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CHAPITRE III

Table des matières

Le père Migeon, ce bel esprit pratique du bourg de Coursy, avait eu raison.

Pour trois cent mille francs qu’il devait, on allait ruiner M. Durand qui possédait plus d’un million.

Le jour de l’adjudication arriva. Personne ne se présenta, si basse que fût la mise à prix.

Ce n’était pas cependant que les acquéreurs manquassent.

Il y avait longtemps que ce beau domaine de Bellombre que M. Durand avait augmenté, embelli, et dans lequel il avait enfoui ses économies de vingt années, était convoité.

Convoitées aussi étaient trois maisons alignées du même côté dans la rue Jeanne-d’Arc, à Orléans, et qui rapportaient douze ou quinze mille livres de rente.

Et une ferme en Beauce, et des prés dans le val de la Loire.

Il y a en Amérique un animal qu’on appelle le fourmilier, et qui passe des heures et des journées entières collé contre un tronc d’arbre, immobile, patient à guetter les insectes auxquels il emprunte son nom. Il est en province des hommes non moins patients, non moins tenaces à surveiller une proie souvent lointaine.

Depuis dix ans, on savait à Jargeau, à Chàteauneuf, à Arthenay, à Orléans, que M. Durand était gêné, si riche qu’il pût être.

Souvent il n’arrivait pas à l’heure pour payer les intérêts de ses hypothèques.

Il est vrai qu’il attendait ses fermiers, qu’il faisait quelquefois remise d’un terme à ses locataires.

De pareils actes auraient dû plaider en sa faveur. Au contraire, on le regardait comme un imbécile.

Depuis six années, il s’était formé contre lui une véritable association qui n’attendait que l’occasion pour agir.

Son luxe insolent lui avait fait plus d’ennemis que d’amis; toutes les bourgeoises des environs, qui se promenaient l’été avec de petites robes qui se lavent, avaient pris en haine l’élégance de Mme Durand, restée Parisienne à la campagne.

Ses chevaux anglais avaient humilié les percherons du voisinage attelés à l’antique cabriolet roulant cahin-caha avec un formidable bruit de ferraille; sa meute bien gorgée, bien créancée, chassant le chevreuil d’une manière irréprochable, faisait honte aux deux bassets de pieds inégaux que MM. tels ou tels possédaient pour braconner le lapin sur leurs terres, voire même sur celles de autres.

L’association s’était accrue de tout le monde.

Les porteurs des obligations hypothécaires en firent partie.

1848 arriva, et pendant quelques mois on chanta par les rues de Paris, aussi bien qu’en province, une chanson intitulée la Mort de M. Crédit.

Alors la mine éclata.

Chacun voulut être payé, et tous en même temps.

Comme l’avait dit le père Migeon, on ne trouve pas trois mille sous quand la confiance publique est ébranlée.

Les-amis de M. Durand s’entendirent; ils eurent même de petites réunions préparatoires dans le plus profond mystère.

On se fit des concessions réciproques, on discuta à l’amiable, chacun choisit par avance sa part des dépouilles, et il fut convenu qu’on ne se ferait pas concurrence.

M. Durand avait des parents assez proches.

Un cousin germain dit qu’il s’arrangerait volontiers des maisons de la rue Jeanne-d’Arc.

Un autre, quelque peu oncle de M. Durand à la mode bretonne, et qui ne lui avait jamais pardonné de ne pas brûler de la chandelle à la cuisine, s’engagea à ne pousser ni Bellombre, ni les fermes de Beauce, ni les maisons, si on le laissait paisiblement étendre sa griffe sur les prairies du Val qui touchaient précisément à une de ses propriétés. Un ami intime, un camarade de collège, le seul qui eût toujours fréquenté assidûment le châtelain de Bellombre, choisit la ferme d’Arthenay.

Enfin le fameux M. Jouval, de Saint-Florentin, déclara que Bellombre à 300,000 francs était payé.

Qui donc aurait osé faire concurrence à M. Jouval, ce tyranneau de province, dont quelque part déjà nous avons raconté l’histoire?

Les choses ainsi arrangées, il fut convenu que les mises à prix étaient trop élevées.

Le jour venu, personne ne se présenta.

M. Durand, à qui on vint apprendre ce résultat, se jeta au cou de sa femme et lui dit:

— Nous sommes sauvés!

La pauvre femme, qui pleurait, le regarda d’un air hébété.

— Oui, poursuivit M. Durand, je savais bien que- malgré ses criailleries la province avait du bon.

Nous avons encore des amis, et personne ne veut profiter de notre malheur.

Le pauvre homme disait cela dans ce vaste salon de Bellombre où il avait donné tant de bals et de fêtes, et dans lequel depuis un mois il avait versé tant de larmes.

Il se mit à la fenêtre, il promena un regard joyeux dans les futaies, sur les fermes, sur les jeunes plantations...

Ainsi on regarde un ami qu’on croyait à jamais perdu et qui vous revient.

Pauvre homme!

Un cabriolet se montra dans la vieille avenue d’ormes, attelé d’un cheval gris et crotté jusqu’à l’échiné.

C’était le cabriolet de l’huissier qui avait instrumenté.

Cet huissier était un jeune homme. Il n’était pas encore blasé. Il avait essuyé une larme, du revers de sa manche quand Mme Durand, qui était encore belle, avait éclaté en sanglots.

Pourquoi cet homme revenait-il?

Avait-il donc encore quelque chose à lui dire?

Jeanne : les héros de la vie privée

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