Читать книгу Un drame au fond de la mer - Richard Cortambert - Страница 7

Оглавление

V

Table des matières

VOGUE LA FLOTTE!

Quelques jours après cette mémorable réunion, le Great-Eastern partait aux acclamations de la foule.

Le 13 juillet, malgré les prédictions funestes que les fatalistes attachent à cette date néfaste, le 13 juillet, on pratiquait l’épissure entre le câble plongé au fond de la mer et la tête de la ligne destinée à relier les deux mondes.

Semblable à quelque géant à la tête de sa lignée, l’immense vaisseau fendait la mer, suivi d’une dizaine de bateaux à vapeur. C’était un merveilleux spectacle; une grande pensée partait, en effet, du côté de l’Amérique.

Que de réflexions, d’impressions et de sentiments venaient assaillir l’esprit des chefs de l’entreprise, des marins et des assistants!

L’histoire, depuis des milliers d’années, ne rapportait rien, absolument rien de semblable. Un seul fait pouvait être comparé à ce départ: celui de Christophe Colomb. Autrement jamais une flotte n’avait quitté un pays dans le but d’être utile à un autre. Peut-être certains rois ou empereurs ont-ils assuré à leurs sujets qu’en armant des vaisseaux et en se préparant à pourfendre des nations, ils rendaient de signalés services à l’humanité ; mais, si les citoyens les ont crus sur parole, ils ont commis la plus formidable bévue qu’il soit possible d’imaginer. Depuis l’expédition des Argonautes jusqu’à celle du Mexique, j’ai beau regarder, je n’aperçois pas une seule flotte tendant ses voiles au vent sans cacher dans ses entrailles des guerriers ou de simples soldats de la ligne. La seule exception est donc en faveur du Great-Eastern et de ses compagnons. Gloire à lui et à eux!

En effet, qu’emportaient-ils vers l’Ouest? A la place de batteries de canons et de boulets, des fils électriques, des bobines de câbles, des sondes, des appareils à plongeur? A la place de soldats, des ingénieurs, des physiciens, des ouvriers, en un mot, tous ceux que l’on pourrait appeler les missionnaires, les apôtres du progrès, si l’on ne craignait d’offenser les autres. En avant! All right! Hourrah!

Le 14 juillet, l’Argus se trouvait, comme son grand compagnon, par 52° de latitude et 14° de longitude. Le temps était magnifique; le ciel sans nuage. Le câble immergeait déjà à une distance de 135 milles de Valencia. Tout allait à souhait.

Le 22 juillet, le Great-Eastern naviguait déjà à 1075 milles de Valencia, par 50° 48’ de latitude et 39° 41’ de longitude. Le temps continuait à être des plus favorables.

Les jours suivants se passèrent sans incidents remarquables. Tout faisait présager un succès complet. MM. de Sartène, Norton, et Stevens déployaient un zèle et une activité admirables.

A plusieurs reprises, Henri fut complimenté par les savants ingénieurs MM. Willoughby, Smith, Cromwell, F. Warley, Thompson, et par l’agent général de la Compagnie.

«Monsieur, lui avait-on dit, nous ne vous perdrons pas de vue; nous vous promettons honneur et fortune!

— Je ne fais que mon devoir, avait répondu simplement le noble et modeste jeune homme.

Le même personnage s’était approché des deux autres ingénieurs.

«Monsieur Norton, nous sommes satisfaits de vous! L’Argus fera bientôt une autre campagne. Non-seulement vous conserverez votre rang, mais vos appointements seront doublés. »

— Vous ferez bien, répartit l’étrange garçon, ce ne sera que justice.

«Quant à vous, monsieur Stevens, dit l’agent au troisième ingénieur, vous appartenez également de droit à l’Argus. Dans la prochaine entreprise que nous méditons, votre situation sera naturellement la même, mais vous pouvez compter sur notre générosité.»

A cela, G. Stevens répondit avec son plus gracieux sourire qu’il saurait attendre patiemment et qu’il se trouvait suffisamment honoré des félicitations de M. l’agent général.

— Allons donc! s’écria Norton, que cette réponse obséquieuse révoltait, vous êtes pétri d’ambition! N’y revenez pas, collègue, je n’aime pas les gens qui promènent partout leur langue pour s’attirer les caresses de leurs chefs! Vous ne valez peut-être pas mieux que moi! Je suis ambitieux! Je l’avoue. Je ne crois pas que demeurer second à bord de l’Argus soit le comble du bonheur. Chacun aspire à monter! Pardieu!

— Mon ami, reprit Stevens, vous vous trompez du tout au tout. Je ne suis pas le moins du monde ambitieux. La situation que j’ai me convient.

— Ah! par tous les diables, reprit Norton, vous devez mentir effrontément. Sans cela, je vous mets dans une niche et je vous adore.

— Mon cher, repartit Stevens sur un ton d’une douceur parfaite, adorez-moi donc, car je vous jure que je ne conçois nulle envie, nulle jalousie! Mon poste est, il est vrai, relativement infime, et je crois être digne d’en occuper un plus élevé, mais je m’en contente parfaitement.

— En attendant mieux... n’est-ce pas?

— Oh! mon ami, reprit mélancoliquement George, je suis de ceux qui laissent sans inquiétude couler l’eau et qui savent attendre...

— Ce qui est la vertu du sage! voulez-vous dire? Décidément, vous êtes un ange! Moi, je ne vous vaux pas. Je vous déclare que je travaille comme un nègre pour faire une trouée, une percée, et arriver à une situation meilleure. Il me faut deux choses: une belle position et de la fortune!

— Est-ce tout? fit le jeune ingénieur en souriant avec finesse.

— Et quand je désirerais plus encore! riposta Norton; suis-je inférieur à tous ces petits baronnets qui passent leur vie à la chasse et aux courses! J’ai pâli sur les livres pendant qu’ils éperonnaient leurs chevaux et dirigeaient leur meute! Le sort est injuste, la société inepte.

Comment! je me croiserais philosophiquement les bras et ne serais pas courroucé d’anomalies aussi scandaleuses! Qu’arrive-t-il, en effet? Les lords deviennent la nonchalance, la paresse et la nullité incarnées parce qu’ils sont riches; parce qu’ils sont riches, ils sont puissants; parce qu’ils sont puissants, ils nous gouvernent..., et parce qu’ils nous gouvernent, je peste de leur incurie, de leurs bévues et de leur ignorance, moi, homme d’action, qui sais quelque chose. Qu’est-ce que je voudrais? posséder un jour une fortune qui m’accorderait assez de crédit pour jeter les trois quarts de ces gentilshommes à la mer! Voilà tout!

La conversation fut en cet instant interrompue.

Un drame au fond de la mer

Подняться наверх