Читать книгу La fée d'Auteuil : les héros de la vie privée - Pierre Alexis Ponson du Terrail - Страница 10
CHAPITRE VIII
ОглавлениеSalbris est un joli village qui a des airs de petite ville.
On y trouve jusqu’à trois rues bien alignées, et des maisons blanches et coquettes.
Tout à l’entour s’étend une plaine sablonneuse; mais au delà commence la sapinière, cette forêt moderne qui a remplacé les marécages couverts d’ajoncs, et d’où la fièvre s’exhalait aux rayons du soleil.
Un quart d’heure après son départ de la station, le char à bancs courait sur une route tracée à travers les sapins et impénétrable aux rayons du soleil.
M. Léon de Courtenay, tout en prenant une mine consternée pour être fidèle à sa promesse de se montrer convenable, accablait Germain Maubert de mille questions.
Le pays était-il giboyeux? Y rencontrait-on du cerf ou du chevreuil? La perdrix rouge était-elle abondante? Valait-il mieux employer l’épagneul ou le braque comme chien d’arrêt?
Maubert répondait avec distraction.
Evidemment la douleur du vieux garde était profonde et sincère.
Notre héros, le baron Paul Morgan, ne soufflait mot.
Il avait pris les rênes des mains de Maubert, et il conduisait.
Chose bizarre! à mesure qu’on avançait et que la distance qui le séparait du château s’amoindrissait, le baron se souvenait des paroles de son ami Léon de Courtenay qui lui avait dit: Ton bon oncle, que tu pleures si consciencieusement, te savait ruiné, mais il n’a point songé à t’envoyer cent mille écus.
Et Paul Morgan se répétait ces paroles et cherchait vainement le secret de la conduite de son oncle.
Or, en interrogeant ses souvenirs, le baron se rappelait que son oncle n’avait jamais été avare; qu’autrefois même, il lui avait toujours ouvert sa bourse en lui disant: Prends tout ce que tu voudras.
Il se rappelait encore que sept ou huit mois auparavant il avait écrit à son oncle pour lui demander une vingtaine de mille francs dont il avait un pressant besoin.
Son oncle lui avait répondu qu’il avait la goutte et ne pouvait aller à Orléans où il avait des fonds à recouvrer, et il n’avait pas envoyé les vingt mille francs.
Et plus le char à bancs approchait du château, plus le baron se sentait assailli par ces souvenirs, et se disait que peut-être, après tout, son bon oncle ne méritait pas tant de regrets.
Enfin l’allée forestière qu’ils suivaient fit un coude et le château de Crisenon se montra à deux portées de fusil.
La Sologne, quoique plate, quoique fabuleusement pauvre et dépeuplée jadis, est une terre historique. Elle a eu Chambord pour capitale; et François Ier se plaisait à y courir le cerf tout l’automne.
Aussi les vieux manoirs en briques rouges, assis au bord d’un étang putride, n’y sont-ils pas rares.
Crisenon était une construction de la renaissance. Confisqué, après la Saint-Barthélemy, sur une famille protestante, il avait été donné par le roi Charles IX à un courtisan du nom de Saulieu.
Ce Saulieu avait fait souche de gentilshommes.
Lorsque 1789 arriva, le marquis Louis de Saulieu était un haut et puissant seigneur dont les terres s’étendaient depuis Romorantin jusqu’à la Loire.
La nation prit les terres et le château.
Deux ans après, un étranger, un méridional, le citoyen Morgan, qui avait entrepris les fournitures de l’armée du Rhin, passa par là, trouva le château de son goût et l’acheta pour quelques milliers de livres en assignats. Vingt ans plus tard, le citoyen Morgan était devenu le baron de Morgan et menait grand train dans ce château dont le dernier maître était mort sans postérité sur l’échafaud révolutionnaire.
Comme le baron était fort riche, il restaura le château, le meubla avec goût, défricha les terres qui l’environnaient, dessécha les étangs du voisinage et mourut entouré de la vénération et de l’estime publique, laissant deux fils.
Le premier, le père de Paul, alla vivre à Paris.
Le second ne quitta pas Crisenon, et tandis que son neveu dissipait sa fortune, il accrut considérablement la sienne.
Or donc, le char à bancs roulait maintenant en vue du château, et bientôt il passa sur le pont levis restauré par le premier des Morgan.
Au bruit, un homme accourut, descendant quatre à quatre les marches du perron.
Cet homme qui était vêtu de noir comme un monsieur, Paul le reconnut sur-le-champ.
C’était le docteur Rousselle, la célébrité médicale de Saint-Florentin.
— Monsieur le baron, dit le docteur d’une voix émué, je ne crois pas beaucoup aux miracles et, comme médecin, je suis toujours tenté d’expliquer les phénomènes selon la raison. Mais je vous avoue, aujourd’hui, que je ne comprends rien à ce qui arrive.
Il prit Paul Morgan parle bras et continua, en le faisant entrer sous le vestibule:
— Votre oncle devrait être mort depuis hier soir, cependant il vit encore. Pourquoi? comment? C’est pour moi, l’homme de science, un problème.
«Docteur, m’a-t-il dit ce matin, combien d’heures me reste-t-il à vivre?»
Je ne répondais pas, car je m’attendais depuis la veille à lui voir rendre le dernier soupir d’une minute à l’autre.
Mais il me dit avec un sourire:
«Je vivrai jusqu’à ce que mon neveu soit ici.»
Et, en effet, monsieur le baron, il vit encore .et toute sa vie paraît s’être réfugiée dans son regard.
Il ne veut pas mourir avant de vous avoir vu.
M. Léon de Courtenay, qui avait suivi Paul Morgan, entendit ces paroles et dit au docteur:
— Monsieur, je suis le meilleur ami de Paul, et c’est à ce titre que je l’ai accompagné dans ce pénible voyage; mais pensez-vous qu’il soit convenable que j’entre dans la chambre du mourant?
— Je crois, monsieur, répondit le docteur, que M. Paul doit pénétrer seul auprès de son oncle.
M. de Courtenay fit un signe d’assentiment, et, voyant la porte de la salle à manger ouverte, il y entra.
Alors Paul suivit le docteur.
Celui-ci le conduisit au premier étage, et Paul, les larmes aux yeux, se précipita vers le lit du moribond.
Le vieillard était couché dans une grande chambre tendue de tapisserie de haute lisse et garnie de vieux meubles en noyer et en chêne.
Il s’était fait adosser à une pile d’oreillers, sans doute pour respirer plus librement; et Paul Morgan fut frappé de la sérénité majestueuse qui planait sur ce visage déjà voilé des ombres de la mort.
Le regard, en effet, avait conservé toute son énergie; et ce regard, après avoir remercié Paul Morgan, s’arrêta sur le docteur.
Cela voulait dire:
— Laissez-moi seul avec mon neveu.
Et le docteur sortit, fermant la porte derrière lui.
Alors le vieillard fit un effort suprême et étendit la main vers son neveu:
—Paul, dit-il, j’ai supplié Dieu de me laisser vivre jusqu’à ton arrivée, et Dieu m’a exaucé.
— Mon oncle...
— J’ai un secret terrible à te confier, mon enfant, dit encore le vieillard d’une voix faible, mais qui contenait une volonté énergique et tenace.
Et le baron Paul Morgan regarda le mourant et se demanda si les paroles qu’il entendait n’étaient point le résultat du délire qui s’empare de ceux qui vont quitter ce monde...