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VI

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PROJET TÉMÉRAIRE DES INGÉNIEURS.

Un canot détaché du Great-Eastern accosta l’Argus. Un marin vint remettre un pli à M. de Sartène.

— Messieurs, dit-il aux deux ingénieurs après avoir pris connaissance de la missive, cette lettre m’avertit que l’on craint un accident; depuis quelques minutes les dépêches semblent venir plus faiblement. Il faut éviter un échec. On a recours à nous, nous devons payer de notre personne.

— En effet, un accident est ici plus menaçant que partout ailleurs, continua Norton, c’est dans ces parages que l’année dernière le fil se rompait...

— Je ne vois qu’un moyen sûr, infaillible, de bien installer le câble, reprit Henri de Sartène.

— Moi aussi, s’écria résolûment Norton, je n’en vois qu’un.

— Ce moyen, dit de Sartène, est au moins très-audacieux, vous l’avez deviné, c’est d’aller nous-mêmes poser le fil au fond de la mer, à l’aide d’appareils à plongeur.

— Mais, fit Stevens, oubliez-vous, messieurs, que les sondes accusent ici une profondeur de plus de 1000 mètres, et l’on n’a jamais dépassé 60 mètres.

— Et qu’importe! répliqua l’impétueux Norton.

— Mais c’est un véritable voyage! Pensez-y! reprit Stevens, il y a ici autant de mètres au-dessous de la mer que les Grampiens en ont au-dessus.

— Oui, je ne l’ignore pas, dit Henri, aussi j’irai seul, je ne force personne à me suivre.

— Comment, s’écria Norton, vous partiriez sans nous! Je m’y oppose formellement. Je suis de l’expédition. Nous ferons en quelques heures plus de découvertes que tous les académiciens réunis. Quel triomphe!

— Mais songez, messieurs, au poids formidable qu’il nous faudra pour nous maintenir à une aussi grande profondeur sous-marine, reprit Stevens. Le matelot qui nettoie la carène d’un navire, à quelques brasses de la surface de l’eau, emporte un lest d’environ 8 kilogrammes.

— J’y ai déjà réfléchi, répondit Henri; il nous faudra un poids de plus de 500 kilogrammes.

— Mais alors, c’est insensé ! Comment pourrez-vous faire un pas avec un pareil fardeau?

— Stevens, vous ne raisonnez pas, repartit sérieusement Henri, je vous renvoie à votre physique, à vos mathématiques et au simple bon sens; vous devriez savoir que ce poids formidable sera contrebalancé, et à 1,000 mètres au-dessous de l’Océan nous marcherons aussi légèrement avec nos 500 kilogrammes que sur le pont de ce navire avec nos souliers et nos habits.

— Et c’est élémentaire! s’écria de nouveau le fougueux Norton; que de belles et magnifiques trouvailles nous allons faire! que de richesses doivent être enfouies dans ces profondeurs! qui nous dit que nous n’allons pas découvrir le fameux serpent de mer, et, comme Giliatt, lutter corps à corps avec la pieuvre de Victor Hugo! A quand le départ?

Décidément, quel sera le moment du départ pour notre voyage sous-marin? reprit avec insistance Norton.

— Quand vous voudrez, répondit de Sartène. Mais vous ne dites rien, Stevens: feriez-vous défection?

— Non, monsieur, je vous accompagnerai, lit froidement le jeune ingénieur.

— Messieurs, c’est donc une affaire entendue, nous nous mettrons à l’œuvre demain. Comme l’a dit Norton, nous naviguons depuis quelques heures dans les parages qui présentent le plus de périls pour la réussite de l’entreprise. Presque partout le lit je l’Océan est uniforme. On ne signale au milieu de l’Atlantique ni ressauts subits, ni faille, ni arrachements abrupts; aussi était-ce une utopie qu’une suite de vigies qui permettraient de poser le câble comme d’un poteau à un autre. Néanmoins, dans la région que nous parcourons, le lit de la mer n’est pas d’une égalité parfaite. Sa profondeur est assez variable. On peut en conclure que le câble repose sur des sommets, escalade des vallées et fait des pas de géant à travers le fond de l’Atlantique. Sa pesanteur peut devenir une cause de rupture. Figurez-vous un pareil fil allant du mont Blanc au mont Saint-Bernard, du mont Saint-Bernard au mont Rosa, et chevauchant sur les crêtes des plus hautes montagnes. Tel doit être le câble.

— C’est juste, dit Norton, et l’attraction terrestre jointe au poids est un immense danger pour le câble.

— Prévoyant un accident possible, reprit de Sartène, nos collègues du Terrible, du Niagara et de l’Agamemnon sont prêts à faire comme nous. Au reste, nous pourrons bientôt chanter victoire. A quelques centaines de kilomètres de l’Amérique, il n’y aura plus rien à craindre. Vous savez, en effet, que dans le voisinage des continents la mer est relativement peu profonde. Un géant, monté sur des échasses, pourrait passer à gué la Manche et se promener autour de l’Irlande et de la Grande-Bretagne à cinquante lieues du littoral. Pour Terre-Neuve, mêmes lois. A partir de 51° de longitude, le lit de l’Océan s’élève progressivement comme les gradins d’un temple. A quelques milles de Trinity-Bay, la pose du câble ne sera plus qu’un jeu. Voulez-vous une preuve? C’est la réussite complète, rapide, de toutes les lignes sous-marines dans les mers peu profondes et voisines de la terre ferme. Voici cinq ou six ans que l’on s’occupe sérieusement de coudre entre eux tous les pays comme les morceaux du même habit, et l’Angleterre est déjà reliée huit fois au reste de l’Europe.

— Mais, reprit Stevens, je ne sache pas que l’on ait usé d’appareils à plongeur pour aucune de ces opérations. Ce que vous voulez tenter est une innovation téméraire!

— Monsieur, si l’on n’avait jamais innové, on en serait encore à l’époque heureuse où l’on mangeait avec les doigts, sans se soucier des fourchettes et des cuillères. L’innovation, c’est la guerre ouverte, déclarée, à la routine, et, j’avoue mon faible, cette guerre qui, à la place de sang, verse des capitaux, me séduit et me passionne. Au reste, je vous le répète, vous êtes libre de demeurer sur le pont du navire à fumer paisiblement votre cigare; seulement nous sommes en droit de mettre en doute votre bravoure.

— Eh! monsieur, je vous accompagnerai, je l’ai dit... Je ne suis pas un lâche.

— N’en parlons plus. Tenons-nous prêts pour demain matin.

Le jeune ingénieur serra la main de ses deux collègues et se retira dans sa cabine.

Un drame au fond de la mer

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