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CHAPITRE IX

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Le vieillard était calme.

Cette auréole de majesté que Dieu met au front des mourants éclatait autour de son visage transfiguré.

Il fallut bien que le baron Paul Morgan comprît que son oncle ne délirait pas, et qu’il s’était cramponné à la vie assez pour avoir le temps de lui faire quelque solennelle confidence.

— Parlez, mon oncle, dit-il en lui prenant la main, je vous écoute religieusement.

— Mon enfant, dit le mourant, tu as gaspillé ta fortune, et, je le sais, depuis près de deux années tu luttes contre la mauvaise fortune, tu vois ta ruine se consommer peu à peu; je le savais, et je ne suis point venu à ton aide.

Peut-être, mon enfant, m’as-tu accusé d’égoïsme, peut-être as-tu méconnu mon cœur.

Il n’en est rien, cependant, et je ne t’ai jamais plus tendrement aimé.

Mais il est des devoirs auxquels l’honnête homme sait sacrifier son cœur, et je n’ai pas voulu mourir avant d’avoir accompli ce devoir en ce qui me touche, et t’avoir légué la part qui te revient à toi-même de ce devoir dont je parle.

A l’heure où je parle, tu es pauvre, continua le mourant d’une voix faible, mais parfaitement distincte. Dans une heure je serai mort, laissant près de trois millions de fortune, et tu seras pauvre encore, et cependant tu es mon uniaue héritier.

Le baron regardait son oncle avec une sorte d’effarement.

— Mon enfant, poursuivit celui-ci, dans le premier tiroir de ce secrétaire tu trouveras une lettre à ton adresse. Ce n’est pas mon testament, je n’avais nul besoin d’en faire, puisque tu es le seul rejeton de ma famille et que la loi te fait mon héritier.

Mais cette lettre te prescrit ton devoir, et je compte sur ta loyauté.

Tu dois te souvenir de ton enfance, mon ami, tu dois voir encore, à travers les souvenirs de ta première jeunesse, ce grand vieillard taciturne et songeur qui était mon père et ton aïeul.

Il est mort dans ce lit où je suis, baigné de nos larmes, entouré de vénération et de respect.

Eh bien, mon ami, cet homme qui est mort riche et considéré avait commencé sa vie par un crime; il avait dépouillé une famille de sa fortune, et cet or dont nous avons joui si longtemps sans remords, il l’avait volé...

Paul Morgan jeta un cri.

— Le temps presse, mon ami, continua le moribond. La mort est là ; je n’ai point le temps de te raconter cette lugubre histoire, mais je l’ai écrite pour toi et tu la trouveras tout au long dans cette lettre avec les indications nécessaires pour restituer à qui de droit ce qui ne nous a jamais appartenu.

La voix du vieillard s’affaiblissait par degrés.

Paul Morgan avait pris sa main et la couvrait de ses larmes.

— Il y a deux ans, dit encore le moribond, en brûlant de vieux papiers, j’ai trouvé une lettre qui fut pour moi toute une révélation...

Une lettre qui me foudroya, car elle m’apprenait la source impure de notre fortune et la faute de celui dont je vénérais la mémoire.

Cette lettre, tu la trouveras annexée à celle que je t’écris. Adieu, mon enfant... adieu. Sois honnête... tu es jeune, intelligent... tu seras courageux, n’est-ce pas?

— Oui, mon oncle, murmura Paul d’une voix entrecoupée par les sanglots.

Alors, comme s’il n’eût attendu que cette promesse pour quitter ce monde, le vieillard se souleva brusquement, poussa un grand cri et rendit l’âme...

Deux minutes après, le médecin rentra; le vieillard était inanimé sur son lit, et Paul Morgan, étendu à terre, paraissait en proie à une sorte d’hébétement.

Il pleurait et riait tout à la fois, et il avait le délire.

M. de Courtenay, prévenu, arriva en toute hâte.

Il prit son ami dans ses bras, il lui parla, l’appela par son nom.

Paul ne le reconnut pas.

— Parole d’honneur, pensa le viveur, je ne croyais pas si bien dire hier en affirmant qu’il était imprudent de le laisser partir seul.

Ce garçon est fou.

— Rassurez-vous, lui dit le docteur, cette folie n’est que momentanée; mais il va falloir l’emporter hors d’ici; il faut l’éloigner du cadavre de son oncle et prendre les plus grands ménagements.

Quarante-huit heures après, le délire durait encore chez Paul Morgan.

Les funérailles de son oncle avaient eu lieu; M. Léon de Courtenay avait conduit le deuil, et il s’était montré fort convenable, selon sa promesse.

Deux autres jours s’écoulèrent.

On avait d’abord redouté une fièvre chaude chez le malade; mais sa jeunesse et sa robuste constitution triomphèrent.

Enfin, le soir du cinquième jour, la raison lui revint.

Léon de Courtenay était assis à son chevet et le regardait avec la sollicitude d’un ami dévoué.

Paul lui tendit la main et lui dit:

— J’ai été fou, n’est-ce pas?

— Non, répondit M. de Courtenay, mais tu as éprouvé une si violente émotion, qu’elle a amené chez toi le délire.

— Maintenant, dit le baron avec tristesse, je me souviens de tout. Mon oncle est mort...

— Hélas! mon ami.

— Depuis combien de temps?

— Depuis cinq jours.

— Alors il est enterré ?...

— Oui, mon ami; le docteur et moi nous l’avons conduit à sa dernière demeure.

Une larme roula sur la joue du baron.

— Mon Dieu! mon cher bon, dit M. Léon de Courtenay, il faut pourtant te faire une raison.

— Ah! mon ami...

— Songe à ta fiancée, à cette rayonnante et belle Pauline de Valserres.

Il y eut dans les yeux noyés de pleurs du baron comme un rayon de joie.

Mais ce rayon s’éteignit bientôt.

— Mon ami, dit-il, veux-tu me rendre un service?

— Parle.

— Va-t’en dans la chambre où est mort mon oncle.

— Bien.

— Ouvre son secrétaire, la clef doit être après. Tu trouveras, dans le premier tiroir, une lettre à mon adresse.

— Un testament sans doute?

— Non, dit le baron, une lettre qui me trace mon devoir.

— Que veux-tu dire?

— Mon ami, je suis plus pauvre que jamais.

— Ah! mon Dieu, s’écria M. de Courtenay, voici le délire qui le reprend! Docteur... docteur!...

Heureusement le docteur Rousselle n’était pas dans la pièce voisine.

— Tais-toi, dit vivement Paul Morgan, je n’ai pas le délire mon ami, tu vas bien le voir.

— Alors tu as cent cinquante mille livres de rente?

— Non, pas une obole.

— Ton oncle t’a donc deshérité ?

— Non.

— Docteur, à moi! cria de nouveau M. de Courtenay.

Mais Paul Morgan lui prit vivement la main.

— Tais-toi donc, dit-il, et écoute-moil....

La fée d'Auteuil : les héros de la vie privée

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