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III.

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DÉPART DE PARIS. — CE QU’ÉTAIENT LES INGÉNIEURS NORTON ET STEVENS.

Le lendemain même de la séance de la Société nationale de navigation, Henri de Sartène quittait Paris; il emportait avec lui une cargaison d’instruments de physique, et trois de ces lampes électriques, d’invention récente, brûlant aussi bien dans l’océan que dans l’atmosphère, et projetent au loin des gerbes étincelantes de lumière.

Trois jours après, à neuf heures du soir, il débarquait à Limerick, se drapait dans son manteau jusqu’au nez, rabattait sa casquette jusque sur ses yeux pour ne pas être reconnu et retardé par quelque connaissance trop empressée; — il marcha d’un pas rapide dans Brunswick street et William street; tourna à gauche, s’engagea dans Cornwallis street, s’arrêta devant une petite habitation d’apparence modeste, fit retomber en maître le marteau sur la porte et salua la servante de cette bonne et amicale expression:

— Bonjour! mère Dicket, tout va bien ici?

— Oui monsieur Henri, répondit la vieille Irlandaise, tout va bien. Nous ne vous attendions pas sitôt. Vous trouverez là sir George Stevens et votre M. Norton.

Les deux dames étaient assises à côté d’une table éclairée par la lumière douce d’une lampe; en femmes qui comprennent le prix du temps, malgré les deux visiteurs, elles travaillaient sans relâche à des ouvrages de couture.

A l’arrivée d’Henri, les deux étrangers se levèrent et lui tendirent amicalement la main, tandis que lui, allant au plus pressé, embrassa avec effusion sa mère et déposa un tendre baiser sur les doigts de sa cousine. Il va de soi que la cousine devint cramoisie, et reprit immédiatement son ouvrage pour dissimuler son trouble.

— Eh! bien! mes amis, dit-il en s’adressant aux deux visiteurs, le grand jour avance; vous savez que dans une semaine on nous attend à Valencia.

— Dans une semaine! reprirent les deux dames avec un sentiment de regret et d’inquiétude.

— Oui, il le faut. Au reste, tout est prêt. Nous avons un petit bâtiment dont nous serons à peu près les maîtres; nous naviguerons dans les eaux du Léviathan. Toi, Norton, la Compagnie te désigne pour me remplacer au besoin; quant à l’ami George Stevens, il occupera le troisième rang. Nos chefs le veulent. Je n’y puis rien. C’est donc une affaire entendue.

— C’est bien, repartit avec rudesse Norton, — je serai là au jour indiqué.

— J’espère, dit Stevens sur un ton insinuant, que je mériterai la confiance que notre cher ingénieur en chef et la Compagnie veulent bien m’accorder.

— Messieurs, reprit vivement Henri, nous ferons tous notre devoir.

— Et notre devoir est de nous soumettre à vos ordres, continua Norton.

— Eh! messieurs, fit Henri, entre nous il n’y a pas d’ingénieurs en chef et d’ingénieurs en second.

— Cependant... c’est tout naturel, balbutia Stevens.

— Non, nous sommes trois confrères qui collaborons à une grande œuvre, et qui n’aspirons qu’à un but: le succès. Il ne faut pas penser à nous, mais à la réussite de l’entreprise.

— Sans doute, répondit sir George Stevens, c’est un véritable honneur que de coopérer à une entreprise aussi belle. Avec un supérieur tel que M. de Sartène, on est heureux d’obéir.

— Ceci est faux! répliqua brutalement Norton, en se levant avec une sorte de fureur et en se promenant à grands pas à travers la chambre. Ceci est faux! Il est toujours fâcheux d’être obligé d’obéir. La nature repousse la soumission. La société a créé la hiérarchie. Je l’accepte, mais elle me déplaît souverainement.

Henri ne répondit pas à cette incartade. Il avait trop de choses à dire.

Stevens se pencha du côté de madame de Sartène et lui glissa cette phrase à voix basse:

— Est-il envieux, ce Norton!

— Oui, je le crains, fit la mère d’Henri, —cependant on le dit honnête homme.

— On le dit!... reprit, sur un ton de doute, Stevens.

— Craignez-vous que mon fils ait à regretter sa présence? continua-t-elle en baissant la voix.

