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ROME.

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La peinture, née au sein de deux républiques opulentes, au milieu des pompes de la religion, et d'une extrême liberté de mœurs, fut appelée aux bords du Tibre par des souverains qui, parvenant tard au trône, n'y siégeant qu'un instant, et ne laissant pas de famille, ont en général la passion d'élever dans Rome quelque monument qui y conserve leur mémoire. Les plus grands d'entre eux appelèrent à leur cour le Bramante, Michel-Ange et Raphaël. En entrant dans ces palais immenses de Monte-Cavallo et du Vatican, le voyageur est étonné de trouver sur le moindre banc de bois le nom et les armes du pape qui l'a fait faire[34]. Au milieu des pompes de la grandeur, la misère de l'humanité montre tout à coup sa main décharnée. Ces souverains ont horreur de l'oubli profond où ils vont tomber en quittant le trône et la vie.

Leur gouvernement, que nous voyons de nos jours un despotisme doux et timide, fut une monarchie conquérante dans les temps brillants de la peinture, sous Alexandre VI, Jules II et Léon X.

Alexandre réussit à humilier les grandes familles de Rome. Jusqu'à lui, ces pontifes, si redoutables aux extrémités du monde, avaient été maîtrisés dans leur capitale par quelques barons insolents. Profitant du trouble où la course de Charles VIII jeta l'Italie, il parvint à les subjuguer ou à les exterminer tous. L'impétueux Jules II ajouta ses conquêtes au patrimoine de Saint-Pierre. L'aimable Léon X, qui succéda presque immédiatement à ces grands princes, et qui, sous plus d'un rapport, fut digne d'eux, eut pour les beaux-arts un amour véritable. Les fleurs semées par Nicolas V et Laurent de Médicis parurent de son temps.

Malheureusement son règne fut trop court[35], et ses successeurs trop indignes de lui. Ses États mieux cultivés, et la crédulité de l'Europe, qu'il vint à bout de fatiguer, avaient secondé un des caractères les plus magnifiques qui aient jamais embelli le trône.

Depuis ces grands hommes, les papes n'ont été que dévots[36]. Toutefois nous les verrions encore des souverains puissants s'ils avaient porté dans leurs affaires temporelles la même politique que dans celles de la religion. Dans celles-ci, les maximes politiques sont immortelles; c'est le souverain seul qui change. Toute la cour sent trop bien à Rome que le premier intérêt de tous, c'est que la religion subsiste. Le pape se conduit donc bien comme pape; mais vous savez que, comme souverain, il n'a pour but que d'élever sa famille. C'est un pauvre vieillard entouré de gens avides qui n'espèrent qu'en sa mort. Il n'a pour amis que ses neveux, et, comme ils sont aussi ses ministres, ils lui épargnent la peine de combattre un penchant naturel.

Quand les Altieri, neveux de Clément X, eurent fini leur palais, ils invitèrent leur oncle à le venir voir. Il s'y fit porter, et de si loin qu'il aperçut la magnificence et l'étendue de ce bâtiment superbe, il rebroussa chemin, le cœur serré, sans dire un seul mot, et mourut peu après.

La décadence a été rapide. Ce n'est pas qu'à Rome le despotisme soit vexatoire ou cruel; je ne me rappelle, dans le moment, d'autre crime que la mort de Cagliostro, étouffé dans un château fort, près de Forli[37]. «Mais aussi, dit un peintre célèbre, c'était le contrebandier réfugié à la douane.» Ce mot fit fortune, car on est malin à Rome, et pas du tout dupe des grandes phrases, moins qu'à Paris. Dès qu'une sottise y est utile, elle s'y sauve du ridicule; mais malheur au bavard emphatique qui n'obtient pas bien vite une pairie. C'est aux plaisanteries de Pasquin que les Romains doivent le goût sûr qui les distingue dans les beaux-arts. Il y a même chez eux quelque naturel dans la conversation. Ailleurs, en Italie, il ne faut pas se figurer que les expressions simples ou positives soient d'un usage ordinaire; le comparatif même y est négligé, et, dans les grandes occasions, il faut savoir surcharger le superlatif[38].

Le vice du gouvernement papal gît dans l'administration intérieure; il n'y en a pas. Quelques vieillards pieux, élevés dans une grande ignorance de Barême, y laissent aller les choses à leur pente naturelle. Rien de mieux, s'il y avait un principe de vie; mais le travail est déshonoré; mais à chaque instant le fleuve terrible de la dépopulation engloutit en silence quelque nouveau terrain.

Un banquier de Londres, premier ministre sous un pontificat un peu long, ferait naître du blé, et par là des hommes. Il montrerait que le pape peut être facilement le plus riche souverain de l'Europe; car il n'a pas besoin d'armée; quelques compagnies de gardes du corps et une bonne gendarmerie lui suffisent.

A Rome, l'opinion publique est excellente pour distribuer la gloire aux artistes tout formés; mais la prudence obséquieuse, sans laquelle on ne saurait y vivre, brise les caractères généreux[39]. Au milieu de tant de grands souvenirs, à la vue des ruines de ce Colysée, qui inspirent une mélancolie si sublime, et remuent même les cœurs les plus froids, rien n'encourage les rêves d'une imagination jeune et ardente. La triste réalité y perce de toutes parts, même aux yeux de l'enfance. J'ai été atterré des maximes de conduite que me citaient des bambins de seize ans sortant du collége. Sous le gouvernement de ces prêtres, l'élévation de caractère est littéralement une folie. En dernier lieu, les enfants des grandes familles avaient été transportés en France. Par cette mesure un peu acerbe, le caractère national eût été relevé. Les enfants d'Italie, toujours menés par des prêtres, n'y ont pas même la santé physique.

Je prie qu'on me pardonne ces détails. Malgré la misère qui paraît de tous côtés, comme il y a dans le cœur du pape, pour peu qu'il soit quelque chose de mieux qu'un moine, un penchant qui favorise les arts, Rome est maintenant leur capitale, mais capitale d'un empire désolé[40].

Vous voyez sans doute que tous les raisonnements sur la renaissance de la peinture ne sont que des palliatifs. Cet art a donné tous les genres de beauté compatibles avec la civilisation du seizième siècle; après quoi il est tombé dans le genre ennuyeux. Il renaîtra lorsque les quinze millions d'Italiens, réunis sous une constitution libérale, estimeront ce qu'ils ne connaissent pas, et mépriseront ce qu'ils adorent[41].

Les nobles Romains qui firent travailler les Raphaël, les Guide, les Dominiquin, les Guerchin, les Carrache, les Poussin, les Michel-Ange de Carravage, pouvaient apprécier les talents. Ce n'étaient point les princes modernes engourdis au fond de leur palais par l'impossibilité de toute noble ambition, mais des gens qui venaient seulement de perdre leur puissance, qui en avaient tout l'orgueil, qui, songeant à la reconquérir, dans le secret de leur cœur, savaient apprécier les entreprises difficiles, et estimer tout ce qui est grand. En général, le seizième siècle n'offrait nulle part cette tranquillité moutonnière de nos vieilles monarchies, où tout paraît soumis, mais où, dans le fait, il n'y a rien eu à soumettre.

Histoire de la peinture en Italie

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