Читать книгу La fée d'Auteuil : les héros de la vie privée - Pierre Alexis Ponson du Terrail - Страница 9
CHAPITRE VII
ОглавлениеLa proposition faite à Paul Morgan par le vicomte Léon de Courtenay de l’accompagner et d’aller assister aux funérailles de son oncle, comme on va faire un voyage d’agrément, était tellement absurde que tout d’abord le baron ne la prit pas au sérieux.
Mais Léon de Courtenay qui passait pour un toqué était l’homme le plus sérieux.
— Je t’accompagne, avait-il dit.
Et dès lors, il n’en voulut pas démordre.
Tandis que Paul Morgan courait à Auteuil, M. de Courtenay alla chez lui fermer une malle, et le baron se trouva à la gare d’Orléans trois heures après, dix minutes avant le départ du train.
Les deux jeunes gens s’installèrent dans un coupé et s’y trouvèrent seuls. Le train partit.
— Mon cher bon, dit alors M. Léon de Courtenay, l’homme ressemble quelque peu à un bateau à vapeur américain.
— Drôle de comparaison, répondit le baron, dont la pensée et le cœur étalent encore à Auteuil.
— Que tu vas trouver juste, si tu veux bien m’écouter.
— Parle.
Léon de Courtenay alluma un cigare, s’allongea le plus qu’il put dans son coin et dit:
—Les bateaux à vapeur américains descendent une foule de fleuves, le Mississipi, par exemple.
Ils sont deux souvent à la même compagnie, tous deux chargés de passagers et de marchandises; ils ont tout le temps voulu pour se rendre à leur destination.
Mais à peine sont-ils en route, qu’ils chauffent à toute vapeur: après le bois, on emploie le charbon; après le charbon, des jambons salés; après les jambons, des tonneaux de suif.
La machine est rouge; les deux bateaux ne filent plus, ils volent: on dirait des martinets sur un lac.
Et cela dure une heure ou deux, ou six, jusqu’à ce que l’un des deux saute avec son équipage, ses passagers et son chargement.
— Mais, mon ami, dit le baron Paul Morgan, je ne vois nullement en quoi l’homme peut ressembler à....
— A un bateau à vapeur? C’est bien simple, dit M. de Courtenay. L’homme comme nous est constitué pour vivre vieux quand il est sage, mais il ne l’est pas; il se démène, se surmène, chauffe à toute vapeur et fait naufrage bien avant l’entrée du port, c’est-à-dire cette bonne vieillesse qui est la récompense du viveur bien équilibré.
— Par exemple, dit le baron, je serais curieux de savoir ce que tu appelles un viveur bien équilibré.
— Un homme comme moi.
— Ah!
— J’ai toujours mesuré toutes choses, reprit M. de Courtenay, je n’ai jamais fait du plaisir un labeur, j’ai joui de tout, je n’ai jamais abusé de rien; je me suis aperçu que le grand lévier de ce monde était l’argent, et je n’ai croqué un héritage que lorsque celui que j’attendais après commençait à être mûr.
Je ne me suis jamais donné le ridicule et la peine d’être sérieusement amoureux; j’ai accepté avec une grande philosophie la perte de mes parents ou de mes amis; enfin, je ne me suis jamais surmené. Aussi, tu me vois, à trente-six ans, aussi jeune qu’à vingt-cinq, aussi expérimenté qu’à soixante.
— Mille compliments, dit le baron.
— Toi, au contraire, mon bien bon, tu as chauffé à tous les degrés, tu n’es pas un homme; aujourd’hui, par exemple, tu es une locomotive.
— Plaît-il?
— Tu pleures ton oncle qui n’est pas mort; tu soupires comme un phoque en songeant à ta fiancée qui va t’attendre bien gentiment. Tu es entre la joie et la douleur, comme l’âne de Buridan entre ses deux picotins, et le résultat de toute cette agitation pourrait bien être une bonne petite maladie que tu recueillerais à ton retour, comme le laurier des triomphateurs.
— En vérité, dit le baron, je ne te comprends pas.
— Commençons par la chose triste, nous finirons par la chose gaie, poursuivit M. de Courtenay.
— J’écoute.
— Ton oncle a bien soixante ans, n’est-ce pas?
— A peine, dit le baron.
— Et cent cinquante mille livres de rente au moins, hein?
— Je ne sais pas au juste, mais il est très-riche.
— Bon! Qu’est-ce qu’il dépense?
— Presque rien.
— Tu es son unique héritier?
— Sans aucun doute.
— Eh bien, voici deux ans que tu es quasi ruiné. Ton oncle le sait-il?
— Certainement.
— Et l’idée de t’envoyer cent mille écus ne lui est point venue?
— Non, mais il me laissera tout son bien.
M. de Courtenay haussa les épaules.
— Tu es un naïf et candide jeune homme, dit-il. La belle générosité, ma foi, de laisser ce qu’on ne peut emporter! La Providence a dû faire comme moi, hausser les épaules, puisqu’elle a permis que ce brave homme d’égoïste se casse les reins, juste au moment où son héritage va te donner, aux yeux de ta fiancée, une plus-value de cent cinquante pour cent.
— Tu blasphèmes! s’écria le baron. Pauline m’aime et elle est trop riche elle même...
— Mon très-cher bon, répliqua M. de Courtenay d’une voix railleuse, je savais déjà que tu ne connaissais pas les hommes, je m’aperçois maintenant que tu es plus ignorant encore à l’endroit des femmes.
— Léon...
— Si riche que soit une femme, elle a fait d’avance un petit calcul bien simple: elle dépensera tout son revenu. Si son mari est pauvre, il faudra retrancher sur la modiste, la couturière, la compagnie des Indes et le bijoutier, de quoi lui faire une liste civile.
Les femmes n’aiment pas cela.
Donc, si tu es riche, juste au moment où tu vas épouser, ta femme doublera son amour pour toi de toute la joie qu’elle éprouvera de te voir subvenir aux frais généraux de la maison et à tes dépenses personnelles, comprends-tu?
— Je comprends que tu es un sceptique, dit le baron.
Et il ramena sa casquette de voyage sur ses yeux et ne souffla plus mot.
M. de Courtenay s’amusa tout le long du chemin à lire des journaux illustrés, et quatre heures après son départ de Paris, le train du Centre s’arrêta à la station de Salbris.
Un peu avant, Paul Morgan avait étendu la main vers le nord-ouest, disant:
— Vois-tu cette construction en brique rouge?
— Avec des tourelles?
— Justement. C’est Crisenon.
— Ton château?
— Celui de mon oncle.
— Niais! c’est le tien, puisque le brave homme va revoir ses ancêtres.
Un domestique attendait à la gare.
C’était le garde-chasse qui avait écrit au baron.
Il était triste et de grosses larmes roulaient dans ses yeux.
— Ah! monsieur Paul, dit-il, monsieur Paul, vous avez bien tardé à venir... Votre oncle est à l’agonie... Venez, venez!
— Ce serviteur est touchant! murmura M. Léon de Courtenay en montant à côté de aul dans le char à bancs de campagne attelé d’une vigoureuse jument percheronne, que le vieux garde-chasse avait amené.