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Chapitre III CHEZ LES TCHILCOTINES

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Table des matières

SOMMAIRE.--Retour chez Anarhèm--Pêche au saumon--Par où commencer un toit--Un pénitent malcommode--Le jeu--Froide nuit de Noël.

Comme il n'y avait pas une bouchée en réserve au lac Louzkeuz lorsque nous le quittâmes, nous n'eûmes en revenant que ce que la poudre et le plomb purent nous procurer. Mais il faut dire que la bonne Providence veilla sur nous, et, à l'exception du dernier jour où nous ne pûmes rien tirer, les lièvres et les perdrix, ou poules sauvages, avaient toujours soin de se faire tuer à point.

Un jour même, je récitais mon chapelet en longeant la rivière à l'Eau-Noire lorsque tout à coup j'entendis Thomie, mon interprète, me crier d'une voix comprimée:

--Arrête! Arrête!

--Qu'y a-t-il donc? lui demandai-je en me retournant.

--Ne vois-tu pas... de l'autre côté de la rivière, un peu en arrière de ce tremble?

Je regarde dans la direction indiquée, et j'aperçois un ours énorme se régalant paisiblement de racines qui poussent dans la vallée.

Aussitôt Kwelh, mon autre compagnon, inspecte ses armes et court vers l'ours en se cachant le mieux qu'il peut. Mais l'animal avait l'oreille fine: il entend mon homme et s'enfuit majestueusement. Celui-ci se met à sa poursuite, et, lorsqu'il croit le moment favorable--peut-être sans grand espoir de succès--il lui envoie la charge de son fusil.

Mais la distance était trop grande. La balle, au dire du chasseur--et j'ai depuis acquis la certitude que nos Indiens peuvent la suivre des yeux--ne fait qu'effleurer la peau de l'animal, qui nous dit adieu pour ne plus revenir.

Au point de vue zoologique, notre district ne renfermait que deux espèces d'ours, l'ours noir (Ursus americanus) et l'ours gris (U. horribilis). Le nom scientifique de ce dernier en dit long sur ses mœurs et coutumes.

Mais nous avons en outre l'ours brun qui, pour les naturalistes et pour nos sauvages eux-mêmes, grands observateurs de la nature, n'est qu'une variété du noir. De fait, l'un et l'autre se trouvent assez souvent dans la même portée. L'ours noir se rencontre très fréquemment dans le nord de la Colombie Britannique. Sans prendre la peine de le chasser, et au cours d'un seul voyage d'été--il passe tout l'hiver endormi dans sa bauge--il n'est pas rare d'en rencontrer une assez grande quantité.

Au point que je ne crus autrefois ne pouvoir mieux faire que d'intituler Au Pays de l'Ours noir mon premier livre français (publié en 1897), auquel plusieurs de ces pages sont empruntées avec d'autant moins de scrupule qu'il ne s'est point vendu au Canada, et qu'il était épuisé bien longtemps avant la Grande Guerre.

Le lendemain de la rencontre susmentionnée, pendant que nous faisions sécher au feu de bivouac nos habits qu'une pluie de plus d'une demi-journée avait trempés jusqu'au dernier fil, j'aperçus un chevreuil qui venait se désaltérer au même cours d'eau: J'en avertis mes compagnons, mais ils ne se pressèrent pas assez, et lorsqu'ils allèrent le tirer, il avait repris le chemin de la forêt.

J'omets maintenant les autres incidents de la route et arrive de suite chez les Tchilcotines, au camp d'Anarhèm où j'avais laissé le P. Blanchet.

Je m'attendais à trouver là tous les sauvages de la place et à voir les murs de l'église à peu près terminés, vu qu'il y avait presque trois semaines que j'avais quitté le camp. En outre, comme je n'avais mangé depuis un jour que les restes desséchés d'une galette, je commençais à avoir faim.

