Читать книгу Légendes et curiosités des métiers - Paul Sébillot - Страница 37

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Les laboureurs bas-bretons interpellent souvent le meunier qui passe et lui crient: «Ingaler kaoc'h marc'h, Partageur de crottin de cheval». En Flandre on lui adresse cette formulette satirique:

Mulder, mulder, korendief, Groote zakken heeft hij lief; Kleine wil hij niet malen: De duivel zal hem halen.

Meunier, meunier, voleur de blé,

Il aime les grand sacs;

Il ne veut pas moudre les petits:

Le diable l'emportera.

En Belgique, le dimanche de la Quasimodo est appelé l'joù d'monni, le jour aux meuniers, parce que l'on prétend que ceux-ci ne se pressent guère de faire leurs Pâques et attendent le dernier moment pour se mettre en règle avec leur conscience. L'ancien proverbe français: Faire ses Pâques avec les meuniers, se disait de celui qui ne communiait que le dernier jour du temps pascal.

Le mauvais renom des meuniers s'étendait jusqu'à leurs bêtes:

De chaval de mouniè, De porc de boulengiè Et de filhos d'ostes Jamai noun t'accostes.

Du cheval du meunier,—Du porc du boulanger.—Des filles de

l'aubergiste,—Ne t'approche jamais. (Provence.)

He has the impudence o' a miller's horse.—Il a l'impudence d'un cheval de meunier. (Écosse.)

Les garçons meuniers, les «menous de pouchées», avaient une réputation plus détestable encore que leurs patrons; naguère, en Haute-Bretagne, les jeunes filles qui tenaient à leur bonne renommée devaient bien se garder de causer sur la route avec eux. Dans l'est de l'Angleterre, quand on veut parler d'une promesse sujette à caution, on dit: The miller's boy said so. C'est le garçon meunier qui l'a dit. Dans le Northumberland, pour parler d'une personne qui est en retard, on la compare au garçon meunier: He's always behindhand, like the miller's filler.

Autrefois, dans le Bocage normand, ceux chez qui les garçons meuniers venaient prendre ou rapporter la moulée, leur offraient des oeufs de Pâques. La même coutume existait dans l'Yonne. Il y a une trentaine d'années quand ils arrivaient, grimpés sur leurs ânes, dans la ville de Saint-Malo, ils faisaient leur tournée à travers les rues, frappant aux portes un nombre de coups de marteau correspondant à l'étage habité par leurs clients.

La croyance populaire attribue aux meuniers une sorte de puissance occulte, et elle les range au nombre des corps d'état qui fournissent des adeptes à la sorcellerie ou exercent la médecine empirique par un privilège attaché à la profession. Il en est que l'on va secrètement consulter pour savoir comment se rendre au sabbat, retrouver des objets perdus ou se procurer des charmes. D'autres peuvent jeter des sorts à ceux qui leur déplaisent et se venger, même à distance.

Un meunier du Morbihan, qu'un paysan avait refusé de prendre dans sa carriole, lui dit que le vendredi d'après, au même endroit, son cheval n'avancera pas en dépit des coups de fouet: cela arriva en effet: mais un mendiant désensorcelle le cheval en faisant une conjuration qui atteint le meunier. Lecoeur raconte aussi dans les Esquisses du bocage normand qu'un garçon meunier, éconduit par une jeune fille, lui «joua un tour» et que depuis elle fut forcée de s'aliter, en proie à un mal étrange, à des cauchemars terribles, qui finirent par la conduire au tombeau.

Au moyen âge on attribuait aux meuniers, comme aujourd'hui dans plusieurs provinces, le pouvoir de guérir des affections spéciales. Contre le rhumatisme, il fallait faire frapper trois coups d'un marteau de moulin par le meunier ou la meunière en disant: In nomine Patris. En Berry, celui qui est ou a été meunier de père en fils, peut panser de l'enchappe ou engorgement des glandes axillaires au moyen de trois coups donnés sur la partie malade avec le marteau à piquer les meules. Cette vertu leur vient de saint Martin, patron des meuniers, qui de son vivant guérissait, à ce qu'on assure, cette infirmité exactement de la même manière.

[Illustration: Les femmes au moulin, fragment de l'estampe du Caquet des femmes (XVIIe siècle).]

