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§ I.

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Il ne faut pas pousser bien loin la lecture des Mémoires de M. le duc de Raguse, pour y trouver la justification de la pensée que j’ai déjà émise sur la longue préparation du superbe maréchal au triste rôle qui lui échut en 1814, et pour demeurer parfaitement convaincu que le signataire de la capitulation de Paris, ou si l’on veut le manœuvrier d’Essonne, ne fut jamais profondément attaché à la cause qu’il servit, même avec éclat, jusqu’à la Restauration.

Au début du livre, le jeune Marmont, simple élève d’artillerie à l’école de Châlons, se présente, il est vrai, comme étant alors tout disposé à se faire une religion des principes de liberté et de patrie. (I, 24.) Mais il déclare en même temps que ces généreuses tendances étaient combattues en lui par deux sentiments qui faillirent le jeter, dès 1792, sur le chemin de la terre étrangère. «J’avais, dit-il, pour la personne du roi un sentiment difficile à définir, et dont j’ai retrouvé la trace, et en quelque sorte la puissance, vingt-deux ans plus tard.» Cependant ce royalisme indéfinissable, qui se réveilla si vivement, en 1814, au retour de l’auguste exilé d’Hartwel, après avoir dormi d’un sommeil si profond à la poursuite du prétendant de Vérone; ce royalisme inné qui faisait du monarque un être d’un ordre supérieur, et qui attribuait au mot de roi une magie et une puissance que rien n’avait altérées dans les cœurs droits et purs; ce royalisme qui avait un caractère presque religieux, comme l’amour de la liberté et de la patrie, Marmont ne lui accorde que le second rang parmi les influences qui mirent en danger ses inspirations libérales et patriotiques. Admis dans les meilleures maisons de Châlons, il y rencontra une femme charmante dont le nom ressemblait beaucoup au sien, et dont le mari, capitaine d’artillerie, avait émigré. Elle joignait à toutes les séductions de la première jeunesse un esprit extrêmement remarquable: aussi lui inspira-t-elle promptement une fort grande passion. «Ma belle dame, dit le maréchal, détestait la révolution, et ses excès me faisaient horreur. Il ne s’en est pas fallu de beaucoup alors que ce sentiment ou cette influence ne m’ait précipité dans les chances hasardeuses et incertaines de l’émigration. » (I, 24-25.)

Marmont se trompe. A cette époque, il ne songea pas sérieusement à émigrer. Les hésitations qu’il s’est rappelées plus tard ne prouvent qu’une chose, la fragilité et l’incertitude des principes libéraux et patriotiques pour lesquels il croyait et disait professer une espèce de culte. Pour ce qui est de l’émigration, en supposant que la belle dame y eût consenti, ce parti n’était pas fait pour tenter un jeune homme qui avait de la prévoyance, et dont l’ambition l’emportait à la fois sur le royalisme qui lui venait de la tradition, aussi bien que sur le libéralisme qu’il tenait des circonstances. La révolution, malgré ses excès, était alors dans toute sa force; elle était pleine de jeunesse et d’avenir, son drapeau portait dans ses plis d’immenses promesses. Marmont avait soif de renommée; il rêvait la gloire, la fortune, une grande existence, un grand pouvoir peut-être. L’émigration n’avait rien de pareil à lui offrir; la révolution lui faisait espérer tout cela. Marmont n’avait pas à balancer: il demeura à la révolution, sauf à l’abandonner le jour où elle ne pourrait plus sauvegarder les hautes portions qu’elle aurait données.

Il était si bien décidé à rester et si éloigné de toute idée d’expatriation, qu’ayant été compromis et menacé de la lanterne comme aristocrate dans un mouvement populaire dont il impute la provocation à ceux de ses camarades qui passaient leur vie au club des jacobins (il cite parmi eux Foy et Demarçay), et ayant obtenu l’autorisation d’aller attendre sa destination définitive dans sa famille, d’où il aurait pu se rendre aisément à l’étranger, il fut le seul des élèves à ne pas profiter de son congé et à prolonger son séjour à Châlons. Ce fut sans doute la passion qui le retint ainsi au milieu d’une population violemment irritée contre les jeunes gens de l’école d’artillerie. Mais quand il eut été arraché par son père à la domination de sa belle maîtresse, et qu’il eut été rendu à lui-même par les sages conseils de ce père et par les soins touchants de sa mère (1, 29); quand, après avoir été obligé de renoncer pour toujours à la première femme qu’il eût aimée, il quitta le foyer paternel pour suivre sa vocation et courir les hasards de la guerre, le royaliste constitutionnel, l’aristocrate de Châlons pensa-t-il alors à se diriger vers l’armée des princes, et à tirer l’épée pour la famille royale dont le sort le préoccupait vivement, et contre les jacobins qui avaient voulu le mettre à la lanterne?

Non, ce ne fut pas vers le camp des émigrés qu’il se pressa de porter ses pas, bien que l’un de ses meilleurs camarades, Duroc, lui en eût montré le chemin. Il aurait volontiers, dans l’occasion, tenté de sauver le roi, dût la mort en être le prix; il enviait sincèrement le bonheur d’un jeune homme qui avait pu couvrir de son corps l’infortuné monarque dans les saturnales du 20 juin. (1, 25 et 26.) Mais, tout en gardant religieusement ces généreuses dispositions, il ne voulait pas manquer sa carrière, compromettre son avenir; et la royauté, précipitée du trône, n’avait plus que d’affreuses perspectives devant elle. C’était la terreur qui régnait, qui exerçait toutes les prérogatives de la couronne, qui distribuait les grâces, accordait les emplois, conférait les grades, en même temps qu’elle peuplait les prisons et présidait aux supplices: Marmont se mit au service de la terreur, au moment même où l’horrible souveraine épouvantait le monde par les apprêts de l’échafaud de Louis XVI. Dans les premiers jours de novembre 1792 , il rejoignit à Metz le 1er régiment d’artillerie. (I, 29.)

Réfutation des Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse

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