Quel ne fut donc pas mon désappointement lorsqu'en arrivant sur le plateau, je ne trouvai que quelques chevaux errant en liberté, et m'aperçus que l'église en était encore à sa base! Où sont allés les sauvages? Qu'est devenu le P. Blanchet? Qu'est-il arrivé pendant mon absence? Et maintenant où aller?

Autant de questions qui se pressent dans mon esprit, demandant une prompte réponse, et pas une âme pour me la donner!

Cependant mon parti est bientôt pris. A onze milles de là réside un des rares blancs qui se sont établis dans la vallée: nous irons coucher chez lui. Peut-être pourra-t-il nous donner quelques renseignements.

Aussitôt dit, aussitôt fait. A huit heures du soir, nous frappons à la porte de M. Tom Hance, et là j'apprends, par un billet laissé par le P. Blanchet, que les Indiens ont quitté l'endroit depuis bientôt deux semaines.

"Lorsqu'ils ont appris l'arrivée du saumon", me dit-il, "aucune considération n'a pu les retenir. Ne pouvant rester seul, je suis retourné à Saint-Joseph du lac William."

Je ne pouvais pourtant leur savoir mauvais gré d'être partis. Le saumon ne remonte les rivières qu'à une époque déterminée et pendant un certain temps. Or pour l'Indien, le saumon c'est la récolte, c'est la richesse. S'il ne profite de son passage pour en faire une bonne provision, il lui faudra jeûner tout l'hiver et au-delà.

***

Je me rendis donc à leur campement sur les bords du Fraser, où j'arrivai le lendemain.

Mais là, nouvelle déception; plus de la moitié des sauvages d'Anarhèm et tous ceux d'une autre bande, que j'espérais trouver réunis avec leurs chefs, étaient absents. Ils étaient allés, les uns à la chasse dans la forêt, les autres, en plus grand nombre, au fort Alexandre, soi-disant pour y faire la pêche au saumon, mais tout aussi vraisemblablement pour être à portée de se procurer des liqueurs enivrantes, que les blancs de la place leur vendaient sans scrupule.

Comme je ne pouvais espérer les faire revenir avant plusieurs semaines, je dus me résigner à donner la mission à ceux qui restaient, cent vingt personnes environ: chiffre bien modeste, on le voit; mais ces premiers contretemps devaient rarement se reproduire dans la suite, et mes auditoires subséquents furent généralement assez satisfaisants, même en ce qui était du nombre.

Nous étions alors campés sur une petite plaine dépourvue d'arbres. Nous dûmes donc, pour nous protéger un peu contre les ardeurs du soleil, former avec de petits sapins arrachés à la forêt voisine comme une haie en forme de fer à cheval qui nous servit d'église. Au fond, nous dressâmes un autel rustique, sur lequel chaque matin la divine Victime voulut bien descendre et nous bénir.

Inutile de faire remarquer que les exercices ne furent pas suivis comme au lac Louzkeuz. Comme le saumon était rare cette année, les sauvages ne pouvaient le prendre que pendant la nuit, et, pendant le jour, ils étaient plus disposés à se reposer qu'à venir aux instructions.

Je pensais qu'une fois la retraite terminée, j'irais visiter deux autres bandes d'Indiens, ceux-là même auxquels la vie nomade et la nature de leur habitat ont valu le nom de Tchilcotines des Rochers. Ils étaient alors campés au pied de hautes montagnes couvertes de neiges perpétuelles, dont j'avais entrevu les blancs sommets en revenant du lac Louzkeuz. Mais lorsque je voulus mettre mon projet à exécution, je ne pus trouver ni guide ni interprète.

Ces sauvages, me disait-on, étaient très loin, éparpillés de tous côtés dans la forêt; le sentier qui conduisait à leur pays était affreux, ou plutôt il n'y avait point de sentier; je serais très malheureux chez eux, car ils sont mauvais et je ne pourrais me faire à leur régime alimentaire, vu qu'ils ne vivent que de chasse, de racines et de graines, ou fruits sauvages, etc.

