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§ II.

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Envoyé plus tard en Dauphiné, et de là en Provence, Marmont eut bientôt à mettre son royalisme constitutionnel à une rude épreuve. Ce n’était plus seulement l’étranger qu’il allait avoir en face, comme sur les Alpes, mais des compatriotes et des coreligionnaires politiques, des royalistes et des libéraux, réunis sous le drapeau de l’insurrection fédéraliste, et rejetés dans Toulon, qu’ils livrèrent aux Anglais. A la manière dont il parle de ce grand fait historique, il est aisé de s’apercevoir que l’élève de Châlons n’était pas tout à fait affranchi des influences qui lui avaient donné un an auparavant la velléité d’émigrer, et qu’il devait ressentir un violent contre-coup, dans sa conscience, à chaque décharge dirigée sur des insurgés qu’il était beaucoup plus enclin à plaindre et à excuser qu’à flétrir et à maudire.

«Les habitants de Toulon, dans leur détresse,, dit-il, ne virent de salut qu’en se jetant dans les bras des étrangers, et ils leur ouvrirent leurs portes le 27 août, le jour même où Carteaux entrait à Marseille.» (I, 35.) Ainsi le fédéralisme, battu et humilié, tenta de se relever de sa défaite par un crime envers la patrie; il n’attendit même pas d’être investi, assiégé, pressé, poussé à bout, pour le concevoir et l’accomplir, pour introduire pêle-mêle dans Toulon les ennemis de la France, Napolitains, Espagnols et Anglais; et Marmont, qui voudrait que l’on prît quelques chefs de parti aux abois pour les habitants de Toulon dans la détresse, trouve naturel qu’une population, réduite à l’extrémité, ait cherché à se sauver en se jetant dans les bras des étrangers et en leur ouvrant ses portes. Pas un cri d’indignation, pas un mot de reproche, pas un signe de blâme pour la trahison.

Un autre artilleur qui était là aussi, comme chacun sait, s’est exprimé bien différemment sur les événements dont cette malheureuse cité fut alors le théâtre et la victime. «Les autorités de Toulon, dit Napoléon, étaient toutes compromises; elles avaient également pris part à la révolte; la municipalité, le directoire du département, l’ordonnateur de la marine, la plupart des employés de l’arsenal, le vice-amiral Trogoff, commandant l’escadre, une grande partie des officiers, tous se sentaient également coupables; et sachant à quels ennemis ils avaient affaire, ils ne virent plus de salut pour eux que dans la trahison. Ils livrèrent l’escadre, le port, l’arsenal, la ville, les forts aux ennemis de la France.» (Mémoires de Napoléon, tome I, page 7.)

Voilà l’histoire dans toute sa simplicité, dans toute sa dignité. Le crime y garde son nom; les traîtres, leur flétrissure; la morale publique, son inflexible et suprême autorité.

La prise de Toulon fut le point de départ de la fortune de Napoléon. Marmont, avec le parti pris de faire la part du destin la plus large possible aux dépens du génie, dans la carrière de cet homme prodigieux, ne manque pas de le faire conduire au berceau de sa grandeur par le hasard. Bonaparte, simple capitaine d’artillerie, au retour d’une mission qu’il venait de remplir à Avignon et se rendant à Nice, où il servait dans l’armée d’Italie, s’arrêta devant Toulon pour voir le représentant Salicetti, son compatriote. Celui-ci le mena chez Carteaux, qui l’engagea à rester à dîner, en lui annonçant pour la soirée le spectacle de l’incendie de l’escadre anglaise. Après le dîner, Carteaux et les représentants, échauffés par les fumées du vin et pleins de jactance, se rendirent à une batterie dont on attendait ces brillants résultats. Bonaparte, en homme du métier, sut à quoi s’en tenir en arrivant..... Cette batterie, composée de deux pièces de 24, était située à 800 toises de la mer, et le gril pour rougir les boulets avait été pris probablement dans quelque cuisine.... Quatre coups de canon suffirent pour faire comprendre combien étaient ridicules les préparatifs faits; on rentra l’oreille basse à Ollioules, et l’on crut avec raison que le mieux était DE RETENIR LE CAPITAINE BONAPARTE ET DE S’EN RAPPORTER DÉSORMAIS A LUI. Dès ce moment, rien ne se fit que par ses ordres ou sous son influence. Tout lui fut soumis. Il dressa l’état des besoins, indiqua les moyens de les satisfaire, mit tout en mouvement, et en huit jours prit sur les représentants un ascendant dont rien ne peut donner l’idée. L’imbécile Carteaux renvoyé, le digne et galant homme, le brave et respectable général Dugommier fut chargé de le remplacer. Bonaparte prit aussitôt sur son esprit le même empire. On le fit chef de bataillon pour lui donner de l’autorité sur tous les capitaines d’artillerie. (Mém. de Marmont, I, 38, 39.)