Les meuniers n'ont pas, en général, de répugnance à travailler le dimanche; mais, comme d'autres artisans, ils observent certains jours, en raison de préjugés séculaires: en Belgique, ils sont persuadés qu'il leur arriverait quelque malheur s'ils mettaient leur usine en mouvement pendant la fête de sainte Catherine (25 novembre), la patronne des métiers où l'on fait tourner la roue; à Liège, ils observent le jour de Sainte-Gertrude; aux environs d'Autun, tous les moulins établis sur les cours d'eau de la ceinture du Beuvray, s'arrêtent le 11 novembre en l'honneur de saint Martin: Un meunier ayant laissé tourner sa roue en ce jour sacré, subit de telles avaries que personne depuis n'a osé l'imiter.

Le moulin partageait autrefois avec le lavoir et le four le privilège d'être un des endroits où les femmes bavardaient le plus volontiers; on dit encore en Bretagne: «Au four, au moulin, on apprend des nouvelles», et un proverbe gaélique constate qu'en Écosse le moulin est l'un des endroits les plus recherchés pour les cancans (p. 17).

Ceardach dutheha, muileann sgireachd, 'us tigh-osda na tri aiteachan a's shearr air son naigheachd.—Une boutique de forgeron de campagne, un moulin de paroisse et une auberge, les trois meilleurs endroits pour les nouvelles.

Aux moulins se rattachent des superstitions et des coutumes dans lesquels les meuniers jouent un rôle. En Ukraine, quand ils installent leur meule, ils prononcent cette formule: «Taliarou, taliarou, la pierre perforée; la fille nourrit son fils, le mari de sa mère»; cette phrase fait allusion à la légende de la fille qui donna à téter à son père en prison. En Écosse, la femme du meunier invite les voisins à assister à la pose de la meule, et elle leur sert du pain, des gâteaux et de la bière.

Dans le nord de la France, lorsqu'il arrive un décès chez un meunier, le moulin est mis en deuil, c'est-à-dire les ailes placées en croix, et elles restent ainsi jusqu'au moment de l'inhumation; en Vendée, les ailes sont en croix de Saint-André; s'il s'agit d'un mariage ou d'une naissance, un bouquet est attaché au haut; dans les environs de Cassel, le jour de la fête patronale et de celui du baptême d'un enfant de meunier, les ailes sont disposées de manière à former un trifolium.

En Écosse, c'était l'usage de coucher sur la trémie la personne qui entrait pour la première fois dans un moulin.

D'après de Lancre, les moulins pouvaient être ensorcelés, comme la plupart, du reste, des objets. Richard, dans les Traditions de la Lorraine, donne un texte où est constatée cette croyance, qui n'a pas peut-être entièrement disparu: «Simon Robert, meunier à Cleurie, remontra en toute révérence, dans une requête adressée à mesdames de l'abbaye de Remiremont, que, pendant l'année 1691, il n'a pu faire aucun profit des moulins qu'il tient à bail du monastère, d'autant que par un accident à lui non cognu, quoique lesdits moulins tournassent, ils ne produisoient aucune farine et les grains en sortoient presque comme il les mettoient dans la trémoire, ainsi qu'il pourra le faire congnoistre par une visite qu'il a été obligé de faire faire par la justice de la mairie de Celles, quoiqu'il eût fait son possible, et qu'il ne manque rien auxdits moulins, et s'il n'avoit eu recours à la prière et ne les eût fait bénir, il croit qu'ils auroient été perdus pour jamais; cependant par la grace de Dieu, depuis la bénédiction donnée sur iceux, ils ont commencé à se remettre en estat au moyen du travail qu'il y a fait faire.»

En Écosse, on croyait qu'en jetant dans le canal de la terre empruntée à un cimetière on pouvait arrêter les roues.

[Illustration: Caricature contre l'usage de la farine, milieu du

XVIIe siècle.]

Dans le même pays, on raconte que les fairies viennent la nuit se servir des moulins; pour les empêcher, on a soin d'enlever quelques pièces ou bien d'attacher un caillou rond sur l'essieu. Mais on ne prenait pas toujours ces précautions, parce que les meuniers étaient parsuadés que la plus petite quantité de la farine des fairies leur portait chance; si la nuit, ils les entendaient moudre, ils ne manquaient pas le matin de ramasser la farine qu'elles avaient laissée. Un meunier, après avoir pris des mesures pour empêcher le moulin de tourner, se mit en observation. À minuit, les fairies arrivèrent, et ne purent réussir à moudre. Le meunier, voyant qu'elles s'en allaient, sortit de sa cachette et mit la machine en mouvement. Quand elles eurent moulu, elles lui donnèrent un peu de farine, en lui disant de la placer aux quatre coins du coffre, et que de longtemps il ne serait vide.