Voyant que, malgré ces noirs pronostics, je persistais dans ma résolution, on finit par m'assurer que personne ne connaissait le chemin, ce que naturellement je ne pus croire une minute.

Enfin on me fit observer que l'automne prochain, aux premières neiges, ils reviendraient tous dans la vallée de la Tchilcotine, et qu'alors je pourrais facilement les voir et les évangéliser. Cette dernière remarque me porta à ne pas insister davantage, et, comme je ne pouvais plus rien faire parmi eux, leur pêche n'étant pas finie et devant être immédiatement suivie de leur chasse d'automne, je me décidai à retourner au lac William.

Dans cette tournée, je n'avais pu voir que trois camps, ou villages, bien qu'il m'eût fallu faire presque 600 milles.

J'ai mentionné le saumon. L'industrie à laquelle il donne lieu et son importance économique à l'ouest des montagnes Rocheuses demandent quelques détails avant de continuer le récit de mes travaux chez les Tchilcotines.

Ce poisson, véritable providence de l'enfant des bois, était alors pour lui ce que le blé est pour l'Européen, le riz pour le Chinois, la banane pour l'Ougandais, le manioc pour le Congolais, le maïs pour l'Iroquois des jours d'antan et le veau marin pour l'Esquimau. Que le saumon vienne en nombre, c'est l'abondance dans le camp et la joie au foyer domestique; qu'il manque un seul été, c'est la famine et la désolation. Le silence règne au village, la mélancolie gagne les cœurs.

Nous n'avons à nous occuper ici que du saumon rouge (Salmo quinnat), celui qui sert de pain quotidien au sauvage. Pour le prendre, les Indiens ont recours à une foule d'expédients, tous plus ingénieux les uns que les autres. Négligeant les différents pièges usités au nord du pays tchilcotine, chez les Porteurs dont nous avons déjà entrevu les postes avancés au cours de notre dernier chapitre, nous ne mentionnerons pour le moment que les deux méthodes suivies par les Tchilcotines.

La première, de beaucoup la plus difficile, la plus dangereuse et la moins rémunératrice, consiste à darder le poisson à l'aide d'un double harpon à pointes, ou barbes, en corne de mouflon et emmanché d'une très longue hampe.

Pour être couronné de succès, cet exercice demande l'œil exercé de l'Indien, qui voit dans l'eau, même trouble, comme nous voyons dans l'air, non moins qu'une agilité peu commune.

La seconde méthode requiert l'usage de puises, grands filets en forme de poche à fond pointu attachés au bout fourchu d'un long manche. Ainsi préparée, la puise est maintenue dans l'eau jusqu'à ce que le pêcheur sente, ou s'aperçoive autrement, que quelque poisson s'y est laissé prendre, alors que l'instrument est dextrement ramené à soi et le saumon capturé.

Cet exercice ne demande pas l'habileté du premier, mais quelle patience il suppose! Il faut vraiment la perspective de la faim pour s'y adonner volontairement, d'autant plus qu'il n'est guère praticable que longtemps après le coucher du soleil.

Pour conserver le fruit de leur persévérance, Tchilcotines et Porteurs suivent la méthode des Kamtchadales. Après avoir ouvert le poisson, ils en retirent l'épine dorsale et les arêtes avec la chair adhérente, et l'exposent à la chaleur et la fumée, suspendu en longues brochées sous un hangar ouvert à tous les vents. Le saumon se trouve ainsi desséché de manière à se conserver des années entières.

Avec les têtes, les Indiens se procurent, en les faisant bouillir, une huile dont ils sont aussi friands qu'elle est repoussante pour un palais civilisé. En fait de matière alimentaire, c'est tout simplement une abomination, qu'il suffit de sentir, même à distance, pour perdre tout appétit.

Le saumon sec lui-même est très loin d'être agréable au goût. Je ne pus jamais m'y habituer, et je crois qu'un aborigène peut seul en faire son pain quotidien.

