Читать книгу Légendes et curiosités des métiers - Paul Sébillot - Страница 36
LES MEUNIERS
ОглавлениеSuivant une légende du Berry, le diable, après avoir examiné quel pouvait être de tous les métiers d'ici-bas celui qui rapportait le plus et celui où il était le plus facile, pour quelqu'un de peu scrupuleux, de faire fortune, ne tarda pas à être convaincu que c'était celui de meunier. Il établit sur la rivière de l'Igneraie un moulin tout en fer, dont les diverses pièces avaient été forgées dans les ateliers de l'enfer. Les meulants vinrent de tous côtés à la nouvelle usine, dont la vogue devint si grande, que tous les meuniers des environs, dont on avait du reste à se plaindre, furent réduits à un chômage complet. Quand le diable eut accaparé toute la clientèle, il traita si mal ses pratiques, que celles-ci crièrent plus que jamais misère. Saint Martin, qui passa par là, résolut de venir en aide à ces pauvres gens. On était en hiver, et il construisit, en amont de celui du diable, un moulin tout en glace. De toutes parts on y vint moudre, et chacun s'en retourna si content de la quantité et de la qualité de la farine qui lui avait été livrée par le nouveau meunier, que le diable se trouva à son tour sans pratiques. Alors il vint proposer à saint Martin d'échanger son moulin contre le sien. Le saint y consentit, mais il demanda en retour mille pistoles: c'était exactement le chiffre du gain illicite que le diable avait fait depuis qu'il était meunier. Pendant huit jours, celui-ci fut satisfait de son marché, mais alors il vint du dégel: les meules commencèrent à suer, et au lieu de la farine sèche qu'elles donnaient auparavant, elles ne laissèrent plus échapper que de la pâte.
Le commencement de ce récit, qui a été recueilli par Laisnel de la Salle, reflète assez exactement les anciennes préventions populaires à l'égard des meuniers. Leur mauvaise réputation, assez justifiée autrefois, tenait surtout à ce que, au lieu de recevoir un salaire, ils exerçaient un prélèvement en nature sur les grains qui leur étaient confiés. Il en était résulté des abus que constatent, en termes très sévères pour les meuniers, plusieurs ordonnances qui avaient essayé d'y mettre fin: elles défendaient de prendre la mouture en grains, mais seulement en argent, à raison de douze deniers par setier, et recommandaient de rendre les farines en même poids que le blé, à deux livres près, pour le déchet. Au cas où celui qui faisait moudre aurait préféré ne pas payer en argent, le droit de mouture était fixé à un boisseau par setier. Les contraventions étaient punies par l'amende ou par le pilori. Ces pénalités, dont la dernière avait un caractère infamant, n'avaient pas complètement réussi à empêcher certains meuniers de «tirer d'un sac double mouture», comme dit un proverbe, qui doit probablement son origine à leur manière de procéder. «Chaque meunier a son setier», disait-on aussi en parlant de quelqu'un dont on avait besoin, et qui abusait de la situation. Cette façon de mesurer était générale en Europe, et elle avait aussi donné lieu au dicton anglais: Every honnest miller has a thumb of gold: tout honnête meunier a un pouce d'or; en Écosse, on dit d'une personne peu délicate qu'elle a un pouce de meunier: He hiz a miller's thun. Un proverbe satirique de la Basse-Bretagne semble aussi en relation avec ce pouce, aussi voleur que celui que les marins attribuent au commis aux vivres:
Ar miliner, laer ar bleud A vo daoned beteg e veud, Hag e vend, ann daoneta, A ia er zac'h da genta.
Le meunier voleur de farine.—Sera damné jusqu'au pouce,—Et son pouce, le plus damné.—Va le premier dans le sac.
En Béarn, on dit aussi: Lou moulié biu de la pugnero: le meunier vit de la poignée ou prélèvement fait en nature; et en Basse-Écosse: The miller aye taks the best muter wi's ain hand: la meilleure mouture du meunier est sa propre main.
