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§ IV.

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Le salut de la Convention valut à Bonaparte la confiance du gouvernement républicain et le commandement de l’armée de l’intérieur. Sa première pensée fut d’appeler auprès de lui et de s’attacher un jeune officier qu’il avait connu presque enfant et pour lequel il avait éprouvé tout d’abord une vive affection. «Bonaparte, dit le duc de Raguse, devenu général en chef de l’armée de l’intérieur, se souvint de moi, et me fit nommer son aide de camp.» (I, 85.)

Voilà donc Marmont admis à partager les bénéfices de toutes les infortunes qui avaient poursuivi Bonaparte (I, 84), à profiter notamment de la radiation du tableau de l’artillerie, sans laquelle le futur général en chef de l’armée d’Italie aurait été enfoui dans l’Ouest, avec ses talents supérieurs et condamné à ne jamais sortir de LA PLUS PROFONDE OBSCURITÉ. (I, 88.)

Voilà la vanité jalouse bien placée pour épier le génie confiant 1 Voyons comment elle a usé de ce privilége et abusé d’une faveur qui aurait tenté et satisfait l’orgueil de tant de hautes intelligences, de tant de nobles caractères.

Accouru en toute hâte à Paris, pour y prendre possession du poste aussi avantageux qu’honorable que lui avait fait accorder l’amitié d’un général, dont la renommée naissante égalait ou surpassait déjà les plus vieilles réputations de l’armée, le jeune Marmont profita de son séjour dans la capitale pour prendre sa part des fêtes et des plaisirs de l’époque. Ce fut le moment où son général rechercha et obtint la main de madame de Beauharnais. Il dit à propos de ce mariage: «Une chose incroyable; et cependant très-vraie, c’est que l’amour-propre de Bonaparte fut flatté. Il a toujours eu beaucoup d’attrait pour tout ce qui se rattachait aux idées anciennes, et, lorsqu’il faisait le républicain, il était toujours sensible et soumis aux préjugés nobiliaires. Je le conçois, j’ai toujours eu moi-même cette manière de sentir.... Mais que le général Bonaparte se crût très-honoré par cette union, car il en était très-fier, cela prouve dans quelle ignorance il était de la société en France avant la révolution. Je l’ai entendu plus d’une fois s’expliquer avec moi à cet égard; enfin, grâce à ses préventions, je serais tenté de croire qu’il imagina faire par ce mariage un plus grand pas dans l’ordre social que lorsque, seize ans plus tard, il partagea son lit avec la fille des Césars. :» (I, 94-95.)

Tout est exagéré, dénaturé dans ces quelques lignes. Que Napoléon ait attaché plus tard de l’importance, comme fondateur de dynastie, à ce qui pouvait rester de valeur morale à la solidarité héréditaire et aux traditions domestiques dans les familles titrées, cela est incontestable; mais qu’il se soit trouvé honoré, lui, né dans le sein de la noblesse, de s’unir à une femme noble, et que l’élève du dix-huitième siècle, le savant dont la place était marquée à l’Institut, l’illustre soldat de la république estimât s’élever beaucoup, en l’an III, dans la hiérarchie sociale, en épousant son égale selon l’ordre ancien comme selon l’ordre nouveau, c’est une prévention, une inconséquence, une faiblesse que l’aide de camp imagina surprendre chez son général, ou une petitesse qu’il a trouvé piquant d’imaginer depuis, pour en faire une tache de plus à jeter sur la mémoire d’un maître traîtreusement délaissé et scandaleusement renié.

Marmont, sans doute, put remarquer dans les mouvements intimes, comme dans les manifestations extérieures du général Bonaparte, associant à sa destinée une femme qu’il adorait, plus de joie, d’enthousiasme et d’ivresse, que ne dut en laisser apparaître l’empereur Napoléon faisant asseoir à côté de lui, sur le trône, une princesse que les combinaisons de la politique amenaient seules dans sa couche. Mais si le contentement que le général éprouva de son premier mariage sembla le rendre fier de s’allier à une illustre famille, ce sentiment ne lui vint pas à coup sûr de ce qu’il aurait toujours été soumis aux préjugés nobiliaires, même lorsqu’il faisait le républicain, et de ce qu’il aurait cru faire un grand pas dans l’ordre social, selon l’expression du duc de Raguse; cette fierté ridicule d’un parvenu vulgaire n’allait pas à l’âme grande et forte de l’homme qui savait n’avoir pas besoin d’alliance pour s’anoblir, et qui attachait si peu de prix à la noblesse originelle, dont le hasard de la naissance l’avait d’ailleurs gratifié, qu’il répondit un jour à des généalogistes italiens, empressés de lui découvrir des ancêtres et de lui trouver de nombreux quartiers, que sa noblesse ne datait que de Montenotte, c’est-à-dire de la première bataille qu’il eût gagnée, comme général en chef, sur les ennemis de la France.