***

L'hiver qui suivit la pose des fondations de l'église d'Anarhèm par le bon P. Blanchet me revit au milieu de mes ouailles peu religieuses. Cette fois, je fis parmi eux un séjour de deux mois, et l'utilisai non seulement à des travaux manuels, mais encore et surtout à l'étude de leur langue et de leur caractère.

Notre église était loin d'être une cathédrale; et pourtant pour un novice, comme je l'étais alors, dans ce genre de construction, il était assez difficile d'élever un édifice comme le nôtre. Bâtie en troncs d'arbres équarris sur deux côtés, cette église devait avoir 30 pieds sur 20, avec un sanctuaire en proportion.

Chaque matin, j'avais à parcourir les loges du village en formation pour exciter l'ardeur, généralement assez peu apparente, de mes gens. Une fois au chantier, tous, il faut pourtant l'avouer, travaillaient de leur mieux--bien que, pourquoi le cacher? ce mieux était souvent assez peu de chose.

Tout alla assez bien tant que nous n'eûmes à nous occuper que des grosses pièces des murs. Mais quand il s'agit de poser la toiture, personne ne sut comment disposer les bardeaux. Ce ne fut certes pas les avis qui manquèrent; chacun donnait le sien gratis, mais tous ces avis étaient plus impraticables les uns que les autres. C'était une vraie Babel.

Enfin un petit vieux, décoré du nom de Noulhterê, ou Carcajou, qui croyait en savoir plus que les autres parce qu'il avait visité quelques blancs à l'est du Fraser, se leva et, s'adressant à l'assemblée, dit:

--Franchement mes frères n'ont pas plus d'esprit que mon petit doigt. Il va sans dire que pour couvrir un toit avec des bardeaux, il faut commencer par le faîte.

Puis, comme pour prévenir les compliments dus à sa trouvaille, il ajouta:

--Voyez-vous, moi j'ai voyagé.

--C'est vrai, c'est vrai, le Carcajou a raison, firent plusieurs voix en chœur.

--Pas si pressés, leur dis-je malgré ma propre ignorance. En commençant par le faîte, comment mettrez-vous les bardeaux les uns au-dessus des autres?

Le Carcajou essaya bien de me donner une leçon de charpenterie. Il s'aperçut vite de l'absurdité de sa proposition, et, devant l'hilarité générale, il finit par s'esquiver.

Malgré notre inexpérience, nous parvînmes, avec le temps et à force de tâtonner, à monter un toit presque passable.

Le gros de l'église achevé, la mission commença, et chacun fit, comme d'habitude, l'accusation publique de ses fautes. Bien que les sauvages tinssent beaucoup à cet exercice, il ne m'en fournit pas moins l'occasion d'apprécier l'humeur de certaines de mes ouailles.

Chaque couple venait s'agenouiller devant le prêtre et confesser ses fautes publiques, afin de recevoir les conseils les plus appropriés à sa situation et prendre de bonnes résolutions pour l'avenir.

Un jeune homme, fortement membré sans être un colosse au point de vue de la stature, venait de faire son accusation et paraissait contrit, quand sa femme mit à son propre compte quelques peccadilles, dont elle eut soin de rejeter toute la faute sur son conjoint.

--Il n'a point soin de moi, disait-elle; il ne m'écoute jamais, bref je ne suis rien pour lui; il traite bien mieux les autres femmes que moi.

Elle allait continuer sur ce ton, lorsque 'Kên-tcen, son mari, qui était resté à genoux auprès d'elle, se leva soudain comme mû par un ressort:

--Vilaine garce, cria-t-il hors de lui-même, c'est donc ainsi que tu me récompenses pour le bien que je t'ai fait!

Et des pieds et des mains, en présence du prêtre et des sauvages réunis, il administra à sa moitié une raclée comme peu de femmes en ont jamais reçu. Ses yeux lançaient des éclairs, et sa colère était telle qu'il ne put bientôt articuler aucune parole. Il fallut deux ou trois hommes pour en avoir raison.