Ainsi que d'autres industriels, auxquels on pouvait reprocher d'avoir gardé plus que leur dû, les meuniers avaient imaginé une réponse équivoque qui ne les empêchait pas de voler, mais leur évitait, à ce qu'ils croyaient, un mensonge: «Les meusniers, dit Tabourot, ont une mesme façon de parler que les cousturiers, appelant leur asne le grand Diable et leur sac Raison; et rapportant la farine à ceux ausquels elle appartient, si on leur demande s'ils n'en ont point pris plus qu'ils ne leur en faut, répondent: Le grand diable m'emporte si j'ay pris que par raison. Mais pour tout cela ils disent qu'ils ne dérobent rien, car on leur donne.» Ils avaient trouvé une autre manière d'expliquer les quantités qui manquaient. Dans un petit poème français du XIIIe siècle sur les boulangers, les vols des meuniers sur le grain qu'on leur donnait à moudre sont mis sur le compte des rats qui dévalisent le grenier de nuit, et les poules qui le mettent à contribution le jour. Un dicton de la Corrèze semble prouver que cette excuse n'est pas tombée en désuétude:
Moulinié, farinié, Traouquo chatso, pano bla Et peï dit que coï lou rat.
Meunier farinier.—Perce le sac, vole le blé.—Et qui dit que c'est le rat.
Plusieurs articles de coutumes locales constatent qu'à l'intérieur du moulin des dispositions ingénieuses avaient pour but de favoriser un bénéfice illicite: au lieu d'environner les meules d'un cercle d'ais en rond, certains meuniers lui avaient donné une forme carrée, en sorte que la farine qui remplissait les quatre angles de ce carré, n'étant plus poussée par le mouvement de la meule, y restait en repos, et y demeurait contre les intérêts des particuliers dont ils faisaient moudre le blé. D'autres faisaient plusieurs ouvertures au cercle d'ais, par où la farine tombait en d'autres lieux que la huche où elle devait être reçue par le propriétaire du blé. Un article des coutumes avait ordonné aux seigneurs ou à leurs meuniers de renoncer à ces modes de construction frauduleuse.
On comprend que ces pratiques aient valu aux meuniers d'autrefois une détestable réputation; le poète anglais John Lydgate disait qu'ils avaient tous les droits possibles au pilori; dans les dictons injurieux, ils étaient associés aux tailleurs et aux boulangers, et formaient avec eux la trinité industrielle la plus blasonnée au moyen âge; on en trouve l'écho dans les dictons populaires et dans les farces: «Si vous aviez enclos dans un grand sac un sergeant, un musnier, un tailleur et un procureur, qui est-ce de ces quatre qui sortiroit le premier, si on luy faisoit ouverte? demande Tabarin, qui répond: le premier qui sortiroit du sac c'est un larron, mon maistre. Il n'y a rien de plus asseuré que ce je dis.»
—Een voekeraar, een molenaar, een wisselaar, een tollenaer, Zijn de vier evangelisten van Lucifaar.
—Un usurier, un meunier, un changeur et un péager sont
quatre évangélistes pour Lucifer. (Prov. flamand.)
[Illustration: Gravure satirique de Lagniet contre les protestants et les meuniers.]
Il y avait des blasons injurieux qui leur étaient spéciaux: ainsi dans les Adevineaux amoureux, publiés au XVe siècle; la réponse à la question: Qui est le plus privé larron qui soit? est: c'est un mounier. Le même recueil contient une autre demande: Pourquoy ne pugnist on point les mouniers de larrechin? Parce que rien ne prendent s'on ne leur porte. Tabarin pose à son maître plusieurs questions sur les meuniers: Quelle est la chose la plus hardie du monde? C'est la chemise d'un meunier, parce qu'elle prend tous les jours au matin un larron à la gorge, et ce dicton est encore vivant en Bretagne.
Na euz ket hardissoc'h eget roched eur miliner Rag bep mintin e pak eul laer.
Naguère on disait que ce qu'il y a de plus infatigable, c'est la cravate d'un meunier, parce qu'elle peut sans se lasser tenir toujours un coquin à la gorge.
D'après les Fantaisies de Tabarin, l'animal le plus hardi qui soit sur la terre, c'est l'âne des meuniers, parce qu'il est tous les jours au milieu des larrons, et toutefois il n'a aucune peur.
