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CHAPITRE VII

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Gontran de Castérac éprouvait une émotion tout à fait nouvelle pour lui.

Jusqu’alors, quand on lui montrait une jeune fille, il ne s’inquiétait que de ses quartiers de noblesse, obéissant ainsi à la sotte éducation qu’il avait reçue.

Jusqu’alors, il n’avait jamais regardé une femme en se demandant si elle était belle ou laide.

Mais si l’esprit vient vite aux filles, il vient plus vite encore aux garçons.

Il ne s’écoula guère plus d’une minute entre le moment où Blanche Durand disparut de la fenêtre et celui où la porte, à laquelle Gontran avait frappé, s’ouvrit.

Mais cette minute eut la durée d’un siècle pour lui, et son âme endormie s’éveilla.

Gontran était un enfant tout à l’heure; il devenait homme tout d’un coup.

Néanmoins il eut une petite désillusion.

Il entendit retentir des sabots dans l’escalier.

Cette créature idéale qui venait de lui apparaìtre portait donc des sabots?

Heureusement la porte s’ouvrit, et la désillusion n’eut que la durée d’un éclair.

Blanche était vêtue en paysanne; mais ses petites mains blanches, son visage charmant et distingué étaient une protestation muette contre cet accoutrement.

Heureusement, cette fois, l’éducation saugrenue de Gontran lui vint en aide.

Héloïse Fougeron, baronne de Castérac, belle et sotte personne en son jeune temps, n’avait jamais compris qu’à moitié les théories nobiliaires de son défunt mari, et elle mêlait volontiers dans son esprit la fable à l’histoire, confondant les chevaliers des croisades avec ceux de la Table-Ronde, l’ermite Pierre et Godefroy de Bouillon avec l’enchanteur Merlin et le bon roi Artus.

Il s’était suivi de ce pot-pourri intellectuel que le jeune Gontran avait lu pas mal de romans de chevalerie. Or, Dieu sait ce qu’il y a de fées et d’enchanteurs dans ces récits naïfs de nos pères, de princes métamorphosés en pourceaux et de princesses cachées sous la jupe de laine d’une bergère.

Le souvenir de ses lectures vint donc tout aussitôt au secours de Gontran, légèrement alarmé par ce bruit de sabots.

— C’est quelque noble châtelaine qu’une fée méchante et vindicative aura changée en paysanne, se dit-il.

Blanche le salua et lui dit:

— Entrez, monsieur; mon père est aux champs ainsi que notre servante, mais je vais pouvoir vous offrir à boire.

Gontran demeurait bouche béante et planté devant elle comme un nègre devant quelque idole sculptée dans un bambou.

— Mais entrez donc, monsieur, reprit-elle.

Alors, le charme perdit de son intensité, et Gontran pénétra dans la maison.

Bien que devenu fermier, M. Durand avait conservé certaines habitudes de son ancienne vie. L’ameublement de la maisonnette n’était pas celui d’une ferme et sentait encore l’existence bourgeoise.

Les meubles étaient en acajou, les rideaux en darnes; il y avait un vieux tapis dans le petit salon.

Tout cela était propre, luisant, entretenu avec respect par la pauvre Jeanneton.

Mais Gontran aurait préféré trouver un mobilier de paysan.

L’acajou nuisait à la poésie héroïque et fabuleuse, consistant à croire que Blanche était une princesse victimée par une méchante fée ou quelque enchanteur acariâtre.

La jeune fille ouvrit un bahut qui se trouvait dans la salle à manger et y prit un verre qu’elle posa sur une assiette, et une bouteille de vin qu’elle plaça sur la table.

Elle fit tout cela avec une grande simplicité, demeura debout, et, comme Gontran perdait contenance, elle lui versa elle-même à boire et lui dit:

— En effet, monsieur, il fait bien chaud et il a fait bien plus chaud encore tout l’été. Mon père ne s’en plaint pas, car il paraît que la récolte des vignes sera très-belle; mais on ne peut sortir que le matin et le soir, et je m’en plains un peu, moi.

Ce langage était dépourvu de la moindre chevalerie; mais Blanche montrait ses dents éblouissantes, sa voix était une musique et son sourire un enivrement.

Gontran descendit enfin de son nuage héraldique et fabuleux, se retrouva de son temps et de son époque, et dit à la jeune fille:

— Est-ce que vous habitez ici toute l’année, mademoiselle?

— Hélas! monsieur, répondit-elle avec plus de mélancolie que de tristesse, il le faut bien. Nous avons été riches, mais nous ne le, sommes plus.

Il n’y avait plus moyen de prendre Blanche pour une princesse enchantée. Mais Gontran eut une consolation; il se dit que Blanche était peut-être le rejeton de quelque vieille famille tombée dans l’obscurité et la misère.

Et comme il ne trouvait pas un mot à répondre, Blanche ajouta:

— C’est à nous qu’appartenait autrefois le château de Bellombre.

— Ah! vraiment? dit Gontran qui la contemplait toujours avec extase.

Malheureusement pour lui, Jeanneton arriva.

La brave servante, qui était à deux portées de fusil de la ferme quand il avait franchi le seuil de la cour, s’était empressée d’accourir.

Elle pénétra donc sans crier gare dans le petit salon où Blanche avait reçu le jeune baron Gontran de Castérac.

Elle avait le sourcil froncé et l’air un peu rogue du chien de garde qui voit un nouvel hôte au logis.

Un mot de Blanche la rassura.

Néanmoins elle s’installa dans le salon, sous prétexte de serrer le verre et la bouteille et de remettre les meubles en place, rendant dès lors tout tête-à-tête impossible entre Blanche et Gontran.

Gontran balbutia quelques mots, remercia et finit par s’en aller.

Mais il avait au cœur une première blessure. Blanche y était entrée armée de son sourire, et son cœur battait à rompre.

Le descendant de Charlemagne oublia de chasser ce soir-là.

Il reprit tristement, la tête basse, l’âme bouleversée, le chemin de la Fougeronne.

Gontran n’était plus le même, Gontran sentait qu’il y avait autre chose dans la vie que de sottes idées et des parchemins plus ou moins apocryphes, et les belles tourelles toutes neuves de la Fougeronne lui semblèrent ridicules quand il se prit à songer à l’humble ferme dans laquelle vivait, noble et simple, avec son sourire d’ange et sa voix d’enchanteresse, celle que Jeanneton appelait toujours la petite demoiselle.

Gontran était amoureux!

Jeanne : les héros de la vie privée

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