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II

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INSTITUT DE FRANCE. — ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS. (Séance annuelle.)

La politique se glisse partout. Ni les lettres, ni les arts, ni le théâtre, ne peuvent plus être à l’abri de cette maladie du siècle dont il faut prendre son parti. Qui le croirait? Les deux filets d’eau claire que les paisibles lions de l’Institut laissent couler de leurs gueules académiques ont failli être troublés aujourd’ hui. Tout le monde sait que les pensionnaires de l’Académie de France à Rome n’ont pu, cette année, envoyer leurs travaux. On comprend les pénibles souvenirs qui s’attachent à cette circonstance unique dans les fastes de la villa Médicis. Mais M. Raoul-Rochette, avec un tact exquis et un extrême bon goût, a su éviter tout ce qu’un pareil sujet pouvait avoir d’irritant.

Au demeurant, le programme de ces cérémonies solennelles ne varie pas beaucoup. L’appel nominal des lauréats, la distribution des grands prix de peinture, de sculpture, d’architecture, de paysage historique et de composition musicale, la lecture d’une notice sur la vie et les travaux d’un peintre académicien, une ouverture et une cantate par deux élèves couronnés, voilà de quoi se composent ordinairement ces séances qui ne durent que deux ou trois heures. Le public de ces réunions annuelles est assez curieusement assorti. Ce sont d’abord les mères et les tantes des lauréats, dans des toilettes étranges, dont les émotions du jour excusent la précipitation et le négligé ; des professeurs dont les cheveux gris n’ont pas tout à fait corrigé les prétentions juvéniles; quelques jolies femmes pour qui les choses les plus sérieuses et les moins amusantes sont un prétexte de distraction et d’amusement; quelques jeunes gens de l’école des Beaux-Arts, bruyants, tapageurs incorrigibles, qui charment les ennuis de l’attente en essayant des chœurs à bouche close, et saluent l’entrée de chaque lauréat d’applaudissements ou de murmures prolongés.

La séance n’était indiquée que pour deux heures précises, mais dès midi et demi presque toutes les places réservées aux invités ont été envahies. A deux heures MM. les académiciens sont entrés dans leur hémicycle, les uns revêtus de leur habit brodé de palmes vertes, les autres en simples mortels. M. Gatteaux, le président, a pris place au fauteuil, ayant à sa droite M. Raoul-Rochette et à sa gauche M. Huvé. Puis la distribution des prix a commencé, après une ouverture dont je parlerai tout à l’heure. Au fur et à mesure que M. le secrétaire perpétuel lisait les noms des élèves, ceux-ci se levaient de leur place, s’approchaient du bureau, recevaient leurs couronnes des mains du président, et allaient embrasser leurs professeurs, aux grands applaudissements du public.

Dans le rapport des prix annuels, fondés par différents bienfaiteurs, on a remarqué particulièrement ce passage:

«Feu M. Deschaumes a fondé, par son testament, un prix de la valeur de 1,200 fr., à décerner, au jugement de l’Académie, à un jeune architecte réunissant aux talents de sa profession la pratique des vertus domestiques.»

Ces mots du testateur ont été accueillis par une explosion d’hilarité. Ce qui ne me paraît pas bien flatteur ni pour la vertu, en général, ni pour feu M. Deschaumes, en particulier.

La distribution des prix terminée, M. Raoul-Rochette a raconté la vie de M. Bidauld, paysagiste, dans une prose élégante, spirituelle et polie. Cette notice peut se résumer en deux mots: M. Bidauld commença par peindre des enseignes, et finit par faire des paysages charmants. Il a vécu honnête homme, il est mort académicien. Honneur à sa mémoire!

La partie musicale de la séance se composait, comme nous l’avons dit, d’une ouverture et d’une cantate.

L’ouverture est de M. Gastinel, couronné, je crois, il y a deux ou trois ans. C’est un travail consciencieux et remarquable. M. Gastinel est un des bons élèves de M. Halévy.

C’est assez dire qu’il a fait d’excellentes études. Il a de l’ordre, de la clarté, de la précision, qualités essentielles pour arriver plus tard à la couleur et au style. Il sait fort bien grouper et agencer les différentes parties d’un morceau pour former un tout analogue. Sans avoir une imagination bien féconde, il ne tombe pas dans le commun et dans le vide. Je n’en voudrais pour preuve que son introduction en ré très-bien conçue et très-élégamment écrite. Mais je reprocherai à M. Gastinel l’abus de la sonorité, une profusion de trémolos que rien ne justifie, et, brochant sur le tout, des accords de cuivre déraisonnables et stridents. On pourrait dire aux compositeurs qui n’ont aucun ménagement pour les oreilles du public: «Vous vous fâchez, donc vous avez tort; vous faites du bruit, donc vous n’avez pas d’idées.» M. Gastinel n’en est pas là heureusement.

