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PARIS L’ÉTÉ

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Un des préjugés de Paris, c’est de ne pas vouloir croire à l’été. Lorsque les chaleurs arrivent, souvent plus étouffantes qu’en Sicile, en Afrique et au Sénégal, tout le monde paraît surpris. Les directeurs de théâtre poussent des gémissements, les glaciers manquent de glace, la population, accablée, défaillante, languit sur l’asphalte en fusion comme les tribus d’Israël avant que Moïse eût fait jaillir l’eau du rocher.

Sous prétexte que l’été ne dure que trois mois, quelquefois quatre, on ne fait rien pour s’y préparer. Dans les pays chauds, où cependant la brise est plus fraîche qu’à Paris, vous avez des promenades sur l’eau, des promenades sous les arbres, des allées, des tunnels et des grottes où le soleil ne darde pas ses rayons; vous avez des vêtements légers et des chapeaux de paille à larges bords, des spectacles en plein vent, des cirques, des arènes; vous avez des fruits glacés, des figues d’Inde, des pastèques, des grenades; à chaque coin de rue s’élèvent de petits pavillons à colonnettes rayées de blanc et d’or, ornés de grands festons de citrons et d’oranges, et la foule est souvent si compacte autour de ces frais reposoirs, que l’acquajuolo est obligé de prendre dans sa main trois verres à la fois pour les remplir d’une eau froide et claire comme le cristal de roche, tempérée par quelque gouttes d’anis.

Dans les pays chauds, vous avez la sieste aux heures brûlantes; les hamacs, les stores, les fauteuils en roseau; les terrasses ombragées de tentes en coutil ou de berceaux de vigne; les soupers de coquillages et de fruits de mer; enfin le bon sens et, la logique des habitants qui ont adopté le judicieux usage de dormir le jour et de veiller la nuit.

A Londres, l’été dure moins longtemps qu’à Paris, et cependant toutes les précautions sont prises pour combattre la chaleur. Un excellent système de ventilation est appliqué aux salles de spectacle; les jardins publics abondent; partout des parcs, des squares, des arbres, des pièces d’eau magnifiques: On se baigne où l’on veut; j’ai vu de nombreux baigneurs, en costume de triton, s’ébattre paisiblement, dans l’étang de Kinsington, dans le parc de la reine!

Il manque à Paris deux choses essentielles; l’eau et les arbres. Cependant la Seine est là, remplie de bonne volonté, et avec un peu d’industrie, on pour rait avoir des fontaines superbes, des étangs, des cascades, qui auraient le double avantage de rafraîchir l’air et de réjouir la vue. Quant à trouver de beaux arbres, je conviens que la chose est plus diflicile. Du train dont on y va, on montrera bientôt comme une curiosité tout arbre qui ne sera pas une allumette. Mais il reste encore quelques beaux chênes, quelques sapins oubliés, dans la forêt, de Saint-Germain, dans les bois de Meudon, de Verrières et de Bièvre, et grâce au chemin de fer, on peut, comme Mahomet, aller aux arbres si les arbres ne viennent pas à nous. Croiriez-vous qu’on a ouvert un bal à Enghien, à quelques pas de ce coude charmant que fait la Seine, à quelques pas de la forêt de Montmorency, et que les propriétaires de ce curieux établissement ont trouvé moyen de choisir le seul terrain peut-être de toute la contrée qui n’eût ni un filet d’eau ni un arbre? Avouez qu’il a fallu bien de l’esprit pour bâtir presque sur le lit du fleuve, un petit désert de sable, un coin de Sahara où l’on ne rencontre, pour toute oasis, que des lampions et des chaises!

Nous avons des écoles de natation, c’est-à-dire de petits cachots, bien calfeutrés, entourés de planches et de toiles, où chacun a pour sa consommation particulière moins d’eau que dans une baignoire, et où l’on risque de recevoir à chaque instant sur la nuque les nageurs habiles dont la spécialité consiste à piquer des têtes.

