de sa chambre, celle du couloir, et, se glissant dans l’antichambre, s’y trouver face à face avec l’étalage pompeux et suggestif des chapeaux. L’heure était venue, il coula à bas de son lit et avec des battements de cœur effroyables, en chemise, il tourna sans bruit le loquet de la première porte, puis celui de la seconde. A sa grande stupeur, ayant risqué un œil par l’entre-bâillement de la porte, il vit que d’autres que lui avaient eu l’idée de venir admirer les chapeaux: presque tous les domestiques étaient la, groupés devant l’étalage et si absorbés qu’ils ne paraissaient pas se douter de sa présence.

Les trois hommes ébauchèrent un peu de cancan.


Il reconnut le gros Jean, le cocher, et Firmin, le valet de chambre, et Pauline, et la vieille Agathe, et Baptiste le serveur, et le cuisinier Rigobert. Baptiste, délicatement, élevait en l’air le chapeau à plumes blanches du général et le faisait admirer aux femmes à la fois scandalisées et ravies. Firmin avait pris, avec un gros rire étouffé, le chapeau à poil de castor de l’évêque, et il le mit tout à coup sur la tête du gros Jean, ce qui fit rire tout le monde. Baptiste alors campa le bicorne emplumé du général sur la tête de Pauline. Elle l’ôta vivement, mais Baptiste le reprit et l’enfonça sur sa tête à lui. Firmin s’était coiffé de la casquette brodée d’un inspecteur des forêts, et, la bouche fendue de guingois, l’air canaille et ravi, les trois hommes ébauchèrent un pas de cancan devant les femmes indignées, terrorisées, et prises tout de même d’un rire étouffé et convulsif. Le gros Jean avec son chapeau d’évêque retournait sa lèvre et roulait des yeux blancs, dans une grimace hideuse. Firmin portait sa casquette sens devant derrière. Baptiste, sous le chapeau du général, dansait des entrechats à décrocher le bec de gaz. Une sorte de vertige devant ce spectacle prit le cuisinier Rigobert: il empila cinq ou six chapeaux les uns sur les autres, et, coiffé de cette pyramide, il se mit à pivoter comme un derviche tourneur, tandis qu’Agathe et Pauline, grisées à la contagion, polkaient ensemble en relevant leur robe de la main gauche.

Poum, dans son trouble, sa stupeur, son envie de rire et de pleurer à la fois, car cela lui semblait très drôle et très inconvenant, ne put, les pieds glacés par le carreau, retenir son nez qui partit, en coup de pistolet, secouant des éternuements prolongés. Ce bruit insolite pétrifia les danseurs; ils jetèrent pêle-mêle les chapeaux et se bousculant déguerpirent, pris d’une panique telle, que le gros Jean se cogna le front à un portant et qu’Agathe perdit sa pantoufle. Alors Poum sentit sa petite rate se dilater comme un ballon, et, riant, de tout son cœur, il regagna son lit si précipitamment qu’il renversa Thomas et ce qu’il y avait dedans!

Poum : aventures d'un petit garçon

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