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CHAPITRE IX

Table des matières

Jusqu’à ce jour, Héloïse Fougeron, baronne de Castérac, avait eu dans son fils un être parfaitement soumis.

Il lui suffisait d’un froncement de sourcil, d’un regard sévère pour que Gontran se prit à trembler.

Et voici que tout à coup cet être, qui à ses yeux n’avait d’autre mission que de continuer la noble lignée des Castérac, se révoltait, relevait la tête et manifestait une volonté.

— O mes aïeux! murmura-t-elle en levant les yeux au ciel.

Et certes ce n’était ni au bonhomme Fougeron, son père, ni aux Fougeron des autres siècles, braves bourgeois pleins d’économie, du bon temps, qu’elle s’adressait en ce moment.

A force d’étudier la généalogie de son défunt mari, Héloïse avait fini par croire qu’elle était née de Castérac et qu’elle avait dans les veines du sang de Charlemagne.

Héloïse eut donc un accès de noble indignation, et comme les aïeux interpellés ne répondaient pas, elle reprit elle-même la parole, foudroyant son fils d’un regard:

— Je ne sais de qui vous pouvez être amoureux, dit-elle, mais vous vous servez là d’un mot que la bonne éducation ne saurait admettre.

L’esprit vient aux garçons, absolument comme aux filles, tout d’un coup.

Gontran regarda la baronne et lui dit:

— Pourquoi donc, ma mère, un homme bien élevé ne peut-il être amoureux? Je croyais que mon père vous avait épousée par amour.

Héloïse jeta un nouveau cri.

On eût dit d’un maître d’armes qu’un élève, un novice en l’art de l’escrime, touche en pleine poitrine.

— Mais d’où venez-vous donc? qui avez-vous vu? Comment avez-vous pu apprendre un pareil langage? s’écria-t-elle suffoquée.

Alors Gontran répondit avec une gravité émue:

— Ma mère, j’ai vu une jeune fille; elle est belle, je la crois noble...

Ce dernier mot adoucit un peu Héloïse Fougeron.

— Ah! vous la croyez noble? dit-elle.

— Noble et pauvre.

Cette fois les Castérac des âges héroïques durent se voiler la face dans l’autre monde, car Héloïse se retrouva Fougeronne de la tête aux pieds et dit avec une moue dédaigneuse:

— Vous voulez donc épouser une fille pauvre et léguer la misère à vos enfants?

Mais Gontran reprit:

— Je n’ai pas fait tous ces calculs, madame. La jeune fille est belle, je sens que je l’aime; et si elle veut de moi, je l’épouserai.

La Fougeronne, devenue baronne de Castérac, se sentit à moitié vaincue par cette attitude simple et résolue que venait de prendre son fils et dont elle l’aurait cru incapable une heure auparavant.

— Voyons, monsieur, dit-elle, je vois qu’il faut que nous nous expliquions.

— Je ne demande pas mieux, ma mère.

— Et puisque vous bravez mon autorité....

— Mais, ma mère, dit Gontran que ces paroles pleines de dureté et d’amertume touchèrent, avant de me condamner il faudrait m’entendre.

— Soit, parlez.

— Si cette jeune fille est belle...

— La beauté est un bien éphémère.

— Si elle est noble...

— Comment! vous ne le savez donc pas?

— Je le crois.

— Mais alors vous ne la connaissez pas?

— Je l’ai vue et j’ai compris que mon cœur lui appartenait tout entier et pour toujours.

Héloïse Fougeron haussa les épaules.

— Et où donc avez-vous vu cette merveille?

— A deux lieues d’ici.

— Sur la grande route?

— Non, dans une ferme.

Héloïse Fougeron fit un nouveau haut de corps.

— Vous allez me parler sans doute de quelque paysanne, une bergère ou une gardeuse d’oies? fit-elle.

— Non, ma mère, mais d’une jeune fille bien élevée.

— Vraiment?

— Et qui est belle à se mettre à genoux devant elle.

— Que faisait-elle donc dans cette ferme?

— Mais elle l’habite. Ils ont été ruinés, car ils avaient un château.

— Quel château?

— Le château de Bellombre.

— Le château de Bellombre, répondit Héloïse; appartenait à un certain Jouval, de Saint-Florentin; mais il est mort riche, et puis sa fille est mariée...

— Aussi n’est-ce ni de M. Jouval, ni de sa fille que je parle.

Mais Héloïse Fougeron, baronne de Castérac, tout en ne paraissant connaître que les ducs et le3 comtes de son voisinage, savait sur le bout du doigt l’histoire de tous les bourgeois des environs.

— Grand Dieu! s’écria-t-elle, mais c’est d’un certain Durand que vous voulez parler sans doute.

— Durand? fît Gontran, qui se mordit légèrement les lèvres à ce nom peu sonore.

— Oui, Durand, des gens de rien.

Et Héloïse Fougeron eut un éclat de rire qui dut satisfaire l’ombre des Castérac.

— En vérité ! mon fils, dit-elle, vous gentilhomme, vous baron, vous qui portez un des plus vieux noms de France, vous épouserez mamzelle Durand! Ah! ah! ah!

— Mais elle est charmante, dit Gontran.

— Le grand-père était marchand de vins.

— Qu’importe!

— O mon Dieu! s’écria la baronne, reprise d’une vertueuse indignation, vous l’entendez! mais il est fou.

— Mais non, ma mère, je ne suis pas fou.

— Une Durand entrer dans la maison de Castérac! quelle horreur!

— Mais, ma mère, dit froidement Gontran, est-ce que mon grand-père Fougeron...

— Taisez-vous! s’écria Héloïse, je vous défends de prononcer un mot de plus.

Puis, au comble de l’indignation:

— Sortez, sortez! dit-elle, vous me faites horreur.

En historien fidèle, il nous faut convenir que si l’origine des Castérac se perdait dans la nuit des temps, celle des Fougeron était beaucoup plus modeste. Le grand-père de la baronne Héloïse était un honnête fermier du Gâtinais, et le noble baron de Castérac avait dans les veines une certaine quantité de sang paysan.

Le paysan est entêté.

En ce moment Gontran fut bien plus Fougeron que Castérac.

Il sortit de la chambre de sa mère, mais en disant:

— Elle a beau s’appeler Mlle Durand tout court, je l’aime et je l’épouserai!...

Jeanne : les héros de la vie privée

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