Il y a deux ou trois siècles, on y mettait moins de façons, on se baignait en plein air. Je lis ceci dans la Bruyère:

«Tout le monde connaît cette longue levée qui borne et qui resserre le lit de la Seine du côté où elle entre à Paris avec la Marne qu’elle vient de recevoir les hommes s’y baignent au pied pendant les chaleurs de la canicule; on les voit de fort près se jeter dans l’eau, on les en voit sortir; c’est un amusement. Quand cette saison n’est pas venue, les femmes de la ville ne s’y promènent pas encore; et quand elle est passée, elles ne s’y promènent plus.»

Dans ce temps-là les hommes allaient se baigner dans la Seine, au-dessus de la Porte-Saint-Bernard. Le bord de la rivière était encombré de dames; on y louait des chaises comme aujourd’hui aux Champs-Élysées. Les auteurs comiques et satiriques s’amusèrent beaucoup du choix de cette promenade En 1696, on joua au Théâtre-Italien une pièce de circonstance, sous ce titre attrayant: les Bains de la Porte-Saint-Bernard.

J’ai voulu visiter, l’autre jour, cette longue levée dont parle la Bruyère. Les quais étaient déserts; je n’ai vu que trois vieilles blanchisseuses, maigres, noires et tannées comme du cuir bouilli, et un arrêté du maire portant défense expresse de se baigner en cet endroit dangereuse! Malgré cet avertissement paternel, deux intrépides naïades, dont il m’est défendu de publier les noms, se sont lancées bravement à l’eau, et, abritées d’une légère ombrelle verte, la taille serrée par le pantalon de rigueur, les bras nus, les cheveux flottants, elles ont descendu la Seine jusqu’au pont Notre-Dame, filant vingt nœuds à l’heure, et ne s’arrêtant que de temps à autre pour demander des sandwichs et du madère.

Les spectacles d’été sont encore très-rares et très-mal organisés à Paris. Je ne vois guère que la salle du Cirque qui soit construite dans de bonnes conditions. Elle est légère, élégante, commode et parfaitement aérée. On se voit comme dans un salon, on circule avec la plus grande facilité, on se tient debout ou assis, le chapeau à la main ou le chapeau sur la tête, sans gêner et sans être gêné par personne. Le spectacle ne demande pas une attention soutenue. Vous pouvez rêver à rien profondément, comme l’a dit un illustre écrivain. Les femmes peuvent montrer leurs belles étoffes, leurs chapeaux, leurs écharpes, et recueillir le fruit de leur toilette. Rien n’est perdu. On y rencontre tous les soirs fort joyeuse compagnie, grâce au bon esprit du directeur, qui a su résister, avec une louable fermeté, à l’abus des billets gratuits. Une seule fois, M. Dejean s’est départi de son système, et c’est en faveur de la garnison de Paris.

— Prenez garde, lui dit le général Changarnier, votre offre est très-gracieuse et honore beaucoup vos Sentiments et votre caractère; mais il y a soixante mille hommes à Paris.

— Eh bien! mon général, quand il y en aurait quatre-vingt mille, cela me ferait trois mois, voilà tout! Envoyez-moi mille braves par soirée, je serai heureux de leur témoigner ainsi ma reconnaissance.

Rien n’est plus curieux que de voir dans la partie supérieure de l’enceinte les rangs pressés de ces jeunes soldats d’une tenue irréprochable, et qui font éclater de temps à autre leurs applaudissements comme des feux de peloton.

Les deux sujets les plus remarquables du Cirque (cela soit dit sans blesser l’amour-propre de personne) sont un enfant et une jeune fille, qui n’était elle-même naguère qu’une enfant. Rien n’égale leur intrépidité, leur sang-froid, leur bravoure. L’enfant est le petit Baptiste Loissel, le plus jeune frère de l’excellent écuyer de ce nom, Il ne monte à cheval que depuis deux ans; mais M. Adolphe Franconi, pour qui aucun miracle n’est impossible, en a su faire, en si peu de temps, un artiste de premier ordre. J’emploie à dessein ce mot d’artiste, qui n’a rien de trop ambitieux pour la circonstance, car ce petit Loissel, que vous voyez bondir et rebondir sur son cheval comme un volant sur sa raquette, s’élever à des hauteurs incroyables, et passer, comme emporté par une trombe, au-dessus de la foule frémissante, a tout l’esprit, toute la verve d’un comédien consommé dans les pantomimes et dans les scènes qu’il joue avec une perfection rare. Sa figure, sans être régulière, est très-intelligente et très-expressive; ses yeux sont noirs et perçants, il a des jarrets de fer et des muscles d’acier.