Bonaparte, devenu l’époux de Joséphine, ne pouvait être et n’était réellement fier que de son bonheur; fier d’avoir fait partager son affection à une femme dont il était éperdument amoureux et qui brillait et régnait dans le monde par les charmes de sa personne, par les grâces de son esprit et par les belles qualités de son âme, beaucoup plus que par les attraits de son blason.

Quant à l’accusation d’hypocrisie républicaine, glissée en passant dans une phrase incidente pour rendre plus saillante l’incroyable superstition aristocratique du héros populaire, elle n’a pas plus de fondement et de portée que le reproche de soumission intime et persévérante aux préjugés nobiliaires. Bonaparte, écrivant le Souper de Beaucaire pratiquant Robespierre jeune, donnant les noms de la Convention et des sans-culottes à ses batteries, ou déplorant la réaction de thermidor, ne faisait pas le républicain, IL L’ÉTAIT!... il l’était sincèrement parce qu’il fallait l’être alors, et non pas seulement le faire, pour figurer au premier rang, avec vigueur et puissance, dans la lutte terrible où la révolution et la nationalité étaient menacées de périr; parce que la république, en ces jours d’orages et de périls, était voulue de Dieu et du peuple, comme la forme logiquement indiquée par la force des choses, comme la seule institution qui pût donner à la France, attaquée de tous les côtés par les troupes étrangères et par les conspirations intérieures, la surexcitation politique et la fièvre guerrière dont elle avait besoin pour passionner les masses populaires et tirer de leur sein d’innombrables défenseurs de la patrie, d’héroïques gardiens de l’honneur national, d’invincibles champions de la régénération sociale. Il avait été républicain en l’an II, par les mêmes raisons qui le firent songer plus tard à la dictature, par la suprême considération de la grandeur du pays et de l’énergie du gouvernement, par le sentiment profond des nécessités auxquelles étaient attachés le salut et le développement de la révolution française. Il l’était encore, au même titre, quand il mitrailla sur les marches de Saint-Roch le royalismo auxiliaire de l’étranger, et qu’il fut amené, par cette victoire même, aux pieds de madame de Beauharnais.

Il continua de l’être sur les champs de bataille de l’Italie, quand il détruisit coup sur coup tant d’armées autrichiennes et qu’il put couronner la plus merveilleuse des campagnes par cette orgueilleuse exclamation qu’avait provoquée la diplomatie étrangère: La république française est comme le soleil; malheur à qui ne le voit pas! Il le fut enfin aussi longtemps que l’exigea l’intérêt bien entendu de la France nouvelle, aussi longtemps que la représentation collective de la souveraineté nationale ne mit pas en danger cette souveraineté elle-même. Mais ce danger venant à se produire, le républicain de Toulon et de vendémiaire n’était pas assez idolâtre des signes externes et des simples images de la démocratie, pour laisser perdre au fond, et ruiner entièrement la grande et sainte cause de la révolution française et du progrès universel, sans faire intervenir souverainement son génie libérateur, par respect superstitieux pour des divinités impuissantes, pour des formes dépouillées de leur prestige, abandonnées de l’opinion, abusivement exploitées par les factions, et ne servant plus, contre l’esprit et le but de leur institution, que les desseins et les espérances des fanatiques serviteurs de l’ancien régime, fauteurs de la guerre civile ou provocateurs de coalitions étrangères.

En voilà assez sur la vanité aristocratique et les semblants républicains de Bonaparte. Le sagace aide de camp qui a surpris, sinon imaginé, ce travers et cette dissimulation, dans l’homme et dans le citoyen, n’a pas fait, s’il faut l’en croire, de moins curieuses découvertes dans le général, en faiblesses, en aberrations, en bévues ou méprises de toutes sortes. Suivons donc le héros et son Argus à l’armée d’Italie, et voyons-les tous les deux à l’œuvre dans cette immortelle campagne.

Réfutation des Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse

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