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V

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DISTRIBUTION DES PRIX AU CONSERVATOIRE. —OPÉRA. — NOUVELLES. — OPÉRA-COMIQUE: L’ÉCLAIR.

«Je m’imaginais qu’il n’y avait rien à voir après les Amusements de Muley-Bugentuf; mais je me trompais. Des timbales et des trompettes nous annoncèrent un nouveau spectacle: c’était la distribution des prix. On apporta donc tout à coup sur le théâtre deux longs bancs d’école, avec une armoire à livres remplie de bouquins proprement reliés. Alors tous les acteurs revinrent sur la scène et se rangèrent tout autour du seigneur Thomas, qui tenait aussi bien sa morgue qu’un préfet de collége. Il avait à la main une feuille de papier où étaient écrits les noms de ceux qui devaient remporter des prix. Il la donna au roi de Maroc, qui commença de la lire à haute voix. Chaque écolier qu’on nommait allait respectueusement recevoir un livre des mains du pédant; puis il était couronné de lauriers, et on le faisait asseoir sur un des deux bancs pour l’exposer aux regards de l’assistance admirative.»

Ces mots, qui se trouvent au deuxième livre de Gil-Blas, montrent que de tout temps et en tout lieu, les distributions de prix ont été à peu près les mêmes. Moi aussi je croyais qu’après l’amusement des concours du Conservatoire dont j’ai rendu un compte fidèle, il n’y avait plus rien à voir. J’oubliais la distribution des prix. Elle a eu lieu dimanche, avec sa pompe habituelle. La séance a commencé par un discours de M. Charles Blanc. M. de Beauchesne a lu les noms des lauréats. Chaque élève qu’on nommait, les messieurs en habit noir et les demoiselles en robes blanches, allaient recevoir des mains de M. le directeur des beaux-arts, des violons, des basses, des trombones, des trompettes, des partitions, des médailles et des diplômes. On a économisé les lauriers pour ne pas alarmer la commission du budget.

Après cette cérémonie, qui a duré une bonne heure, les élèves ont voulu donner un petit échantillon de leur savoir-faire. J’aurais beaucoup retranché du programme. Un duo pour deux pianos, composé par Thalberg sur les motifs de Norma, a été parfaitement exécuté par Mlle Gras et par le petit Wienawski. Cet enfant, qui n’a pas dix ans, est déjà un artiste. On le voit à son front singulièrement développé pour son âge, à son regard pénétrant, à son attention concentrée. L’aubade de M. Bazin est un véritable tour de force. Il a fallu beaucoup de peine et beaucoup d’esprit pour faire entrer dans un seul morceau, le moins désagréablement possible, tous ces solos de cor, de basson, de trompette, de hautbois et de flûte. On ne s’en est point tenu aux aubades. Il y a eu des airs, des duos, des fragments de comédie, une scène de la Favorite, et un trio bouffe du Maître de chapelle. La petite salle du Garde-Meuble regorgeait de spectateurs. Les mères pleuraient dans un coin; les pères rêvaient pour leurs enfants les plus brillantes destinées. Voilà pourtant deux ou trois cents nouveaux artistes qu’on jette sur le pavé de Paris. Que Dieu leur vienne en aide!

L’Opéra et l’Opéra-Comique ont stéréotypé leur affiche et s’en trouvent à merveille. C’est une grande et belle chose que le succès, pour les auteurs d’abord, pour les directeurs, pour les artistes, pour tous ceux qui en profitent; mais aussi, mais surtout pour le critique. Le créateur du monde se reposa le septième jour; le critique, lui, qui n’a rien créé, ne peut se croiser les bras qu’après un grand succès. Ceux-là donc nous calomnient d’une manière étrange, qui prétendent que nous nous plaisons aux désastres, que nous n’appelons de nos vœux que la ruine et l’abîme. Qu’y gagnerions-nous, je vous prie? et le beau spectacle, en vérité, que d’assister, trois heures durant, à l’agonie d’une œuvre médiocre et absurde! Après avoir subi notre part du supplice commun, lorsque tous les autres oublient les fatigues et les ennuis de la soirée au sein de leur famille, nous rentrons chez nous pour tailler nos plumes et nous livrer à la plus ingrate besogne. Le public a tué la pièce: c’est à nous de l’enterrer proprement, après l’avoir toutefois disséquée et embaumée avec toutes sortes d’aromates et d’épices.

Il faut trouver moyen de dire à l’auteur qui nous serrait la main quelques minutes auparavant: Votre ouvrage n’a pas le sens commun; au comédien qui, la veille encore, protestait de son admiration profonde pour notre esprit, de son dévoûment inaltérable pour notre personne, il faut insinuer doucement qu’il s’est trompé de vocation; il faut, par des métaphores habiles et des réticences polies, faire comprendre à la prima donna, qui nous lançait naguère les œillades les plus perfides et le plus charmant sourire, que n’ayant reçu de la nature aucune espèce de voix, elle a jugé sans doute inutile de la cultiver. Et lorsqu’enfin nos précautions sont bien prises, lorsque nous avons de notre mieux dissimulé la chute, excusé les défauts, plaidé les circontances atténuantes; lorsque nous avons ménagé les amours-propres, les caprices, les vanités, les manies, les intérêts de tout le monde, nous pouvons inscrire hardiment au calendrier de nos ennemis cinq ou six noms nouveaux qui nous détestent de tout leur cœur et nous déporteraient volontiers, si cela dépendait d’eux, à l’ile Mayotte.

