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IV

Table des matières

A LA VEILLE DU DÉPART. — LE BANQUET DE VALENCIA. — UN AVERTISSEMENT SINISTRE

Valencia, rendez-vous général des officiers, des ingénieurs, des marins, des mécaniciens, des industriels, des banquiers, des journalistes, des curieux de tous les sexes ayant un intérêt direct ou indirect à la pose du câble transatlantique, présentait, à la fin de juin 1866, le spectacle le plus animé, le plus pittoresque, le plus remuant, le plus affairé que l’on puisse voir.

Cette île, placée, on le sait, dans le comté de Kerry, près de la côte sud-ouest de l’Irlande, et qui d’ordinaire n’a qu’une population d’environ trois mille habitants, possédait alors plus de dix mille personnes. Des trains de plaisir avaient été organisés de tous les points du Royaume-Uni; chacun voulait assister au départ du Great-Eastern, emportant avec lui l’anneau nuptial du Nouveau-Monde.

Le fort, la rivière de Valencia, les baies voisines, étaient littéralement couvertes de voiles de toutes grandeurs, de milliers de canots, d’embarcations qui battaient la mer comme des estafettes un champ de bataille quelques heures avant le combat.

Sur les quais de Valencia se croisaient, sans prendre le temps d’échanger un mot, l’officier et le matelot, le capitaliste et l’ingénieur.

Nos trois jeunes gens se trouvaient naturellement au milieu de cette foule ardente sans enthousiasme, passionnée avec calme, fiévreuse sans chaleur.

Quelques jours après leur arrivée, eut lieu le grand banquet. Ce banquet, dans le goût britannique le plus franc, réunissait la majorité des hommes distingués qui se préparaient à prendre une part active dans la grande œuvre.

Cette immense salle avait été spécialement décorée pour cette fête. Ce jour-là, on avait voulu sortir des ornementations banales, et vous allez voir si l’on y était parvenu.

Au-dessus de la table apparaissait, mystérieusement suspendu dans les airs, un globe terrestre emblématique; de ce globe partaient comme des fils conducteurs — des rubans de couleurs variées, enlaçant dans leur réseau les corps célestes qui composent le système solaire. C’était, pour tout dire, un peu recherché, quelque peu difficile à comprendre; mais les Anglais excellent dans le genre indécis — genre habile s’il en fut, — qui donne lieu aux interprétations les plus ingénieuses et qui autorise les speechs les plus pompeusement nuageux. D’ailleurs, on lisait au-dessous, en lettres multicolores, cette inscription: General telegraph Office, et Anglo-American telegraph Company. Ceci était plus positif.

Tout autour de la salle, circulaient les fils télégraphiques, retenus à des poteaux portant des inscriptions philosophiques, plaisantes ou humoristiques, d’un goût souvent douteux. Entre autres: «Les lignes télégraphiques ressemblent aux vieilles femmes.» Devinez pourquoi?

Et plus bas la réponse:

«C’est qu’elles bavardent sans posséder de dents...»

«Les télégraphes et les gens d’esprit se ressemblent lorsqu’ils causent: — Ils étincellent.»

On lisait aussi sur un poteau cette phrase, que nous reproduisons sous toute réserve, et que nous ne voulons pas surtout commenter:

«Si Vénus vivait encore, Vulcain ne serait plus forgeron, — il se ferait employé du télégraphe. »

Plus loin encore, cette réflexion:

«Les fleuves, a-t-on dit, sont des chemins qui marchent; — demain on pourra s’écrier: l’Océan est une route qui parle!»

Le couvert était splendide, — l’argenterie avait été préparée à dessein; — les fourchettes, les couteaux, les cuillères, avaient pour manche des fragments du câble jeté sans résultat en 1858.

Un appareil télégraphique fonctionnait dans un coin de la salle; à chaque côté de tous les convives, se trouvait un bouton qui faisait retentir un timbre indicateur.