Aujourd'hui, les habitants des villes n'ont guère affaire directement aux meuniers, et ce n'est plus qu'à la campagne que les consommateurs sont en rapport avec eux: il n'en était pas ainsi jadis. Vers le milieu du XVIIe siècle, le meunier est, à Paris même, le personnage aux dépens duquel s'égayent le plus les auteurs d'images satiriques et les farceurs populaires.
Parmi les Facéties tabariniques figure «le Procez, plaintes et informations d'un moulin à vent de la porte Sainct-Anthoine contre le sieur Tabarin touchant son habillement de toille neufve intenté par devant Messieurs les Meusniers du faux-bourg Sainct-Martin avec l'arret desdits Meusniers, prononcé en jaquette blanche (1622). Ce moulin comparaît devant Messieurs les Meusniers, en la cour d'Attrape, et ayant été mis hors de cause, il ne voyoit que trois personnes devant qui il pouvoit demander son renvoy; car de tout temps il a ses causes commises en la court des Larrons, sçavoir est les meusniers, les cousturiers et les autres. Il voulut donc sçavoir son renvoy par devant les cousturiers; mais on trouva qu'ils estoient aussi larrons que les meusniers.»
L'Almanach prophétique du sieur Tabarin pour l'année 1623 enjoint «aux meusniers d'avoir un certain recoin en leur meule pour attraper de la farine, et de prendre double mouture.» Sauval dit que le peuple de Paris leur attribuait un singulier patron: «Les six corps des Marchands et tous les corps des Métiers ont chacun divers saints et saintes pour des raisons plaisantes, car je n'oserois dire ridicules, de peur de profaner comme eux les choses les plus saintes. Les Meuniers ont le bon Larron, comme s'ils reconnoissoient eux-mêmes qu'ils sont larrons, mais qu'à la fin ils pourront s'amender».
On disait, au XVIe siècle, d'un voleur, qu'il était «fidèle comme un meunier» (p. 3). Maintenant encore, la malice populaire s'exerce souvent à son égard:
Na pa rafe ar vilin nemet eun dro krenn, Ar miliner 'zo sur d'oc'h he grampoezenn.
Le moulin, ne donnât-il qu'un tour de roue.—D'avoir sa
crêpe le meunier est certain. (Basse-Bretagne.)
Quant lou mouliè ba hè mole. Trico traco, dab la molo. Dou bèt blat, dou fin blat, Quauque coupet de coustat.
Quand le meunier va faire moudre,—Tric trac, avec sa
meule.—Du beau blé, du fin blé,—Il met quelque mesure de
côté. (Gascogne.)
—Waar vindt men een molenaarshaan, die nooit een gestolen graantje gepikt heeft?—Où trouve-t-on un coq de meunier qui n'a jamais picoté un grain de blé volé? (Flandre).
—Als de muis in den meelzak zit, denkt zij, dat ze de molenaar zelf is.—Quand la souris est dans le sac à farine elle se croit le meunier lui-même. (Flandre.)
—Quannu li mulinara gridanu curri à la trimogna.—Quand le meunier crie, cours à la trémie. (Sicile.)
À Saint-Malo, on dit aux petits enfants, en les faisant sauter sur les genoux:
Dansez, p'tite pouchée,
Le blé perd à la mouture,
Dansez, p'tite pouchée,
Le blé perd chez le meunier.
Les meuniers sont des larrons,
Tant du Naye que du Sillon.
En Haute-Bretagne, la formulette qui suit est populaire:
Meunier larron,
Voleur de blé.
C'est ton métier.
La corde au cou,
Comme un coucou.
Le fer aux pieds,
Comme un damné.
Quat' diabl' à t'entourer.
Qui t'emport'ront dans l'fond d'la mé (mer).
On dit en Seine-et-Marne:
Meunier larron.
Voleur de son pour son cochon:
Voleur de blé.
C'est son métier.
Lair! lair er meliner!
Ur sahad bled do hé rair.
Voleur! voleur meunier!—Un sac de farine sur le dos.
(Morbihan.)
Le moulin lui-même prenait une voix pour conseiller le vol. En Forez, le baritet ou tamis dit au meunier: «Prends par te, par me, par l'anon.»