Parlez-nous, au contraire, des grands succès, des œuvres sérieuses et fécondes; parlez-nous du Prophète et de la Fée aux roses, pour ne citer que les deux ouvrages qui ont le plus réussi à nos deux théâtres lyriques. Comprenez-vous notre bonheur? Dire du bien de tout et de tous, distribuer des éloges et recueillir des poignées de mains; sourire à droite et à gauche, sans rencontrer la moindre grimace; nous sommes, de l’aveu de tous les intéressés, les écrivains les plus aimables, les plus savants, les plus spirituels de l’univers, et nous pouvons, si bon nous semble, le jour même où notre article parait, partir pour la campagne et ne revenir que dans deux ou trois mois.

Mais vraiment ces directeurs de théâtre sont insatiables. Plus l’argent s’accumule dans leurs caisses comme dans les caveaux de la Banque, plus ils se remuent et s’agitent pour trouver de nouveaux filons, de nouvelles mines. L’Opéra qui, depuis quelques jours, sent la volonté et la main d’un seul directeur, parait redoubler d’efforts. La rentrée prochaine de Fanny Cerrito, les charmants ballets de Saint-Léon: la Vivandière et le Violon du Diable, en attendant quelque création nouvelle, vont ramener les admirateurs de cette danse entraînante et voluptueuse, dont la belle Napolitaine est le type le plus complet. Tous ceux qui préfèrent la réalité à l’ombre, les contours onduleux et souples à la maigreur diaphane et correcte, la grâce et la beauté du corps à la prestidigitation des pieds, s’empresseront de regagner leurs places, où ils n’ont laissé qu’un gant pendant l’absence trop prolongée de Mme Cerrito.

Quant à M. Duponchel, qui s’occupait particulièrement de la partie équestre de notre premier théâtre lyrique, frappé, dit-on, par la justesse de ce mot a Vous êtes orfèvre, monsieur Josse!» il va consacrer désormais tous ses instants à l’art de Benvenuto Cellini, et transformer la part de richesses que la gestion de l’Opéra lui a rapportée, en toute sorte de bijoux contrôlés.

L’Opéra-Comique, à son tour, redoutant le rêve de Pharaon, des sept vaches grasses et des sept vaches maigres, fait tout son possible pour balancer les recettes et alterner les succès. Les Mousquetaires, le Maçon, les Monténégrins, Haydée et dernièrement l’Eclair, avec Mlles Grimm, Meyer et Boulo, voilà bien des curiosités, bien des attraits. Boulo fait des progrès si réels et si rapides, que le public ne s’est pas contenté de l’applaudir et de le rappeler dans l’Éclair, on lui a fait répéter l’air du troisième acte: Quand de la nuit, qu’il dit d’une manière délicieuse.

Jourdan vient de se marier avec une cantatrice remplie de grâce et d’esprit, Mlle Mercier, qu’on appelait au théâtre Mlle Levasseur, pour ne point la confondre avec sa presque homonyme Mlle Lemercier. J’avais cru que le mariage aurait mis un peu de poids dans la tête de Jourdan et un peu de sérieux dans sa tenue. Il n’en est rien, malheureusement, et je suis forcé de le quereller dès les premiers jours de sa lune de miel. Jourdan ne sait pas, ne peut pas, ne veut pas demeurer en place. Il a l’insupportable manie de sautiller, de gambader, de s’agiter, de courir comme s’il était piqué par la tarentule. Coupez en deux la couleuvre au moment où elle replie ses anneaux, et les deux tronçons du serpent, qui tendent à se rapprocher, vous donneront une idée de ce mouvement, de ce frétillement perpétuel. Je ne sais si les auteurs encouragent ce travers dans l’espoir de jeter sur certains rôles une gaieté factice et d’arracher du parterre quelques rires de mauvais aloi, mais je sais que cela devient choquant dans l’Éclair. Le jeune étudiant d’Oxford que Jourdan représente, est un garçon sans conséquence et sans cervelle, plus paresseux que fat, plus gourmand qu’amoureux, avec une bonne dose de présomption, d’impertinence et d’égoïsme. Il ne faut pas en faire un pantin, il ne faut pas surtout que sa légèreté de dandy dégénère en charges grossières, comme lorsqu’il va s’asseoir sur un fichu et s’en relève piqué au vif; ou lorsqu’il tombe tout d’une pièce grotesquement aux genoux de sa cousine. De telles inconvenances rendent peu vraisemblable le mariage de la fin; car jamais ni miss Henriette ni sa sœur ne consentiraient, à épouser un homme ridicule et mal élevé.

4 décembre 1849.

Les grands guignols

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