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II

Table des matières

CE QU’ÉTAIT HENRI DE SARTÈNE

La physionomie de l’assemblée, qui s’était singulièrement rembrunie, s’éclaircit tout-à-coup. L’atmosphère devenait moins lourde. L’idée de cette malencontreuse souscription qui, d’une seconde à l’autre, allait peut-être se grossir aux dépens des intérêts privés, inquiétait plus d’un esprit égoïste. On se sentit allégé d’un poids. La souscription n’avait plus, en effet, sa raison d’être. — M. de Sartène était Français, — il voyageait bien, cela est vrai, aux frais de l’Amérique, — mais il allait porter le nom de sa patrie dans la vaste entreprise.

Tout était donc pour le mieux.

«Diable! se dit en lui-même M. Calvet. Voilà un homme! Il faut que je m’en fasse un ami!»

Lorsqu’un peu de calme fut rétabli, il demanda la parole pour un fait personnel. Il l’obtint.

— Messieurs, dit-il sur un ton insinuant, j’éprouve le besoin de féliciter d’abord M. de Sartène sur la noble tentative à laquelle il s’associe, et, sans me rétracter, je reviens sur quelques paroles qui ont pu m’échapper dans la chaleur de la discussion. J’approuve, vous ne l’ignorez pas, tous les grands projets. La gloire de mon pays m’est plus chère que tous les honneurs personnels. J’applaudis de grand cœur à l’expédition de M. de Sartène, et je fais des vœux ardents pour sa complète réussite. En y réfléchissant mieux, je regrette même qu’une souscription, une souscription nationale, n’ait pas été organisée; mais cela est devenu maintenant inutile. Il eût été beau, en effet, de voir une nation entière concourir à une œuvre véritablement grandiose. Il y avait sans doute des obstacles, beaucoup de difficultés. Où n’y en a-t-il pas? On les aurait surmontés, messieurs! Une souscription, je le répète, m’aurait beaucoup souri, en ma qualité d’homme de progrès et de vieux libéral. Encore un mot, un mot que vous allez accueillir avec empressement, — je vous propose de voter des remercîments à notre jeune et aventureux confrère.

Des applaudissements unanimes couvrirent cette remarquable profession de foi.

M. Calvet s’approcha immédiatement de M. Henri de Sartène, et, lui prenant amicalement la main: «Eh bien! cher, vous voyez que je suis votre chaud avocat. Vous pouvez compter sur mon appui. Envoyez-moi vos notes. J’en parlerai dans mes journaux! C’est entendu.»

Et ses doigts allèrent une seconde fois chercher un accord tacite dans le serrement de main amical du futur voyageur.

— Messieurs, la séance est levée, articula le président.

Henri de Sartène était fils d’un vice-consul de France envoyé en 1840 à Limerick. Son père, le baron Villars de Sartène, avait d’abord appartenu à l’armée française. Il eut la faiblesse d’engager sa signature pour un frère dissipateur, qui le ruina à peu près complètement. Aussi accepta-t-il, comme planche de salut, et à l’âge de quarante-cinq ans, le vice-consulat de Limerick.

Dans cette ville, M. Villars ne tarda pas à remarquer une jeune fille de grand mérite, héritière d’un nom très-estimé, mais qui n’avait, comme tant d’Irlandaises, qu’une dot très-minime. Il était homme de cœur. Ce ne fut pas un obstacle; il l’épousa. Il en eut un seul enfant, Henri de Sartène, qui naquit en 1843.

Fort éprouvé par les luttes pénibles qu’il avait eu à soutenir, et, d’ailleurs, d’une santé très-délicate, M. de Sartène père mourut cinq ou six ans après la naissance de son fils. Il laissa une veuve, qui n’eut plus qu’une seule pensée, qu’un souhait unique, faire de son enfant un esprit véritablement distingué.

Peu de personnes étaient, du reste, mieux préparées qu’elle pour accomplir cette tâche. Elle y parvint. Elle fit pénétrer dans l’âme de son fils plus que le goût de l’étude, des principes de morale et de justice, qui ne tardèrent pas à l’élever au-dessus de la plupart de ses jeunes compagnons.

Ajoutez à cela qu’Henri de Sartène était fort bien doué. A l’âge de quatorze ans, il savait déjà quatre langues, l’anglais, le français, l’allemand et le latin. Il se voua de bonne heure à l’étude des mathématiques, de la géographie et de l’histoire. C’était à la fois un esprit souple, docile et résolu. Il suivait avec rigueur la direction de ses maîtres, et en même temps il ne cédait jamais à ses jeunes camarades lorsqu’il croyait être dans le vrai; — il voulait que son opinion primât.