Un petit conte picard, aussi irrévérencieux qu'un fabliau et peu charitable pour les meuniers, semble dire que c'est en vertu d'une autorisation divine qu'ils auraient constamment prélevé plus que leur dû sur les manées de leurs clients: le jour de l'Ascension, Jésus-Christ se dirigea vers un moulin à vent: comme ce moulin était arrêté, il se mit en devoir de gravir les échelons de l'une des ailes, afin de prendre son élan pour monter au ciel. Le meunier, qui regardait à l'une des fenêtres de son moulin, lui cria: Où allez-vous?—Je vais au ciel, répondit Jésus.—Dans ce cas, attendez-moi donc, j'y vais avec vous, répliqua le meunier, qui sortit aussitôt et s'accrocha aux pans de la robe du Christ.—Non, non, dit Jésus, en le repoussant doucement: je vole en haut, toi vole en bas.
Dans les farces et les récits populaires les meuniers figurent parmi les gens qu'on ne voit pas en paradis. La farce du Meunyer de qui le diable emporte l'âme en enfer (1496), représente un meunier qui, sur le point de mourir, fait sa confession:
… le long de l'année,
J'ay ma volunté ordonnée,
Comme sçavez, à mon moulin,
Où plus que nul de mère née,
J'ay souvent la trousse donnée
À Gaultier, Guillaume et Colin.
Et ne sçay de chanvre ou de lin,
De bled valant plus d'un carlin,
Pour la doubte des adventures.
Ostant ung petit picotin,
Je pris de soir et de matin;
Tousjours d'un sac doubles moutures.
Somme de toutes créatures
Pour suporter mes forfaictures.
Tout m'estoit bon: bran et farine.
Malgré ces aveux, sa contrition étant assez douteuse, le meunier aurait été en enfer si Lucifer n'avait envoyé, pour prendre son âme, un diable inexpérimenté qui croit qu'elle sort par le fondement; c'est là qu'il se poste, tenant un sac ouvert, et dès qu'il y tombe quelque chose il se hâte de l'emporter. Ce que c'était, on le devine; Lucifer se bouche le nez et se met fort en colère contre le diable maladroit.
Tous les meuniers n'avaient pas la même chance. Quand la sainte Vierge descendit aux enfers elle vit, d'après la légende de l'Ukraine, des barres en fer installées au-dessus du feu et beaucoup d'âmes coupables qui étaient suspendues par les jambes à ces barres, et avaient de grandes meules attachées à leur cou, et les diables attisaient le feu au-dessous d'eux avec des soufflets. Et la sainte Vierge dit: «Instruis-moi, saint archange Michel, qui sont ces pécheurs?» Michel dit: «Sainte Vierge, ce sont les meuniers malfaiteurs qui ont volé les grains et la farine d'autrui».
On raconte chez les Petits-Russiens que l'aubergiste et le meunier se rencontrèrent en enfer: «Pourquoi es-tu ici, frère? dit le premier; je suis pécheur, car je ne remplissais jamais entièrement le verre, mais toi?—Oh! mon cher, moi, quand je mesurais, la mesure était non seulement toute pleine, toute pleine, mais trop pleine, et encore je pressais alors dessus.
Il y avait toutefois des meuniers si pleins de ressources qu'ils arrivaient par ruse à entrer en Paradis, bien qu'ils ne l'eussent guère mérité. On raconte, en Haute-Bretagne, que jadis l'un d'eux mourut, et vint frapper à la porte du séjour des bienheureux. Saint Pierre lui ouvrit et dès qu'il vit son bonnet couvert de farine, il lui dit: «Comment, c'est toi qui oses frapper à cette porte? Ne sais-tu pas que jamais meunier n'est entré ni n'entrera en Paradis?—Ah! saint Pierre, je ne suis pas venu pour cela, mais seulement pour regarder, et voir comme c'est beau. Laissez-moi voir un peu et je m'en irai sans faire de bruit». Saint Pierre ouvrit la porte pour que le meunier pût regarder; mais celui-ci, qui avait son quart sous le bras, le lança entre les jambes du portier, qui tomba, et, avant qu'il eût eu le temps de se relever, il se précipita dans le Paradis, et s'assit sur son quart. On voulut le faire déguerpir; mais il assura qu'il était sur son bien et qu'il ne s'en irait pas. Le meunier la Guerliche, dont les Contes d'un buveur de bière relatent les plaisantes aventures, est repoussé par saint Pierre, puis par d'autres saints, qui lui reprochent ses vols; mais il rappelle à chacun d'eux que pendant leur vie terrestre ils ont commis d'aussi gros péchés que lui. On finit par lui dépêcher les saints Innocents, et il leur dit: «C'est justement pour vous que je viens! Est-ce qu'on ne m'accuse point d'avoir escamoté la farine de mes pratiques! Ce que je faisais c'était tout simplement pour vous apporter un bon paquet de gaufres sucrées». Les saints Innocents ouvrirent la porte et se précipitèrent en foule, les mains tendues, vers la Guerliche, qui entra librement en distribuant des gaufres à droite et à gauche.