***

Après la mission donnée au camp d'Anarhèm, on vint me chercher pour me mener chez les Tchilcotines des Rochers, enfin revenus à leurs soi-disant maisons, grossières bâtisses commencées depuis longtemps et jamais finies.

Le messager envoyé pour m'accompagner et veiller au transport de ma chapelle était un grand gaillard nommé Ezousî, la Pie: excellent cœur et bon caractère, mais esprit volage, léger et inconstant. Ajoutez à cela babillard comme son homonyme.

Mes préparatifs de départ terminés, je l'envoyai chercher le cheval qu'il avait amené pour porter mon bagage. La Pie ne bougea mie et se contenta de baisser la tête. Là-dessus, chuchotements et sourires significatifs dans le cercle qui nous entourait.

Comme je répétais mon ordre, mon Roger Bontemps fit remarquer qu'il n'avait point de cheval, ce qui ne fit qu'ajouter à l'hilarité des assistants.

--Mais, lui fis-je remarquer, qu'as-tu fait de celui que tu montais hier à ton arrivée?

--Je ne l'ai plus, répondit-il.

--Tu l'as vendu?

--Non.

--Tu l'as donné?

--Encore moins.

--On te l'a volé?

--Pas le moins du monde.

--Peut-être qu'il s'est échappé?

--Nenni.

--Alors, qu'en as-tu fait?

La Pie, pour une fois dans sa vie, avait perdu sa loquacité. Tout le monde le dévorait des yeux, et semblait se demander s'il allait risquer un aveu. Il n'en fit rien. Mon homme se contenta d'observer qu'il était fort, avait de bonnes épaules, et que ma chapelle ne lui pèserait pas plus qu'une plume.

S'il eût été chrétien, il eût avoué qu'il avait passé la nuit précédente à jouer non loin du camp et avait perdu son cheval. Avec un peu de franchise, il eût pu ajouter qu'il avait aussi perdu son habit et son couvre-chef, accident tout à fait mal venu au cœur de l'hiver où nous étions alors...

Il serait difficile d'exagérer l'empire que la passion du jeu a sur le primitif. Avant son baptême, il pourra jouer des jours et des nuits sans se lasser. Son modeste mobilier, ses pièges et ses collets, l'unique couverture dans laquelle il se roule pour dormir, que dis-je? ses propres habits y passeront. Il ne s'arrêtera guère que lorsqu'il ne lui restera rien à mettre en enjeu.

J'en ai vu qui étaient réduits à un état de nudité complète, si bien qu'ils avaient à se cacher dans leur couverture en peau de lapin en guise de vêtement.

Ce sont là naturellement des cas extrêmes, et il convient d'ajouter que la prédication du missionnaire, fécondée par la grâce d'en-haut, devait finir par faire disparaître presque partout cette hideuse passion.

***

Arrivons maintenant chez les Tchilcotines des Rochers. J'ai déjà décrit leur costume et un peu aussi leur apparence physique. Ajoutons ici à ce que j'en ai dit que tous, hommes et femmes, avaient la figure et maintes fois les bras tatoués.

Des lignes parallèles convergeant aux commissures de la bouche, ou perpendiculairement sur le menton, des croix, des figures d'oiseaux ou de poissons étaient les signes les plus recherchés par ceux qui voulaient suivre les dernières modes de ce temps-là.

Encore plus primitifs que les autres, ces Tchilcotines me donnèrent certainement plus de consolations que ceux qui faisaient montre d'un peu de connaissance des blancs. Leur simplicité même était un gage d'innocence, qui ne les rendait que plus dociles à la voix du missionnaire.

Ma visite de l'hiver suivant ne fit qu'accroître chez eux ces bonnes dispositions.

Pour punir les sujets du chef Toûzi qui ne manifestaient aucun empressement à bâtir leur église, j'avais décidé de passer la fête de Noël chez mes Tchilcotines des Rochers. A cet effet, et malgré un froid de 35 degrés en-dessous de zéro, je m'étais rendu à cheval au lieu où ils avaient dressé leurs cahutes en branches de sapin. Mal m'en prit: je faillis me geler.