Heureux capitaine Bonaparte! il lui a suffi de faire en passant une visite à un compatriote alors puissant, d’accepter le dîner d’un général imbécile, et de se moquer, en homme du métier, de quelques préparatifs ridicules pour mettre tout de suite sa supériorité en évidence et pour devenir tout à coup le vrai chef de l’armée, dominant les représentants et les généraux, et dirigeant souverainement le siége de manière à se ménager sans contradiction tout l’honneur et tout le profit du triomphe!

Mais est-il bien vrai que le sort ait exercé cette influence presque exclusive sur le début merveilleux de Bonaparte, et faut-il croire que la rencontre et le crédit de Salicetti, l’invitation fortuite et la nullité complète de Carteaux, l’intervention de ses convives en débauche et l’infériorité de Dugommier et de tout le monde, en face de l’homme du métier, aient fait à peu près tous les frais de l’élévation première du grand homme?

Non, ce n’est pas tout à fait la puissance aveugle du destin qui a tiré soudainement de l’obscurité le capitaine Bonaparte par un concours inespéré d’insignifiantes coïncidences.

D’abord, ce prétendu capitaine était déjà commandant d’artillerie en arrivant à Toulon. Il ne faut que lire ses Mémoires pour s’en convaincre. Mais c’est là une erreur de peu d’importance.

En second lieu, le commandant Bonaparte ne se trouva pas fortuitement devant Toulon, et ce ne furent point les hasards accumulés d’une visite d’amitié, d’une invitation de simple politesse, d’une expérience absurde et d’une sollicitation improvisée dans les fumées du vin qui firent passer en ses mains la direction réelle du siège de cette place. Ce furent plutôt le discernement des chefs de son arme et la pénétration des représentants du peuple qui le signalèrent au gouvernement de la République. «Le comité de salut public, disent ses Mémoires, fit demander un ancien officier d’artillerie capable de diriger l’artillerie de siège; Napoléon fut désigné ; il était alors chef de bataillon d’artillerie; il reçut l’ordre de se rendre en toute diligence au quartier général de l’armée devant Toulon pour y organiser le parc et l’artillerie: il arriva au Beausset le 12 septembre, et se présenta au général Carteaux, dont il ne tarda pas à reconnaître l’incapacité.» (Mém. de Napoléon, I, 14.)

Mais cette incapacité contribua-t-elle du moins à rendre le général ignorant plus docile à l’impulsion de l’artilleur instruit, et l’imbécile Carteaux, reconnaissant sa nullité, s’empressa-t-il d’accueillir le cri universel, et de se soumettre sans réserve à l’influence souveraine que Bonaparte, d’après Marmont, exérça sur tout le monde, à partir du dîner d’Ollioules?

Loin de là : l’inintelligence du général en chef no fit que susciter contrariété sur contrariété au commandant d’artillerie. Celui-ci raconte lui-même les obstacles incessants que lui opposa l’ignorance de Carteaux et de son état-major. (Mém., I, 18, 19, 20, 21.) A la fin, lassé de tant d’ineptie, il fit parvenir au comité de salut public, par l’entremise du représentant Gasparin, un mémoire sur le plan à suivre pour s’emparer de Toulon et sur les difficultés que ce plan rencontrait dans l’esprit borné du général en chef. Le comité de salut public répondit par le renvoi de Carteaux à l’armée des Alpes. Mais il lui donna pour successeur, non pas le brave et loyal Dugommier, comme Marmont le prétend, mais le Savoyard Doppet, dont il a supprimé le commandement en chef au siège de Toulon, aussi ignorant que Carteaux dans tout ce qui tenait à l’art de la guerre (Mém. de Nap., I, 22), et qui ne subit pas plus que son prédécesseur l’empire du commandant Bonaparte, dont il ne cessa, au contraire, d’entraver les combinaisons, jusqu’à ce que le cri de l’armée amena le remplacement du nouveau général par le vénérable Dugommier.

Le duc de Raguse a donc façonné l’histoire à sa convenance, en attribuant la haute position que Bonaparte prit au siège de Toulon à la succession fortuite de chefs incapables et fatalement assujettis à l’homme du métier. Ce ne fut ni l’imbécillité moins docile que rétive de Carteaux, ni l’ignorance plus présomptueuse que passive de Doppet, mais le prompt discernement de Gasparin et l’intelligence confiante de Dugommier qui mirent en relief le génie naissant du grand capitaine, et qui l’aidèrent à préparer la reddition de la place avec tant d’habileté et de certitude qu’il put dire aux généraux et aux représentants, dès l’attaque du fort Malbosquet: Demain ou après au plus tard, vous souperez dans Toulon. (Mém. de Nap., I, 36.)

Et c’est cet éclatant triomphe, si bien combiné, si nettement prévu, si hautement annoncé, que le maréchal Marmont essaye encore de faire rentrer dans le domaine du hasard, et qu’il appelle inopiné. (I, 48.)

Réfutation des Mémoires du maréchal Marmont, duc de Raguse

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