— Oh! non! d’ailleurs, je serai là. Vous pouvez compter sur moi. Je surveillerai.

— Merci! répondit madame de Sartène, je prends acte de cette promesse.

Quelques mots d’éclaircissement sur les deux ingénieurs à la veille d’accompagner Henri de Sartène.

L’Américain Norton, désigné pour avoir le second poste, était un excellent marin, mais un esprit excentrique, mécontent, indocile, fantasque.

Sa chevelure noire, épaisse, crépue, plantée sans ordre, lui venait jusque sur les yeux. Ses sourcils formaient une arcade sombre. Ses regards brillaient d’un feu étrange. Il était laid. Sa lèvre supérieure, très-forte, surplombait la lèvre inférieure, à peine visible. Un collier de barbe encadrait cette physionomie peu sympathique.

Son maintien était empreint d’une inquiétude vague, d’une sorte de mélancolie âpre. Sa parole, généralement rude, très-peu parlementaire, lui avait créé une foule d’ennemis. Il se vantait de dire toujours sa façon de penser, mais il était souvent d’une franchise qui confinait l’impolitesse. Paysan du Danube, il ne sacrifiait rien, absolument rien à sa toilette. Il portait une vareuse, une chemise de couleur, et couvrait sa tête d’une casquette en toile cirée. La galanterie était lettre morte pour lui. Par-dessus tout, il était libéral et démagogue enragé. Les monarchies lui paraissaient odieuses. Il aurait plus volontiers serré la main d’un mendiant que celle d’un roi; d’ailleurs il les mettait sur le même pied.

Ennemi juré des esclavagistes, il s’était fait remarquer dans la guerre civile américaine. C’est lui qui, en pénétrant dans une ville du Sud, s’était écrié :

«Les Confédérés doivent être traités en rois! il faut les jeter à la porte!»

En somme, esprit distingué, travailleur infatigable; malheureusement c’était aussi un cerveau brûlé, et, qui plus est, un brutal. Bien qu’âgé de vingt-huit ans, il était emporté et fougueux comme un étudiant.

George Stevens était la vivante antithèse de Norton.

La nature l’avait fait aussi blond, aussi charmant, aussi recherché dans ses expressions, dans ses manières, que son collègue était brun, peu séduisant, gauche, incorrect et incivil. George Stevens avait une physionomie féminine; des cheveux fins et soyeux, ramenés avec art sur ses tempes; des yeux bleus un peu ternes, ombragés par des cils longs et voluptueux, .de magnifiques favoris, taillés savamment, encadraient un visage aux lignes très-pures. Une ride fortement prononcée déparait seule sa beauté ; cette ride traçait un sillon profond entre les deux yeux. Son nez, quoique bien fait, était cependant un peu pincé ; ses lèvres, quoiques minces, étaient gracieuses, souriantes, parfois spirituelles. Somme toute, c’était un cavalier accompli. Les grâces l’avaient merveilleusement doté ; ajoutez à cela une conversation facile, d’une irréprochable distinction.

Son expérience était nulle; il n’avait jamais navigué. Son instruction, peu profonde, était cependant assez étendue. Il causait de tout avec aisance. Son intelligence, prompte, saisissait les travers, les tendances, le faible de chacun, et savait parfaitement les exploiter. Ambitieux d’honneurs et de fortune, Stevens s’était, jeune encore, faufilé dans le monde élégant, où il espérait parvenir, grâce à de belles relations; sa physionomie heureuse lui avait conquis les suffrages. Les dames l’adoraient, et le camp des hommes le reconnaissait parfait gentleman. En Angleterre et en France, ce dernier titre est le meilleur des passeports; il vous permet l’entrée de tous les salons.

Tels étaient les deux collègues d’Henri de Sartène: — l’un bizarre, excentrique, l’autre la personnification de la mode et du bon ton.

Pour plus de clarté, nous copions sur les registres la page qui les concerne tous trois:

Henri de Sartène, vingt-trois ans, ingénieur hydrographe, chargé de la direction des travaux de l’Argus.

William Norton, vingt-huit ans, ingénieur en second.

George Stevens, vingt-trois ans, ingénieur de troisième classe, appelé en sous-œuvre à dresser les plans sous la direction de MM. Henri de Sartène et William Norton.

Un drame au fond de la mer

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