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DÉFINITION

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Rappeler et critiquer les différentes définitions proposées est la meilleure manière de poser les données du problème du gigantisme. En le définissant à notre tour, nous apporterons une formule dont il nous faudra, en nous basant sur les faits, justifier l’exactitude, même si nous sommes amenés à détourner de son acception habituelle le sens du mot géant.

Et tout d’abord, qu’est-ce qu’un géant?

«Un géant est une personne d’une taille démesurée.» Cette définition, empruntée à Yves Saint-Paul, et qui se trouve d’ailleurs reproduite dans tous les dictionnaires usuels ou abrégés, a le mérite de la simplicité. Malgré son apparence un peu trop exclusive, le terme «dé-mesurée» qu’elle renferme n’est pas loin d’exprimer, à lui seul et très brièvement, l’idée de trouble pathologique, que nous voudrions attacher d’une façon irrécusable au mot géant.

La définition donnée dans l’Encyclopédie de Diderot : «homme d’une taille excessive comparée avec la taille ordinaire des autres hommes» ajoute peu de chose à la précédente. Celle de Geoffroy Saint-Hilaire , «individus dont la taille est très supérieure aux dimensions moyennes de leur race», apporte un élément nouveau d’appréciation et établit déjà la distinction entre le gigantisme endémique et le gigantisme sporadique, qui sera reprise plus tard par Taruffi .

F. Delisle , de son côté, cherche à être plus précis et plus scientifique: «Les Géants sont des êtres dont la taille, à l’âge adulte, est de beaucoup supérieure à celle des individus de la même espèce et placés dans des conditions analogues d’existence». Les mots «à l’âge adulte» établissent une nouvelle distinction, sur la légitimité de laquelle nous aurons à revenir, lorsque nous étudierons les rapports de l’adolescence, de l’infantilisme et du gigantisme.

Les auteurs, dans les formules que nous venons de rapporter, ont surtout mis en valeur le caractère dominant du gigantisme et dès lors le plus facile à observer, c’est-à-dire la dimension démesurée de la taille. D’autres ont cherché à mieux préciser les modifications observées soit dans les différents segments, soit dans la totalité du corps.

Paul Gauchery , définissant «les Géants des êtres chez lesquels toutes les parties du corps ont subi une augmentation générale et dont la taille se trouve ainsi supérieure à la moyenne», semble avoir surtout cherché à éliminer le gigantisme partiel.

G. Hermann est plus explicite: pour lui, le Gigantisme est caractérisé par «le développement excessif du corps tout entier, avec conservation plus ou moins approximative de l’harmonie générale des formes».

Plus expressive encore est la formule donnée par Larcher et rappelée plus tard par E. Martin : «Un Géant est un être qui, exempt d’ailleurs de toute défectuosité dans les caractères essentiels de l’organisation, dépasse notablement par la taille les autres êtres de la même espèce, parvenus à l’âge adulte. Le Géant. ainsi défini et dont on peut dire qu’il est peut-être un être imaginaire, doit se montrer tel que l’harmonie de structure de ses divers organes soit manifestement normale, malgré le développement excessif de la taille. La vigueur physique et la résistance aux causes de destruction doivent aussi être proportionnées à ce développement inusité, la puissance génératrice étant, du reste, au moins égale à celle des adultes de même espèce».

Ainsi compris, le Géant, conservant, malgré sa haute stature, des formes harmonieuses et proportionnées, représente le type idéal de l’homme, une sorte de «surhomme», dont un donateur original avait rêvé de perpétuer l’espèce. Mais ce type idéal existe-t-il? Larcher avait lui-même prévu que «ce Géant était peut-être un être imaginaire» et Martin ajoutait: «Ces véritables Géants n’existent pas. Ceux auxquels on donne occasionnellement et arbitrairement cette appellation ne sont que des êtres qui relèvent de la tératologie et conséquemment ne sont que des monstres».

