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CHAPITRE VI

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Table des matières

Les châteaux étaient rares à l’entour de la Fringale.

Cependant, la chose étant admise que dans l’Orléanais la moindre habitation prend ce nom pompeux, il y en avait un à trois quarts de lieue, tout au bord de la forêt.

Ce château s’appelait la Fougeronne, du nom sans doute de son ancien propriétaire qui se nommait Fougeron.

La Fougeronne appartenait maintenant à une veuve qui y vivait avec son fils.

La veuve avait cinquante ans, le fils vingt-quatre ou vingt-cinq.

Cette veuve, dans sa jeunesse, se nommait Héloïse Fougeron, et son père, un brave homme et un homme d’esprit, n’avait qu’un travers: il avait voulu que sa fille épousât un gentilhomme.

A force de chercher, il en trouva un.

C’était un ancien officier, Gascon d’origine, qui s’appelait Castérac, n’avait pas un sou vaillant, et s’en consolait en parlant des nombreux châteaux que sa famille avait possédés sur les bords de la Garonne et autres fleuves.

M. Fougeron avait une fortune modeste, sept ou huit mille livres de rente, peut-être. Il vivait à Orléans trois mois l’hiver et passait le reste de son temps à son château.

Ce fut à Orléans que le baron de Castérac, qui avait flairé les ambitieuses idées du bonhomme, lui fut présenté.

Comment le Gascon se trouvait-il dans cette ville? C’est ce que l’histoire n’a pas dit.

Il avait alors quarante-huit ans, mais il était mince, teignait ses moustaches et faisait encore un cavalier très-présentable.

Il plut à Héloïse qui mourait d’envie de devenir baronne.

Le mariage se fit, et, comme la Fougeronne avait besoin de quelques réparations, on y ajouta deux tourelles.

Le bonhomme Fougeron ne parlait plus que de son gendre le baron, lequel, pour flatter sa manie, avait exhumé des liasses de parchemins dont le plus modeste le faisait remonter à Charlemagne.

Pendant une dizaine d’années, le beau-père et le gendre ne parlèrent que de noblesse, généalogie, croisades et merlettes: le premier croyant naïvement que c’était arrive, comme dit le gamin de Paris; le second très-heureux d’avoir, en flattant cette folie douce, épousé une jolie fille et un bien-être relatif.

Tous deux moururent presque en même temps, laissant la baronne Héloïse avec un enfant de dix ans qui était déjà d’une jolie force sur le blason et à qui on avait donné le nom chevaleresque de Gontran.

La baronne Héloïse de Castérac avait donc passé sa vie à la Fougeronne, élevant son fils dans certaines idées qui eussent été de mode au quatorzième siècle, mais qui, au dix-neuvième, étaient parfaitement ridicules.

Prenez une bouteille de piquette et versez-la dans un tonneau de vieux vin, elle lui redonnera du ton.

La demoiselle Fougeron n’était que de la piquette peut-être, mais elle avait singulièrement relevé la fierté un peu éventée des Castérac.

Bien certain qu’il descendait de Charlemagne, le jeune Gontran était devenu un grand garçon, lorgnant d’un œil dédaigneux toutes les héritières du voisinage et n’en trouvant aucune digne de porter ce grand nom de Castérac dont l’origine et l’obscurité se perdaient dans la nuit des temps.

Et comme avec sept ou huit mille livres de rente on ne va pas bien loin, il n’avait pas eu la peine d’en refuser aucune, car aucune ne s’était présentée. Il était devenu homme et grand chasseur devant Dieu.

Dès le matin, laissant sa mère enfoncée dans la lecture de la Chesnaye des Bois, il partait, suivi de deux bassets, un fusil sur l’épaule, et arpentait les champs des environs.

Il regrettait parfois que les croisades fussent passées de mode, et il s’en vengeait sur les lapins.

Aucun autre sentiment n’avait fait battre son cœur jusque-là ; et il est probable qu’il se fut écoulé longtemps encore avant qu’il sût rien de la vie réelle, si, un matin, ses chiens ne l’avaient entraìné, à la poursuite d’un lièvre, jusque sous les murs de la ferme de M. Durand.

C’était au commencement de septembre; il faisait chaud et notre paladin avait soif.

Il siffla ses chiens et entra dans la ferme, en disant:

— Ces bons paysans me donneront bien un verre de vin.

M. Durand était aux champs et tout le monde avec lui.

Tout le monde à l’exception de la petite demoiselle.

Gontran traversa la cour sans rencontrer personne, il frappa à une porte et cria:

— Holà ! bonnes gens!

Les paladins n’interpellaient pas autrement le menu peuple.

Une fenêtre s’ouvrit et Blanche Durand montra son joli minois, disant d’une voix harmonieuse et douce:

— Que demandez-vous, monsieur?

Gontran leva la tête, vit la jeune fille et éprouva une sensation toute nouvelle. Il eut un battement de cœur et rougit.

— Je vous demande mille pardons, mademoiselle, dit-il; je croyais être chez de bons paysans et je venais demander à boire.

Et il fit un pas de retraite.

Mais Blanche lui dit:

— Attendez donc, monsieur, je vais vous ouvrir.

Et elle disparut de la fenêtre.

Gontran de Castérac était ébloui, fasciné par cette gracieuse apparition, et il eût voulu prendre la fuite que ses jambes s’y fussent refusées.

Il attendit donc que la porte s’ouvrît...

Jeanne : les héros de la vie privée

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