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CHAPITRE VIII

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Gontran de Castérac s’était donc en allé tout bouleversé, tout pensif, en proie à une émotion nouvelle pour lui.

On avait montré à Gontran bien des filles à marier, mais aucune ne lui avait produit l’impression d’admiration enthousiaste qu’il venait d’éprouver à la vue de Blanche Durand.

Et il cheminait le front penché, se demandant ce que pouvaient être ces gens qui, après avoir possédé le château de Bellombre, n’avaient plus qu’une ferme située dans un pays à peu près stérile et d’une mortelle tristesse.

Mais comment le savoir?

D’abord Bellombre était bien à quatre lieues de la Fougeronne, et de l’autre côté de la forêt.

Gontran savait cela, parce qu’il avait été invité à chasser à la Cour-Dieu et que la chasse l’ayant entraîné jusqu’au village de Coursy, on lui avait montré cette propriété à travers les arbres.

La forêt est comme une muraille de la Chine en de certains endroits. Les pays qu’elle sépare n’ont aucune relation entre eux et les habitants ne se connaissent pas.

Quand il arriva à la Fougeronne, Gontran vit un domestique, l’unique du reste, car toute baronne qu’elle était devenue, Héloïse Fougeron ne jetait pas son bien par la fenêtre et vivait avec une économie tout à fait orléanaise.

Le domestique lavait la calèche sur les panneaux de laquelle s’étalaient les armoiries des Castérac et à laquelle on attelait, le dimanche, pour aller à la messe, un vieux cheval de labour.

— Dis donc, Germain? fit Gontran.

— Monsieur le baron? dit le valet en ôtant sa casquette garnie d’un large galon de similor.

— Connais-tu le château de Bellombre?

— Oui, monsieur le baron, j’ai passé devant.

— A qui appartient-il?

— Je ne sais pas; mais si monsieur le baron désire le savoir, le fermier peut le lui dire, il a tenu une ferme à bail de l’autre côté de la forêt.

Gontran s’en alla chez le fermier; car la Fougeronne, en dépit de ses tourelles neuves, n’était, après tout, qu’une ferme.

Le fermier, interpellé par Gontran, lui répondit:

— Le château de Bellombre est à M. Archinean.

— Qu’est-ce que c’est que M. Archineau?

— C’est un bourgeois très-riche qui a acheté le château voici deux ans.

— Et à qui appartenait ce château, auparavant?

— A M. Jouval.

Ce nom fut comme une douche d’eau froide sur la tête de Gontran.

Etait-ce donc Mlle Jouval qui lui avait offert à boire?

Jouval n’était pas un nom des croisades.

Mais le fermier ajouta:

— Vous savez, ce M. Jouval qui était si riche, et qui s’est noyé pendant les dernières inondations.

Gontran respira.

M. Jouval ne pouvait être le père de Blanche, puisque M. Jouval était mort et que Blanche lui avait dit: Mon père est dans les champs.

— Oh! fit-il, M. Jouval était propriétaire du château de Bellombre?

— Oui, monsieur le baron.

— Et... avant lui?

— C’étaient des gens qui se sont ruinés; des gens de Paris, je crois; j’en ai entendu dire beaucoup de bien; mais je ne me souviens pas de leur nom.

Ces derniers mots ramenaient Gontran à son rêve.

Il entra à la Fougeronne et monta à la chambre de sa mère.

Héloïse Fougeron lisait Amadis de Gaule, et se demandait si le héros de ce roman ne serait point, par hasard, un ancêtre de feu le baron de Castérac, son mari.

La baronne n’était pas précisément une femme agréable ni une mère bien affectueuse.

Elle ne tutoyait pas son fils, et lui donnait un baiser bien sec quand il revenait de la chasse.

C’était une grande femme d’un blond hasardé, avec un nez recourbé comme un bec de perroquet, des yeux verts, une démarche pleine de roideur et des mains énormes qui juraient singulièrement avec ses prétentions aristocratiques.

Lorsque Gontran entra, Héloïse Fougeron quitta son livre et prit une lettre ouverte qui se trouvait sur une table, à la portée de sa main.

— Mon fils, dit-elle à Gontran avec un accent qu’elle essayait de rendre solennel et qui n’était que grotesque, venez vous asseoir près de moi; je veux causer avec vous de choses sérieuses.

Gontran, qui revenait le cœur plein et la tête en feu, tressaillit à ces paroles et, pour la seconde fois, il éprouva la sensation d’un homme qu’on plonge inopinément dans une cuve d’eau froide.

La baronne de Castérac, née Fougeron, poursuivit:

— Gontran, vous allez avoir vingt-cinq ans.

— Eh bien, ma mère...

— Les bourgeois se marient quand bon leur semble, mais un gentilhomme se doit à sa race, et vous ne pouvez pas, vous n’avez pas le droit de laisser éteindre l’illustre nom de Castérac.

Gontran ne répondit pas; il songeait à Blanche Durand.

— On me propose un mariage pour vous, continua Héloïse Fougeron.

Gontran eut froid au cœur.

— Mlle de Ponte-Giraud, qui appartient à une excellente famille du Blaisois. Les Ponte-Giraud ne valent pas les Castérac, je le sais, mais enfin ils sont bons gentilshommes.

— Ah! dit Gontran comme un écho.

— Vous allez donc partir demain pour Blois.

— Mais, ma mère...

— On vous attend... on veut vous voir... et cette alliance peut être conclue promptement.

— Pardon, ma mère, dit froidement Gontran, devenu homme depuis quelques heures, qui me dit que Mlle de Ponte-Giraud est jolie?

Héloïse haussa les épaules.

— Qu’elle me plaira?...

— Vous êtes fou!

— Non, ma mère; mais je ne veux épouser que la femme que j’aimerai.

— On aime toujours la femme digne de porter votre nom.

— Je le croyais hier, ma mère.

— Et... aujourd’hui?

— Aujourd’hui je pense différemment.

La baronne était stupéfaite.

Son fils, élevé comme une demoiselle, ou plutôt comme un bon jeune homme craignant Dieu et redoutant sa mère, lui tenait un langage inouï.

— Et pourquoi pensez-vous autrement? demanda-t-elle d’un ton grincheux qui est le fond du caractère national dans le beau pays que nous avons décrit.

Gontran n’était pas encore rompu aux formes délicates de la diplomatie.

Aussi répondit-il avec une franchise brutale:

— Je pense différemment, ma mère, parce que je suis amoureux!...

La baronne de Castérac, née Fougeron, jeta un cri et faillit tomber en syncope.

Jeanne : les héros de la vie privée

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