C’est à Henry Meige que revient le mérite d’avoir considéré le gigantisme presque toujours, sinon toujours, comme un syndrome pathologique. «La simple observation, écrit-il, autorise à séparer les individus de grande taille en deux groupes:

«1° Ceux qui sont simplement des hommes attirant l’attention par leur taille très supérieure à la moyenne et qui, par ailleurs, sont complètement normaux: c’est la minorité ;

«2° Ceux qui, outre leur haute stature, présentent un certain nombre d’anomalies tératologiques ou pathologiques: ce sont de beaucoup les plus nombreux.

«Les premiers, quel que soit le nombre de centimètres dont leur taille dépasse la moyenne, ayant une conformation, une constitution et une santé normales, ne sauraient former un groupe nosologique distinct, pas plus d’ailleurs que ceux dont la taille est inférieure à la moyenne. Ce sont des individus normaux, des hommes très grands ou très petits, la taille subissant, dans l’espèce humaine, d’amples variations suivant les races, les pays et une foule de conditions extérieures, variations appartenant à l’anthropologie.

«Les spécimens du second groupe sont bien différents: ils représentent une déviation du type humain sain et normal, caractérisée par des anomalies morphologiques et des troubles incompatibles avec la santé. Ce sont à la fois des monstres et des malades. Il serait à souhaiter que la dénomination de Géants leur fût réservée».

Nous basant sur les faits que nous avons observés et d’accord avec Henry Meige sur la signification nettement pathologique qu’il y a lieu d’attribuer au mot géant, nous avons été amenés à définir LE GIGANTISME COMME UNE ANOMALIE DE LA CROISSANCE DU SQUELETTE, SE TRADUISANT PAR UNE TAILLE EXCESSIVE DU SUJET PAR RAPPORT AUX DIMENSIONS MOYENNES QUE PRÉSENTENT LES SUJETS DE SA RACE ET ENTRAÎNANT UNE DYSHARMONIE MORPHOLOGIQUE ET FONCTIONNELLE, CARACTÉRISTIQUE DE CET ÉTAT MORBIDE.

Cette formule, dont nous éliminons intentionnellement le gigantisme normal, très rarement observé d’ailleurs, choquera peut-être les idées reçues et provoquera les critiques. Et tout d’abord elle se trouvera exposée aux objections du genre de celles qui ont été formulées, non sans humour, dans la Gazette des Hôpitaux , au lendemain de la communication qu’avait faite Brissaud, à la Société Médicale des Hôpitaux sur les Rapports réciproques de l’Acromégalie et du Gigantisme. «Que ceux de nos lecteurs qui sont de forte taille se rassurent: on peut être un homme grand sans être un géant et quelques-uns l’ont bien prouvé et le prouvent encore tous les jours, sans être précisément un imbécile.... En somme, on serait un géant parce qu’on a trop grandi, et on a trop grandi parce qu’on est acromégalique. Les carabiniers, les cent-gardes étaient-ils donc des acromégaliques? Pas tous probablement. Alors, pour M. Brissaud , ils n’étaient pas des géants. Mais où finit l’homme grand pour commencer le géant? Si c’est l’acromégalie qui marque la différence, on arriverait à cette conséquence singulière que, sur deux hommes de la même taille, un seul est un géant. C’est, en somme, affaire de définition: pour MM. Brissaud et Meige, un géant est un acromégalique de grande taille. Un homme de grande taille, s’il n’est pas un acromégalique, n’est qu’un homme grand».