La table principale était couverte de pièces de confiserie représentant, au milieu d’emblèmes maritimes et d’électro-aimants en sucreries, les navires qui allaient prendre part à la pose du câble transatlantique, le Great-Eastern, le Neptune, le Terrible, l’Agamemnon, le Niagara, l’Albany, le Medway, l’Argus; ce dernier vaisseau était, on le sait, réservé à nos trois ingénieurs. Après une prière commencée par le révérend Richard Stanton, le festin commença.

Chacun des convives avait sur son assiette deux chefs-d’œuvre de gravure télégraphique: l’une reproduisant les traits de la reine Victoria, l’autre le profil du président Johnson.

Le menu, fort riche, fort bien entendu, avait été imprimé à Valencia, mais le courant électrique était parti de Paris. On avait bien voulu rendre cet hommage à la France. L’ingéniosité culinaire du baron Brisse avait été mise à contribution; l’honorable et grave rédacteur de la Liberté s’était rendu trois fois au bureau de la place de la Bourse, et, après avoir échangé pour plus de huit cents francs de communications, il adressa définitivement un menu que M. Monselet a taxé lui-même de petit chef-d’œuvre. En voici un extrait:

Potage à l’étincelle,

Cabillaud sauce Victoria.

Cromesquis de gibier anglais à la Valencia,

Filets de sole à la reine,

Jambon d’York,

Plumpudding anglais pilé,

Bombe électrique à la vanille anglaise,

Chester.

Le chapitre des toasts fut naturellement réglé à Londres même. Le premier fut porté à la grande reine Victoria, le second au président des États-Unis, le troisième aux ingénieurs, à M. Cyrus Field, le quatrième au capitaine Anderson et à M. Halpin, son second; le cinquième à l’union de l’Europe et de l’Amérique, à la Compagnie du télégraphe, — enfin, le dernier, «aux dames!»

MM. de Sartène, Norton et Stevens occupaient des places séparées par plusieurs convives; —les commissaires du banquet avaient tenu à ce que les officiers et les ingénieurs fussent confondus; — il devait, en effet, résulter de ce mélange des relations utiles pour la réussite des travaux.

Un incident que l’on mit sur le compte d’un loustic sombre, vint néanmoins jeter un léger nuage dans l’esprit de plusieurs des assistants, particulièrement d’un des voisins de M. de Sartène, et, sans qu’il consentît à se l’avouer, de M. de Sartène lui-même.

Voici le fait: ce voisin, en dépliant sa serviette, fit tomber un papier sur lequel se trouvait cette phrase: «Monsieur Henri, défiez-vous de votre collègue Norton!»

Évidemment, il ne pouvait s’agir que de Henri de Sartène. Le lugubre avertissement commençait à circuler, lorsque le jeune ingénieur arrêta par une boutade lancée d’une voix rieuse les chuchotements qui se produisaient.

Malgré toute sa force d’âme, ce billet, qui lui rappelait involontairement un noir épisode de l’histoire des Guises, laissa dans les souvenirs du jeune homme une pénible impression.

«Norton perfide! Norton traître! Cela lui paraissait un non-sens. Il consentait bien à juger son collègue comme un personnage emporté, bizarre, excentrique, — mais il ne pouvait se faire à l’idée que cet homme qui vous serrait la main jusqu’à la briser, pût être un misérable, un fripon, et, pis que tout cela, un traître! Cependant l’avertissement était là, —il l’avait lu, bien lu; — la phrase était précise, indiscutable. D’ailleurs, quel intérêt trouvait-on à le lui adresser? Aucun. Si par hasard il s’était trompé sur les véritables sentiments de Norton? Si, au lieu d’emmener un allié, un ami, un frère, il s’était adjoint un rival, un ennemi? —Et cependant, se disait-il en lui-même, je me trompe, Norton est un camarade de longue date, il m’aime. Arrière le doute! Je n’ai rien appris. Je n’ai rien vu. Loin de moi l’injurieuse méfiance. Norton restera mon second, mon ami!»

Un drame au fond de la mer

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