Si les meuniers ne devenaient pas de petits saints, dignes d'entrer au ciel sans passer par le purgatoire, ce n'était pas la faute des avertissements d'en haut. Parfois le diable en emportait un, et en leur qualité de protégés de saint Martin, ils avaient seuls le privilège de voir leurs prédécesseurs accomplir leur pénitence posthume. En Berry, deux longues files de fantômes, à genoux, la torche au poing et revêtus de sacs enfarinés surgissent soudainement à droite et à gauche du sentier que suit le passant, et l'accompagnent silencieusement jusqu'aux dernières limites de la plaine, en se traînant sur les genoux et en lui jetant sans cesse au visage une farine âcre et caustique. Les riverains de l'Igneraie prétendent que ce sont les âmes pénitentes de tous les meuniers malversants qui, depuis l'invention des moulins, ont exercé leur industrie sur les bords de cette petite rivière.
Le curieux récit qui suit, inséré par Restif de la Bretonne dans ses Contemporaines, rentre dans le même ordre d'idées: «Il y avait une fois un moulin dont la meunière n'avait pas de conscience; elle prenait deux ou trois fois la mouture au pauvre monde pendant qu'on était endormi. Elle vint à mourir à la fin, et on dit que ce fut le diable qui lui tordit le cou. Voilà que le soir on l'ensevelit, et il resta deux femmes pour la garder. Mais au milieu de la nuit, elles sortirent du moulin en criant et courant. Les gens qui les rencontrèrent leur demandèrent ce qu'elles avaient. Et elles dirent qu'ayant entendu un certain bruit sur le lit de la meunière morte, dont les rideaux étaient fermés, elles les avaient ouverts et, qu'ayant regardé, c'étaient deux gros béliers, dont un tout noir et l'autre blanc, qui se battaient sur le corps, et que le noir avait dit au blanc: «C'est moi qui ai l'âme, je veux aussi avoir le corps». Et tout le monde fut avertir le curé, qui vint avec le Grimoire, où il n'y a que les prêtres qui puissent lire, et qui fait venir le diable quand on le veut: mais ils le renvoient de même; et il entra au moulin. Et dès qu'il vit le bélier noir il lui dit: «Que veux-tu?» Lequel répondit: «J'ai l'âme, je veux le corps.—Non, dit le prêtre, en faisant trois signes de croix, car il a reçu les saintes huiles». Et aussitôt le bélier noir s'en alla en fumée noire et épaisse; au lieu que le blanc monta en l'air comme une petite étoile claire.»
[Illustration: Le Moulin de la Dissension, caricature contre les
Huguenots (vers 1630).]
En Basse-Bretagne, les meuniers ne sont pas aussi estimés que les laboureurs; ils ne se marient pas aisément avec les filles de fermiers; on les accuse d'être libertins et gourmands.
Krampoez hug amann a zo mad, Ha nebeudig euz pep sac'had, Hag ar merc'hed kempenn a-vad.
Des crêpes et du beurre, bonnes choses.—Et un brin de chaque sac de farine;—Et les jolies filles pareillement.
Ce sont eux qui passent pour être les auteurs des chansons grivoises et de celles qui offrent des traits piquants d'actualité. Le meunier, dit M. de la Villemarqué, traverse les villes, les bourgs, les villages, il visite le pauvre et le riche; il se trouve aux foires et aux marchés; il apprend les nouvelles, il les rime et les chante en cheminant, et sa chanson, répétée par les mendiants, les porte bientôt d'un bout de la Bretagne à l'autre.