Le critique, très avisé, de la Gazette des hôpitaux est amené ensuite à poser, d’une manière très précise, le problème des caractères différentiels qui séparent l’homme grand du géant. «Qu’est-ce qu’un géant? A partir de quelle taille est-on un géant? Au-dessous de combien de centimètres ne l’est-on plus?» A ces questions Brissaud riposte par d’autres, non moins difficiles à trancher. «Qu’est-ce que la maladie? A partir de quel chiffre de pulsations, de quel degré thermique a-t-on la fièvre? Au-dessous de combien de pulsations, au-dessous de quel degré thermique ne l’a-t-on plus?» On est en effet amené à dire qu’il y a entre l’homme grand et le géant les mêmes et aussi imprécises frontières qu’entre l’état sain et l’état morbide.

Pour les anthropologistes, comme pour les autres savants, ces frontières sont difficiles à délimiter; mais, d’après eux, le seul critérium important, par l’appréciation d’une taille communément qualifiée de gigantesque, c’est la constatation, dans la courbe uniformément et régulièrement ascendante qui représente la lente et continue progression des tailles des individus d’une même race, d’une brusque ascension interrompant tout à coup la régularité du graphique. Un brusque écart dans une série suffisamment étendue, telle est l’anomalie qui permet d’affirmer le gigantisme. On trouve, par exemple, sur la terre différentes races dont la taille, comprise entre 1m,25 et 1m,99, représente une ligne de croissance constamment et régulièrement progressive; au-dessus et au-dessous de ces limites, la courbe ne se poursuit plus. «Au-dessous de 1m,25 commence un certain état anormal, souvent pathologique, que l’on appelle nanisme; au-dessus de 2 mètres, on a un autre état correspondant, appelé le gigantisme» (Deniker) . C’est donc, à l’aide de la méthode des séries, que les anthropologistes prétendent pouvoir déterminer le nombre de centimètres qui, pour une race donnée, constitue la limite différentielle entre l’homme grand et le géant.

D’après Quételet , qui a abordé cette question, «les géants et les nains, pris individuellement, sont, en général, considérés comme des anomalies dans notre espèce; cependant, quand on observe les choses d’un point de vue plus élevé, cette idée est-elle bien exacte? Mes travaux sur la taille humaine m’ont prouvé que l’homme a une grandeur déterminée, formant une espèce de type. En considérant séparément les individus, ils s’écartent plus ou moins de ce type et varient telle ment entre eux, sous l’influence de causes accidentelles, qu’ils semblent ne pouvoir être rattachés par aucune loi de continuité. Cette loi existe cependant: j’ai tâché de l’exposer plus haut (L’homme moyen et la loi des grands nombres) et c’est, si je ne me trompe, l’une des plus curieuses que la nature ait fixées à notre espèce. J’ai tâché de la mettre en évidence et de montrer que non seulement l’existence des géants et des nains est une conséquence de cette loi, mais que même leur nombre est calculable a priori pour une population donnée: dans la chaîne qui rattache tous les hommes entre eux, ils sont des chaînons nécessaires, bien qu’ils forment des chaînons extrêmes».

Mais l’accord est loin d’être complet chez les anthropologistes et aux opinions précédentes on peut opposer celle de Topinard : «Où commence le géant ainsi que le nain, ou, mieux, comment se répartissent les hautes et les petites tailles extrêmes dans une mise en série des variations?... Y a-t-il quelque part, vers les extrémités, un saut, une lacune qui montre que les variations ordinaires sont finies et que les variations anormales, pathologiques, tératologiques commencent? Tout le secret est là »: Et, plus loin, le même auteur ajoute: «Aucune ligne de démarcation n’existe entre ce qu’on appelle des géants et des nains et les tailles physiologiquement hautes ou basses».

On revient ainsi à la difficulté, indiquée précédemment, qui se présente lorsqu’on cherche à établir une distinction entre le géant et l’homme grand et à la solution que nous avons proposée. Nous nous croyons, en raison même de la définition que nous avons donnée, autorisés à confondre les deux critériums anthropologique (anomalie dans la série numérique) et pathologique (dysharmonie morphologique et fonctionnelle), ainsi que le fait Deniker, lequel considère le gigantisme comme «une anomalie le plus souvent pathologique».