Les moulins du nord de l'Angleterre sont fréquentés par une sorte de lutin appelé Killmoulis; il n'a pas de bouche, mais est pourvu d'un grand nez; il porte le plus grand intérêt aux moulins et aux meuniers; quand un malheur les menace, il pleure comme un enfant; il est très friand de viande de porc, et on lui adresse cette petite formulette: «Approche, mon vieux Killmoulis! Où étais-tu hier quand je tuais le cochon? Si tu étais venu, je t'en aurais donné de quoi te remplir le ventre.»

En Hollande, les moulins ont un autre esprit, le Kaboutermannekin, dont le caractère est bienveillant; lorsque la meule était avariée, le meunier n'avait qu'à la placer la nuit devant le moulin, en ayant soin de mettre à côté un morceau de pain, du beurre et un verre de bière; le lendemain, il était certain de la trouver bien réparée.

Dans le nord de l'Écosse, le Kelpie ou cheval d'eau lutin hantait aussi les moulins; un meunier, ennuyé des visites de l'un d'eux, enferma la nuit son cochon dans le moulin; quand celui-ci vit le Kelpie, il se précipita sur lui et lui fit peur. La nuit suivante, le lutin frappa à la fenêtre du meunier et lui demanda s'il y aurait encore quelqu'un au moulin.—Oui, répondit le meunier, et il y sera toujours. Le Kelpie ne revint plus. Le Brollachan était un monstre qui avait deux yeux et une bouche et ne pouvait dire que deux mots: Moi et toi; un jour qu'il était étendu le long du feu, le garçon du moulin y jeta un morceau de tourbe fraîche qui brûla le lutin. Il se mit à gémir, et sa mère arriva en lui demandant: Qui est-ce qui t'a brûlé? Le Brollachan ne sut que répondre: Moi. Sa mère répondit: Si c'était un autre, je me serais vengée. Le garçon de moulin renversa sur lui le vase à mesurer la farine et se blottit de façon à ressembler le plus possible à un sac. Il n'eut aucun mal, et le lutin et sa mère quittèrent le moulin.

Pendant la période révolutionnaire, l'imagerie qui fit tant d'allusions aux divers métiers, s'occupa peu de la meunerie. Je ne vois guère à citer que «la Marche du don Quichotte moderne pour la défense du moulin des abus», qui vise le prince de Condé et ses partisans; de nos jours les caricaturistes ne s'en préoccupent guère, et la dernière satire dessinée qui ait trait aux meuniers est peut-être le placard d'Épinal, intitulé le Moulin merveilleux; les maris y viennent en foule amener leur femmes pour qu'après avoir été moulues, elles deviennent meilleures. Voici le premier couplet de l'inscription qui l'accompagne:

Approchez, jeunes et vieux,

Dont les femmes laides, jolies,

Au caractère vicieux,

Ont besoin d'être repolies.

Femme qui, du soir au matin

Se bat, boit, jure et caquette.

Amenez-la dans mon moulin.

Et je vous la rendrai parfaite.

Il est vraisemblable que si le meunier tient si peu de place dans la satire moderne, c'est qu'il a cessé, dans les villes tout au moins, d'être en contact direct avec les consommateurs, et qu'on ne comprendrait plus facilement comme autrefois, les allusions qui seraient faites à la meunerie.

Jadis, au contraire, on voyait les meuniers venir dans les villes chercher le blé des particuliers et leur rapporter la farine. À Paris même, ils figuraient parmi les personnages connus de tout le monde: dans la première moitié du XVIIe siècle, aucun métier n'est l'objet d'autant d'images allégoriques ou satiriques. C'est alors que paraissent des gravures dirigées contre les protestants, comme celle de la page 5, où le meunier se moque d'eux, ou bien le Moulin de la Dissension (p. 17), celles contre l'usage de la farine pour poudrer les cheveux ou le visage (20-21), où le meunier joue un rôle en compagnie de son âne, dont il est aussi inséparable que saint Antoine de son cochon. Une autre série de charges, celle-là dirigée contre la profession elle-même, est celle du «meunier à l'anneau», dont la popularité est attestée par de nombreuses variantes. Suivant quelques auteurs, elle aurait dû son origine à une aventure, que Tallemant des Réaux a racontée: «Il y a dix ans environ, un meunier, à la Grève, gagea de passer dans un de ces anneaux qui sont attachés au pavé pour retenir les bateaux. Il fut pris par le milieu du ventre, qui s'enfla aussitôt des deux côtés. Le fer s'échauffa, c'était en été: il brûlait: il fallut l'arroser, tandis qu'on limait l'anneau, et on n'osa le limer sans la permission du prévôt des marchands. Tout cela fut si long qu'il fallut un confesseur. On en fit des tailles-douces aux almanachs, et, un an durant, dès qu'on voyait un meunier, on criait: «À l'anneau, à l'anneau, meunier!»