La jeune fille est Mlle Palmyre Annato, qui a failli se tuer l’autre soir en tombant. Je ne puis m’empêcher d’éprouver un intérêt pénible, un serrement de cœur involontaire, lorsque je vois ces pauvres enfants, ces jeunes filles si délicates et si frêles, s’exposer tous les soirs à des dangers terribles, qu’ils apprennent à dissimuler avec grâce. D’où viennent-ils? où vont-ils? Par quel concours de circonstances étranges et fatales en sont-ils arrivés à cette froide indifférence? Que de travaux, que de peines, quel long et douloureux martyre n’a-t-il pas fallu pour assouplir et pour briser leurs membres! Comment une mère peut-elle vouer sa fille à un pareil état! Il n’y a point de roman, point de drame qui m’émeuve autant que la simple histoire, le touchant récit de la vie d’une écuyère.

En 1832 un petit homme, petillant de malice et d’esprit, musicien habile et compositeur amusant, donnait des leçons de chant dans un hôtel de Copenhague, à une petite fille nommée Lucile Grahan. Les parents de Mlle Lucile voulaient, à toute force, en faire une chanteuse. La petite détestait le chant et mettait son maître à la torture. Sur ces entrefaites, on annonce au signor Annato, professeur de piano et de chant, que sa femme vient de mettre au monde un enfant du sexe féminin, et qu’elle prie le signor Annato de monter, sur-le-champ, au deuxième étage.

— A la bonne heure, dit le père en se levant, voilà une petite fille que le ciel m’envoie, qui sera plus docile que vous, mademoiselle, et dont je ferai un jour une grande cantatrice.

— Non, dit la petite Suédoise en frappant du pied, je ne veux pas qu’elle chante, moi; tes chansons m’ennuient; je veux apprendre à danser, et ta fille aussi.

Vous voyez que rien ne manque à la biographie de Palmyre, pas même l’horoscope traditionnel. Seulement la prophétie de Lucile Grahan n’était pas complète. Toutes les deux ont dansé, en effet; mais l’une sur le plancher d’un théâtre, et l’autre sur le dos d’un cheval.

A quelque temps de là, M. Annato partit pour St-Pétersbourg, engagé comme chanteur à la chapelle du czar. Mais la musique sacrée lui était moins familière que la musique bouffe, il obtenait beaucoup plus de succès dans des chansonnettes et des airs comiques que dans des canons et des psaumes. Un soir, la grande-duchesse, femme du grand-duc Michel, rencontre dans une allée de son jardin M. Annato et sa fille. Le père ôta son chapeau, la petite ôta son bonnet avec tant de vivacité et de grâce, que la grande-duchesse éclata de rire. Elle prit l’enfant par la main, la mena dans une serre et lui donna autant de fruits qu’elle pouvait en porter dans son petit tablier. Dans sa précipitation à saluer Son Altesse et à défaire les rubans de son bonnet, Palmyre avait fourré les épingles dans sa bouche. La grande-duchesse s’en aperçoit, et, les retirant avec bonté : «Mon enfant, lui dit-elle, si une de ces épingles vous tombait dans la gorge, vous ne pourriez plus chanter.»

La petite, alors, prenant courage: «Madame, je ne veux pas chanter, je veux être écuyère! Maman, qui était la fille du directeur d’une troupe équestre, m’a dit que c’était un état charmant. Priez donc papa de ne pas me tourmenter avec son piano et ses chansons; je veux monter à cheval.»