Ayant atteint sa seizième année, il fut envoyé à Oxford pour y compléter ses études. Il vint ensuite en France, entra à l’École centrale et en sortit pour voyager pendant quelques mois en Amérique.

A l’âge de vingt et un ans, il avait son diplôme d’ingénieur, et se mêlait vaillamment aux affaires. Ce fut lui qui lança une brochure très-substantielle sur le percement de l’isthme de Darien, lors des projets plus ou moins heureux de MM. Belly, Kellett et tant d’autres.

Henri de Sartène, malgré ses vingt-trois ans, n’était donc pas un tout jeune homme: — il avait vécu, il avait réfléchi, — il savait beaucoup et bien.

Lorsqu’il revint à Limerick, en 1865, il trouva, installée auprès de sa mère, une jeune personne de dix-sept ans, miss Anna Shield, cousine éloignée, qu’un deuil de famille avait, pour ainsi dire, jetée dans les bras de madame de Sartène.

Miss Anna était appelée à jouir un jour d’une fortune assez considérable. La mère d’Henri, sans attacher un prix immense aux intérêts matériels, avait évidemment conçu l’espoir de l’appeler un jour sa fille.

Deux jeunes gens qui vivent dans la même maison ont eu de tout temps certaines dispositions à se remarquer. Henri ne tarda pas à être fort enthousiasmé des charmes de sa cousine, et miss Anna ne trouvait rien au-desssus de son cousin.

Bref, on passa vite de la simple amitié à une affection qui côtoie un sentiment plus intime, plus vivace et plus profond. Les yeux se rencontraient et l’on rougissait; les mains se touchaient et l’on frissonnait.

Un jour, notre ingénieur lisait devant sa famille une nouvelle de Dickens, — le mot amour se présenta, — il le prononça avec transport; — le lendemain, il prit par hasard le livre, le mot était souligné, — à peine, il est vrai, — mais il l’était. Qui avait passé ce trait de crayon délicat et révélateur? Qui? je vous le demande. Henri le devina, mais il ne pouvait y croire; il courut dans sa chambre, s’enferma à double tour, se mit à pleurer, noircit deux à trois pages, les jeta au feu, écrivit de nouveau fiévreusement une vingtaine de lignes, plia son papier comme un homme qui commet un larcin, et tout en tremblant alla furtivement glisser le billet dans un volume que lisait Anna; puis il se sauva, se barricada une seconde fois dans sa chambre, et se mit à marcher de long en large, comme le prisonnier qui médite une évasion; — il lançait aux murs des interjections lamentables, des phrases incohérentes, de gros soupirs, et se disait:

— Elle ne voudra jamais de moi! Je suis fou!

Le soir, on se revit. On n’osa pas d’abord se parler; Henri rougissait comme une pivoine; Anna baissait les yeux et ne disait mot. Madame de Sartène comprenait tout ce petit manége et souriait malignement:

— Allons, mes enfants, fit-elle, je vois bien que vous êtes brouillés!

— Oh! bien au contraire! s’écrièrent à l’unisson les deux jeunes gens.

— Bien au contraire! qu’est-ce à dire? repartit vivement madame de Sartène avec un fin sourire.

— Oui, mère, reprit alors Henri, qui parvint à maîtriser son émotion, — j’ai mal agi; je me le reprocherai éternellement; je vous ai caché la vérité... j’aime...

— Tu aimes Anna?

— Oui.

— Eh bien!

— Eh bien! je crois que je lui suis complétement indifférent?

— Et qui vous a dit cela, Henri? répliqua timidement la jeune fille, en baissant de plus en plus les yeux.

— Mais personne! Vous devez comprendre, ma cousine, combien je redoute de vous avoir offensée! Combien je crains...

Et pour toute réponse la jolie petite main d’Anna alla se placer dans celle de l’ingénieur.

Dès lors le mariage fut arrêté ; seulement, il fut convenu qu’il ne serait célébré qu’à la dix-huitième année accomplie de miss Shield. Il fallait attendre plus de vingt mois! Rêver, espérer, c’est le bonheur; attendre, c’est la vie!

Les bouquets se mirent à pleuvoir; les attentions délicates à assiéger la jeune fiancée; — et que de charmantes missives lorsqu’on était séparé ! — que de délicieuses fêtes au retour!

Un drame au fond de la mer

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