Le bibliophile Jacob, dans une note de Paris ridicule, pense que ce cri «Meusnier à l'anneau», que les meuniers regardaient comme une grave injure, n'avait pas l'origine que lui attribuent Colletet, dans les Tracas de Paris, et Tallemant des Réaux, et que l'on devait plutôt y voir une allusion au châtiment que les meuniers de Paris encouraient quand ils avaient retenu à leur profit une certaine quantité de farine sur le blé qu'on leur donnait à moudre; car ils étaient alors condamnés à la peine du pilori; or le patient que l'on piloriait se voyait exposé en public, la tête et les mains enfermés dans une espèce d'anneau ou de carcan mobile.

Un arrêt du Parlement défendit ces huées; mais un passage des Tracas de Paris (1663), où est aussi relatée l'anecdote du meunier pris à l'anneau, montre qu'il n'était guère observé:

Ce sont meusniers, sans dire gare.

À cheval dessus leurs mulets,

Qui viennent desus vingt colets,

Canons, manteaux, chemises, bottes.

De faire rejaillir des crottes;

Ils enragent dans leur peau

Que l'on dit: Meusnier à l'anneau!

De grands malheurs, par cy par là.

Sont arrivez de tout cela.

Car les meusniers, dans leur colère,

Joüoient tous les jours à pis faire:

Dès qu'un enfant les appelloit.

Monsieur le Meusnier le sangloit:

Puis se sauvoit de ruë en ruë.

En courant à bride abattuë.

Le père de l'enfant sanglé

Sortoit assez souvent, troublé.

Et sa femme, toute en furie

En vouloit faire boucherie…

Eux aussi par juste vengeance

Faisoient souvent jeuner la panse.

Retenoient d'un esprit malin

La farine un mois au moulin.

Ou prenoient la double mesure

Pour paiement de leur mouture.

Celuy-ci s'excusoit souvent

Qu'il ne faisoit pas assez vent:

Et cet autre en faisant grimace

Que la rivière estoit trop basse.

Pour finir tous ces accidents

Nos Conseillers et Presidens

Renouvellerent leurs défenses

Contre de telles insolences;

Et ce n'est plus que rarement

Qu'on leur fait ce compliment.

Dont mesme ils ne font plus que rire

Quand on s'avise de leur dire,

Car le temps, qui met tout à bout,

Leur a fait bien oublier tout.

Les chansons populaires dans lesquelles figurent les meuniers sont très nombreuses; plusieurs d'entre elles ont un refrain qui reproduit, avec plus ou moins de bonheur, le bruit que fait le tic-tac du moulin. Voici celui de la chanson du Joli meunier, populaire en Haute-Bretagne:

J'aurai l'âne et le bat, et le sac et le blé.

J'aurai le traintrin du joli meunier.

Ha! ma meil a drei, Diga-diga-di, Ha ma meil a ia, Diga-diga-da.

Ah! mon moulin tournera,—Dig,—Ah! mon moulin va.

(Basse-Bretagne.)

Parmi ces chansons, il en est peu qui soient véritablement satiriques et qui reprochent aux meuniers, comme les dictons et les proverbes, les larcins professionnels. Elles les représentent plutôt comme des gens libertins, capables, comme le meunier de Pontaro de la ballade bretonne, d'enlever les filles et de les retenir au moulin, ou bien d'essayer par ruse de les mettre à mal, comme le meunier d'Arleux, héros d'un ancien fabliau. Plus généralement elles parlent de leur galanterie: la plus répandue en France est celle où, pendant que «le meunier Marion caressait», le loup mange l'âne laissé à la porte du moulin, à laquelle fait peut-être allusion la gravure de Valck (p. 29). Pour éviter que la fille ne soit grondée, le meunier lui donne de quoi en acheter un autre. Les meunières de la chanson populaire sont robustes, hautes en couleur, assez jolies pour mériter le nom de «belles meunières», et pas trop cruelles aux amoureux. C'est peut-être cette réputation qui donna l'idée aux ennemis du duc d'Aiguillon de l'accuser de s'être couvert de plus de farine que de gloire, en courtisant la meunière du moulin d'Anne, pendant que ses troupes battaient les Anglais à Saint-Cast (1758).

La chanson qui suit a été recueillie dans le Bas-Poitou par Bujeaud; c'est la légende, versifiée par quelque poète rustique d'une meunière, qui avait fait de son moulin une sorte de tour de Nesle:

En r'venant de Saint-Jean-d'Mont.

On passe par un village,

Qui avait un moulin à vent

Qui faisait farine à tout vent.