L'air était si vif que nous ne pouvions avancer que lentement, mon compagnon et moi. J'étais à me demander comment il se faisait que celui-ci, d'ordinaire si passionné pour la course, se résignait maintenant à conduire sa monture à pied. En même temps, je ne sais quel malaise s'emparait de tout mon être quand l'Indien, se tournant vers moi, me fit remarquer que si je continuais à cheval j'allais infailliblement me geler.

Je devinai alors et voulus descendre. Mais impossible de me servir de mes jambes. Mon sauvage comprit mon cas: il me déposa sur la neige, et constata que j'avais les genoux paralysés par le froid, quoique pas encore assez gelés pour inspirer de l'inquiétude. De fortes frictions ramenèrent peu à peu le sang engourdi, et j'en fus quitte pour quelques douloureux picotements qui ne m'empêchèrent pas de continuer mon chemin.

L'expérience s'acquiert à ses propres dépens.

En raison de la pauvreté du local, notre fête de Noël fut assez triste. Nous n'avions pu trouver pour nos réunions qu'une grande masure ouverte à tous les vents, qui était les restes d'une loge construite plusieurs années auparavant dans un accès d'enthousiasme pour la civilisation presque aussitôt passé qu'arrivé.

Le toit fut réparé tant bien que mal, et les interstices laissés vides entre les troncs d'arbres qui en formaient les murs bouchés avec de la mousse, d'autant plus facile à trouver, même en hiver, que ces Indiens en avaient toujours une bonne provision, du moins ceux qui avaient un enfant au berceau, cette mousse servant de langes aux bébés sauvages.

Ce fut notre église. Assurément, l'étable de Bethléem ne pouvait être plus pauvre.

Cela n'empêcha pas qu'à minuit tout le monde s'y trouvait réuni, priant et chantant, pendant que j'offrais le Saint Sacrifice.

Nous eûmes même notre illumination. Qu'on ne se scandalise pas de notre extravagance: cinq bouts de chandelles de suif en faisaient tous les frais. Cependant il est certain qu'aucun des assistants n'avait vu tant de luminaire brûler à la fois dans sa vie. Aussi en parla-t-on dans la vallée de la Tchilcotine.

Malgré cela, j'eus toutes les peines du monde à achever décemment la sainte messe. Le précieux Sang gela dans le calice, et peu s'en fallut que mes doigts en fissent autant.

Pendant tout le temps de l'office, les chiens-loups, ou Canidés sauvages, qui étaient restés attachés au dehors pour prévenir les méfaits dont ils sont coutumiers en l'absence de leurs maîtres, eux aussi sentaient le froid, et remplissaient l'air de leurs hurlements plaintifs, fournissant ainsi un accompagnement non obbligato aux chants de l'intérieur.

Ces chiens, disons-le en passant, sont tous de la même couleur, comme c'est le cas pour les animaux sauvages, contrairement aux animaux domestiques. Ils sont, ou plutôt ils étaient (car je pense que leur race est éteinte même chez les Tchilcotines), gris, avec des oreilles droites et pointues comme de petits loups. Dans toute la vallée, il n'y avait alors qu'un seul chien blanc, qui était, pour cette raison, prisé comme un phénomène.

On ne saurait se faire une idée de l'embarras où met le missionnaire l'absence de toute église dans un pays où toute maison convenable fait également défaut. L'été suivant, me trouvant à Tles-khoh, chez Toûzi, je dus me contenter d'un ravin pour y dresser un autel avec de petits rondins de bois juxtaposés sur un échafaudage rectangulaire. Impossible de trouver même une seule planche pour servir de table d'autel.

Essayer de dire la messe ailleurs eût été courir à un échec certain, vu que, dans les conditions atmosphériques d'alors, le vent eût bientôt éteint les chandelles--les cierges, ou même les chandelles de cire, furent très longtemps inconnus dans mes missions.


Souvenirs d'un missionnaire en Colombie Britannique

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