Je sais bien que lorsqu’on a pour la première fois à sa disposition un orchestre comme celui de l’Opéra, il faut une grande modération et un grand empire sur soi-même pour ne pas en abuser. Il est si commode de dire aux violons: faites-moi des trémolos, pour le plaisir de faire des trémolos; il est si facile de dire aux trombones et aux tympans: sonnez, trompettes! battez, tambours! Cela ressemble un peu à la joie que font éclater les enfants quand ils ont en leur pouvoir de petits canons de cuivre et des soldats de fer-blanc. Mais M. Gastinel est un homme; et s’il veut bien se garder de toute exagération fâcheuse, il ne tardera pas à prendre place parmi nos bons compositeurs.

Quant à M. Cahen, on ne pourrait vraiment lui reprocher aucun excès. Sa cantate est d’une simplicité extrême. M. Cahen est un tout jeune homme, pour lequel on ne saurait montrer trop d’indulgence; il n’a pas vingt ans. M. Cahen n’a remporté cette année qu’un second prix: c’est déjà quelque chose. MM. Adam et Zimmermann, ses professeurs, ne peuvent pas manquer de lui donner de précieux conseils, et de lui aplanir les obstacles qu’on rencontre au début de toute carrière. Mais il est à désirer que, pour son second essai, M. Cahen tombe sur des paroles d’une candeur moins primitive. L’auteur de cette honnête cantate est M, Camille Doucet, qui a pourtant fait ses preuve Une médaille de 500 francs a été décernée comme récompense à cette innocente scène. Vingt-cinq louis de bonbons, c’est vraiment trop cher

Cela s’appelait: une barque, titre éminemment inoffensif. Cependant, toute réflexion faite, la barque a disparu. Des cerveaux brûlants y auraient pu découvrir une allusion détournée aux affaires de Rome. Une barque! Prenez garde! saint Pierre était pêcheur.

Le poëte en était là de ses méditations et de ses doutes, quand il a eu une inspiration d’en haut. Quelque chose comme une voix du ciel lui a crié à l’oreille: appelle donc ta cantate Antonio! Et il ne se l’est pas fait dire deux fois. Antonio! voilà qui coupe court à toutes les difficultés. Antonio! Honni soit qui mal y pense.

Or, vous ne le croiriez jamais, Antonio c’est lord Rivers. Ce lord, trois fois malheureux, a eu le désagrément d’être trompé par sa femme. Un dop Fernand qui m’a tout l’air d’être un Espagnol aussi séduisant que peu délicat, s’est permis d’enlever la trop sensible lady Clara. Les deux amants, dont on ne saurait trop déplorer la rouerie précoce, ont conçu l’infernal projet de s’en aller de Douvres à Cadix dans un frêle esquif de pêcheur. Évidemment l’action se passe avant l’invention des bateaux à vapeur. C’est là que les attendait lord Rivers. Pour les attirer dans le piège, le malin lord se couvre entièrement d’un grand manteau de marin (c’est M. Doucet qui parle) et prend le nom d’Antonio. Tout autre à sa place se fût appelé John, Tom ou Patrick. Lord Rivers tient absolument à s’appeler Antonio. C’est son idée, ni plus ni moins que s’il était à Venise.

Les deux coupables ne tardent pas à paraître. «Une voiture s’est arrêtée, dit toujours M. Doucet, don Fernand en est descendu avec lady Clara. — Les voilà, les voilà ! s’écrie lord Rivers; c’est lui, c’est elle!» Si aguerrie que soit lady Clara, à peine a-t-elle mis le pied sur le bateau fatal, elle éprouve un peu de mal de mer. Don Fernand profite de l’occasion pour se livrer à une cavatine en ré majeur.

Ciel orageux de l’Angleterre,

Adieu... je te fuis pour toujours,

Bientôt à ma jeune compagne,

En montrant l’horizon vermeil,

Je dirai: voilà mon Espagne!

Pays enchanté, sans pareil!

Pays de l’or et du soleil t

Admirez la profondeur de ce bientôt! «Adieu, ciel de l’Angleterre, bientôt nous verrons l’Espagne! Évidemment la barque de lord Rivers file deux cents nœuds à l’heure. Mais les fugitifs avaient compté sans l’orage et le mari, deux tristes choses! L’horizon s’obscurcit, lord Rivers se découvre, un éclair brille et le bateau s’enfonce. Bonsoir la compagnie!

C’est sur cette aimable complainte, que le jeune lauréat a dû écrire un récitatif, un petit duo, un air de ténor et un trio final. Nous avons remarqué un assez joli passage sur ces mots: Loin de ma patrie, qu’à jamais j’oublie, et, par-ci, par-là, des intentions heureuses qui méritent d’être encouragées.

7 octobre 1849.

Les grands guignols

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