Читать книгу Causes amusantes et connues - Robert Estienne - Страница 9

MÉMOIRE

Оглавление

Table des matières

POUR la Communauté des Chaircuitiers, Intimés;

CONTRE NICOLAS- NOEL, Pâtissier;

ET la Communauté des Pâtissiers, Appellans.

IL y a quelquefois moins à gagner à se mêler de deux métiers, qu'à n'en faire qu'un, & le bien faire. Mais il y a aussi certains commerces dont l'un ne nuit point à l'autre. Par exemple, il ne coûte pas plus à un Pâtissier de vendre, chemin faisant, du jambon, & il gagne davantage. Cela est tout clair; les Pâtissiers y ont fort bien trouvé leur compte tant qu'on les a laissé faire. Mais ce qui les accommodoit, incommodoit les Chaircuitiers. Ceux-ci ont obtenu des Sentences & des Arrêts, qui ont condamné l'entreprise.

Un Pâtissier, qui a plus d'esprit que les autres, (c'est M. Noel), a inventé le plus joli secret du monde pour éluder ces jugemens. Il a fait cuire un jambon comme on a coutume de le faire cuire, puis il l'a enveloppé d'une pâte mince, puis il l'a mis à l'entrée du four un moment pour faire prendre couleur à la pâte, & l'ayant retiré, il a dit, en considérant son petit chef-d'œuvre, voilà un pâté de jambon, ou je ne suis pas Pâtissier; viennent les Chaircuitiers quand ils voudront.

Ils sont venus, ils avoient avec eux un Commissaire & un Huissier; ce jambon étoit fort entamé; on a saisi ce qui en restoit; il a été mis dans une boîte cachetée: Noel s'en est chargé.

On a été à l'Audience de la Police; tous les Pâtissiers trouvant l'invention bonne, leur Communauté étoit intervenue. Noel avoit apporté la boîte; le Juge l'a fait ouvrir; le jambon ne tenoit point du tout à la croûte, on l'en a tiré, & tout le monde a reconnu un jambon dans son état naturel, & d'une cuisson ordinaire. Noel a soutenu inutilement que c'étoit un plat de son métier: le Lieutenant de Police en a jugé autrement; il a déclaré la saisie valable. Il a condamné Noel à 10 liv. d'amende, & 20 liv. de dommages & intérêts, & il a défendu aux Pâtissiers de faire des pâtés de jambon, à moins que la viande & la pâte ne soient cuites ensemble. Le morceau saisi a été remis dans la boîte, & la boîte a été recachetée.

Les Pâtissiers ne sont pas contens; ils appellent, & leur grief est fort simple. Ils conviennent dans leurs écrits, qu'ils n'ont pas droit de vendre du jambon: loin de contredire les Jugemens, qui leur défendent ce commerce, ils les ont fait imprimer à la suite de leurs statuts; & ils produisent l'imprimé pour prouver qu'ils ont droit, par leurs Statuts, de faire des pâtés de jambon.

Ils disent vrai. Mais ce qu'on a saisi, n'est point du tout un pâté de jambon: c'est, sous le masque d'une croûte légere, un jambon tout naturel & tout ordinaire: les Pâtissiers le définissent assez-bien, en deux endroits de leurs causes d'Appel, Un jambon conçu en façon de pâté, & cela signifie, un jambon travesti en pâté; la chose est, à la vérité, finement inventée; mais les finesses n'ont pas de mérite auprès des Juges; ils condamnent la fraude déguisée, tout comme la fraude à découvert.

Les Pâtissiers se défendent avec un grand sérieux; ils ont donné un factum fort étendu; mais ils ne sont pas parvenus à prouver qu'un jambon, prêt à servir sur table, soit un pâté, parce qu'on l'a recouvert d'une pâte mince, qui ne lui sert que d'enveloppe.

Ils disent dans leurs causes d'Appel, que pour bien faire un pâté, il ne faut pas hacher le jambon avec la viande ordinaire; que ce seroit une mixtion désagréable; qu'on coupe ce jambon par tranche, & qu'on l'entremêle d'une couche de pâté de viande ordinaire.

Dans leurs contredits, c'est une autre méthode; on prépare le jambon comme un vrai pâté, avec tous les ingrédiens qui entrent dans les pâtés; on le hache avec ces ingrédiens, de sorte que le jambon est entiérement dénaturé. Il forme, indépendamment de la croûte, un vrai pâté.

On ajoute un moment après, que le jambon, avant d'être cuit, ayant déja éprouvé d'autres préparations, n'est pas de sa nature, susceptible du mêlange de plusieurs ingrédiens: on vient insensiblement à dire, que s'il arrive que les Pâtissiers cuisent le jambon séparément, & qu'ensuite ils y ajoutent une pâte auxiliaire, c'est pour en faire un ouvrage plus délicat: agir autrement, dit-on, ce seroit risquer d'introduire dans le Public, un mets dangereux pour la santé.

Tout cela est répété, retourné, contrarié dans le factum, & l'on voit que les Pâtissiers ne sçavent quel chemin tenir pour sortir d'embarras.

Au fait, le jambon saisi, lorsqu'on lui a donné un surtout de pâte, n'étoit ni haché, ni assaisonné d'ingrédiens, ni coupé par tranches entremêlées de couches d'autres viandes, il n'étoit nullement dénaturé; c'étoit un jambon simple, sortant de la cuisson ordinaire, prêt à manger, tel en un mot, que les Chaircuitiers le vendent. Et pour emprunter le langage des Pâtissiers, la pâte étoit une pâte auxiliaire, elle ne rendoit pas l'ouvrage plus délicat, elle servoit seulement à prétexter la fraude: cela est trop évident; & en bonne foi, on feroit mieux d'en convenir, que de soutenir si long-tems une cause, que l'on peut dire perdue.

Il y a dans la Sentence une disposition, dont les Pâtissiers sont un peu courroucés; elle leur défend de faire des pâtés de jambon, à moins que la viande & la pâte ne soient cuites ensemble: Quoi donc, disent-ils, le Lieutenant de Police a-t-il voulu nous apprendre notre métier? Non, mais il leur a appris à ne point ruser, & à ne point faire la fraude; ils sçavent bien, que ce n'est pas faire un pâté, que de mettre de la viande cuite dans un croûte postiche, qui n'est comptée pour rien; ce qu'ils ne sçavoient pas, est qu'on ne trompe point la Justice. Ils le sçavent à présent, ils le sçauront encore mieux, quand la Sentence sera confirmée.

Me. Pageau, Avocat.


Causes amusantes et connues

Подняться наверх