A partir de ce moment, la vocation de Mlle Palmyre ne fut plus contrariée. Elle débuta, toute petite fille, en présence de l’empereur; de là, elle partit pour Bucharest, pour Jassy et pour Constantinople, puis elle revint à Odessa, à Moscou, à Varsovie, et fut engagée à Vienne par Guerra, un des plus célèbres écuyers de notre temps. Elle a travaillé à Vienne, dans la même troupe que Mme Kennebel-Franconi, et à Berlin avec Mme Lejears. Mais il était réservé à M. Adolphe Franconi de perfectionner son talent et d’en faire la jolie danseuse et l’intrépide écuyère que vous savez.

En sortant du Cirque, on s’arrête, malgré soi, devant le Café Morel et le café des Ambassadeurs. Une simple corde sépare les spectateurs des passants. Les premiers sont assis devant des tables, rangées en parallélogramme, et dégustent, en vrais sybarites, du café, de la bière et des glaces. Deux rotondes élevées sur un assez large piédestal, garnies de rideaux à moitié soulevés, et éclairées par un lustre, forment les deux théâtres rivaux. L’orchestre est au fond. Il se compose d’une contre-basse, de trois violons, d’un alto, d’une clarinette et d’un cor. Sur le premier plan, sont assis deux ou trois Messieurs en habit noir et quatre ou cinq dames en costume de bal. A la vérité, les nombreux cafés de la place des Célestins à Lyon possèdent des troupes plus complètes et des virtuoses d’un rang plus élevé. Les Sontag et les Lind n’abondent pas aux Champs-Élysées. Mais ni Mlle Lind ni Mme Sontag ne sauraient, après un morceau de bravoure, descendre dans le parterre et faire la quête avec autant de grâce et de laisser-aller. Telles qu’on les voit, ces deux baraques (si les affaires de nos deux théâtres lyriques ne s’arrangent pas bientôt), sont destinées peut-être à remplacer l’Opéra et l’Opéra-Comique.

Voilà que le Château-Rouge, à son tour, annonce des fêtes de nuit. C’est une excellente idée. La nuit porte conseil, surtout lorsqu’on peut fumer une cigarette assis sur un banc de gazon, à l’ombre d’un acacia en fleurs et la tête nonchalamment appuyée sur une blanche épaule. Au reste, je n’oublierai jamais que c’est au Château-Rouge que j’ai eu l’honneur de voir pour la première fois M. Paul de Kock et sa famille. Mais je doute que M. Paul de Kock et ses nombreux lecteurs veuillent visiter ces ombrages passé minuit. Que dirait la portière de M. Paul de Kock, qui est à la fois le type, le conseil et le public de ce grand écrivain? D’ailleurs, le Château-Rouge est situé dans un quartier très-éloigné, très-rocailleux, près des carrières Montmartre. Il faut bien des fusées, bien des chandelles romaines pour éclairer ces précipices. Je conseillerais donc à l’administration du Château-Rouge, de faire construire à son usage un petit chemin de fer atmosphérique avant de se lancer si résolument dans les fêtes de nuit.

M. Mabille, au contraire, aime à se coucher de bonne heure. A onze heures et demie sonnant le gaz est éteint. Si bien que, tout compte fait, on emploie une heure et demie pour déposer sa canne au vestiaire, pour réclamer son numéro, pour le présenter en sortant, pour reprendre la canne susdite, et dix minutes pour voir un quadrille et faire un tour de jardin. Évidemment ce n’est pas la faute de M. Mabille. Mais pourquoi cette rigoureuse consigne? On entre bien avec une canne au théâtre, dans les salons, dans l’église. Peut-on supposer que les danseurs seraient capables de se battre entre deux polkas? C’est faire injure aux habitués de céans. Tout au plus cet ordre inflexible ne devrait être maintenu que le dimanche. Le dimanche, la population du jardin Mabille est plus turbulente, plus commune et moins bien élevée que les autres jours de la semaine. Mais le samedi, par exemple! Un diplomate étranger écrivait dernièrement à son fils: «On me dit que tous les salons sont fermés en France et que, pour apprendre les belles manières, il faut fréquenter je ne sais plus quel jardin situé dans l’allée des Veuves.» Il est de toute évidence que ce diplomate a voulu parler du jardin Mabille.

17 juillet 1849.

Les grands guignols

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