Dedans ce moulin l'y avait

Une tant jolie meunière

Qui appelait les passants:

Entrez dans mon moulin à vent.

Un jour un messieu passa,

Un messieu à belle mine,

Qui dit s'appeler Satan,

Entre dans le moulin à vent.

Depuis ce jour on voyait

Le moulin tourner sans cesse:

La farine et le froment

Abondaient au moulin à vent.

Puis un beau jour on vit r'passer

Le messieu à belle mine,

Et tôt un grand coup de vent

Emporta le moulin à vent.

En général les meuniers qui ont affaire au diable s'en tirent à meilleur compte. Dans un récit de la Haute-Bretagne, le diable, qui a fait marché avec des meuniers pour la fourniture de la farine de l'enfer, vient à un des moulins: le meunier, Pierre-le-Drôle, lui dit que ses meules auraient besoin d'être réparées. Pendant que le diable est fourré dessous et occupé à les repiquer, le meunier laisse tomber la meule sur lui, et ne le délivre qu'après lui avoir fait signer un écrit par lequel il renonce au pacte conclu auparavant. Quand Pierre-le-Drôle est mort, il se présente à la porte de l'enfer, et le diable ne veut pas le recevoir, de peur d'être encore moulu, disant qu'au surplus il y a en enfer assez de gens de son métier.

[Illustration: Habit de Meusnier

Gravure de C. Walck (XVIIe siècle).]

Les meuniers sont, au reste, au premier rang des artisans qui, grâce à leur esprit ingénieux, viennent à bout d'entreprises que ne peuvent mener à bien des gens de condition plus relevée. Les contes les représentent comme plus subtils que les prêtres eux-mêmes. L'un d'eux, dont la donnée se retrouve dans un fabliau du moyen âge, l'évêque meunier, se raconte encore dans beaucoup de pays de France: dans le sud-ouest, c'est lui qui doit répondre aux questions que lui posera son évêque, résoudre des énigmes, et aller le voir ni à pied ni à cheval, ni même vêtu. Un meunier vient à son secours, bâte son mulet, se met tout nu et s'enveloppe dans un filet, de sorte qu'il remplit ces conditions imposées; il résout ensuite les questions, et lorsque l'évêque lui demande finalement de lui dire ce qu'il pense, il répond: Vous pensez au curé et non pas au meunier qui vous parle. L'évêque est si ravi, qu'il fait du meunier un curé. En Bretagne, l'abbé de Sans-Souci, qui devait résoudre, sous peine de vie, des énigmes posées par le roi, est tiré d'affaire par un de ses meuniers, auquel il promet la propriété de son moulin. Le meunier prit l'habit de Sans-Souci et vint trouver le roi, qui lui demanda combien pesait la terre.—Sire, ôtez les pierres qui sont dessus, et je vous le dirai.—Dis-moi ce que je vaux?—Le bon Dieu a été vendu 30 deniers, en vous mettant à 29, je ne vous fais pas tort.—Dis-moi ce que je pense?—Vous pensez parler à l'abbé Sans-Souci, et vous parlez à l'un de ses meuniers.

C'est aussi un meunier qui est le héros d'un conte anglais, qui présente plusieurs points de ressemblance avec la célèbre dispute entre Panurge et l'Écossais. Voyant un écolier embarrassé pour répondre à un professeur étranger qui devait lui faire subir son examen par signes, il lui propose de changer d'habits et d'aller à sa place. L'étranger tire une pomme de sa poche et la tient à la main en l'étendant vers le meunier; celui-ci prend une croûte de pain dans sa poche et la présente de la même manière; alors le professeur remet la pomme dans sa poche et étend un doigt vers le meunier; celui-ci lui en montre deux; le professeur étend trois doigts et le meunier lui présente son poing fermé. Le professeur donne le prix au meunier, et il explique à l'assistance que ses questions ont parfaitement été résolues par le candidat.

Près de Vufflens-la-Ville (Suisse romande), sur les bords de la Venosge, se trouve un moulin qu'on appelle le Moulin d'Amour. Autrefois, le fils du seigneur de Cossonay, petite ville des environs, tomba amoureux de la fille de son meunier et demanda à son père la permission de l'épouser. Le seigneur de Cossonay fit une réponse négative et irrévocable. Alors, le jeune homme quitta le château, renonça à son titre, et se fit meunier pour épouser sa belle. Il l'épousa en effet, et vécut longtemps heureux avec elle dans le moulin appelé depuis Moulin d'Amour.

[Illustration: L'âne conduisant le meunier, caricature du Monde à rebours.]

Légendes et curiosités des métiers

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