Pour Grasset , «un homme qui a plus de deux mètres de taille ou qui a dépassé cent ans est une exception; ce n’est pas nécessairement un malade». Cette remarque fait revivre une vieille querelle de mots sur la non absolue synonymie des termes exception, anomalie, maladie, monstruosité. Certes l’homme qui. mesure plus de deux mètres de taille n’est pas nécessairement un malade; aussi faut-il choisir un autre critérium que le nombre de centimètres pour distinguer un géant et doit-on réserver ce terme pour désigner des dystrophiés dysharmoniques.

Quant à l’objection philologique, on peut la formuler en se demandant si on a le droit de détourner un mot usuel de son acception habituelle. Mais il ne s’agit nullement de changer le sens du mot géant, mais seulement d’en bien préciser les caractères et les limites ou, comme disent les logiciens, la compréhension et l’extension. Restreindre le sens d’un mot en le mieux caractérisant, ce n’est pas, croyons-nous, compliquer une langue, mais au contraire l’enrichir et même l’embellir. N’est-ce pas là d’ailleurs le mécanisme habituel du perfectionnement d’une langue que la précision donnée à un terme scientifique, qui passe ensuite insensiblement dans le langage courant?

On pourrait, il est vrai, composer un mot nouveau et laisser à celui de géant son acception habituelle d’homme très grand. Mais il y a toujours quelque peine à forger, soit à l’aide du grec, soit à l’aide du latin, un mot nouveau et à s’en servir pour désigner une chose ancienne déjà ; il n’y a de plus aucun avantage à surcharger la langue d’un terme destiné à être compréhensible pour les seuls initiés. Henry Meige avait proposé de remplacer le mot gigantisme par celui de somatomégalie , (ϭωματoς, corps, μεϒαλoς,grand), qui, bien que correctement construit, nous paraît peu justiciable d’un emploi courant.

Parmi les synonymes du mot gigantisme, il n’en est pas qui semble pouvoir lui être préféré. Autrefois, on disait géantisme et c’est l’expression qui était communément employée par Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. Les Italiens (Malacarne, Taruffi) se servent du mot macrosomie, mais on peut lui adresser les mêmes critiques qu’aux termes macrosomatie, proposé par Breschet, ou somatomégalie composé par Henry Meige. Quant à l’appellation de mégasomie, créée par Manouvrier pour exprimer «le développement du corps dans sa totalité, abstraction faite du tissu adipeux», il ne peut guère être utilisé dans ce cas, car, ainsi que le fait remarquer l’auteur lui-même, «il peut se faire qu’un individu de médiocre stature, mais très trapu, soit plus mégasome qu’un individu d’une taille élevée».

Les termes de géant et de gigantisme seront donc conservés dans l’étude du syndrome pathologique que nous entreprenons. Bien que son étymologie ne rappelle guère que des souvenirs mythologiques ou bibliques, le mot géant offre, sur tous les autres termes qu’on voudrait lui substituer, le grand avantage d’être très vieux et d’être, pour cette raison, compris par tous. En modifiant son acception habituelle, en élargissant la définition abrégée (géant, personne d’une taille dé-mesurée) que donnent les dictionnaires, nous croyons atteindre une plus grande perfection scientifique. Nous croyons aussi résumer d’une façon suffisamment précise les caractères particuliers, propres au gigantisme dans la formule suivante:

LE GIGANTISME EST UNE ANOMALIE DE LA CROISSANCE DU SQUELETTE, SE TRADUISANT PAR UNE TAILLE EXCESSIVE DU SUJET, PAR RAPPORT AUX DIMENSIONS MOYENNES DES SUJETS DE SA RACE ET ENTRAÎNANT UNE DYSHARMONIE MORPHOLOGIQUE ET FONCTIONNELLE, CARACTÉRISTIQUE DE CET ÉTAT MORBIDE .

Etudes biologiques sur les géants

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