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CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.

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Nous venons de parcourir les gouvernements de Venise, Florence et Rome, patries de la peinture. Voici les circonstances communes à ces trois États.

Une extrême opulence, mais peu de luxe personnel. Chaque année, des sommes énormes dont on ne savait que faire[42].

La vanité, la religion, l'amour du beau, portent toutes les classes à élever des monuments. La manière de faire preuve de ses richesses, première question à faire dans tous les siècles et dans tous les pays, était telle alors. Agostino Chigi, le plus riche banquier de Rome, montre son opulence en élevant le palais de la Farnesina, et le faisant peindre par Raphaël d'Urbin, le peintre à la mode[43]. Les vieillards riches, et c'est à cette époque de la vie qu'on est riche, bâtissaient des églises, ou au moins des chapelles, qu'il fallait toujours remplir de peintures. Les plus simples particuliers voulaient placer un tableau sur l'autel de leur patron.

On trouve que le capital que l'Italie employa en objets de piété équivaut au prix de tous ses fonds de terre.

Mais la religion, semblable à ces mères malheureuses qui, en donnant la vie à leurs enfants, déposent dans leur sein le germe de maladies incurables, jeta la peinture dans une fausse route; elle l'éloigna de la beauté et de l'expression. Jésus n'est jamais, dans les tableaux du Titien et du Corrége, qu'un malheureux condamné au dernier supplice, ou le premier courtisan d'un despote[44]. Il est plaisant de voir la peinture, un art frivole, faire la preuve d'un système religieux[45].

Chez les Grecs, qui mettaient au rang des dieux les héros bienfaiteurs de la patrie, la religion commandait la beauté, et la beauté avant tout, même avant la ressemblance. Souvent les mains des bas-reliefs antiques ont tout au plus la forme humaine, les accessoires sont ridicules; mais la ligne du front indique déjà la capacité d'attention, et la bouche, le calme d'une raison profonde. C'est que les Grecs avaient à rendre les vertus de Thésée, qui sauve les Athéniens; et les modernes, les vertus de saint Siméon Stylite, qui se donne les étrivières pendant vingt ans au haut de sa colonne[46].

Les Italiens faisaient peindre à fresque l'intérieur de leurs maisons, et quelquefois même l'extérieur, comme à Venise et à Gênes, où l'on peut encore voir sur la place des Fontane Amorose l'élégance de cet usage.

Les surfaces extérieures des grandes murailles sont rarement d'une couleur uniforme; elles offrent, presque en tous pays, quelque chose de rude et de peu soigné qui éloigne l'idée du luxe. De là l'air si misérable de nos petites villes de France. Au contraire, d'aussi loin qu'on aperçoit un palais que la fresque a revêtu de couleurs brillantes et de statues, on songe à la richesse des appartements. Dans le Nord, la teinte uniforme et douce des maisons de Berlin donne l'idée de la propreté et de l'aisance.

Au quinzième siècle, l'Italie ornait de peintures non-seulement les églises et les maisons, mais les cassettes dans lesquelles on offre les présents de noce, mais les instruments de guerre, mais jusqu'aux selles et aux brides des chevaux. La société faisant une aussi énorme demande de tableaux, il était naturel qu'il y eût une foule de peintres. Les gens qui ordonnaient ces tableaux ayant reçu du ciel une imagination enflammée, sentant vivement le beau, honorant les grands artistes avec cette reconnaissance qu'inspirent les bienfaits, il était naturel qu'il naquît des Léonard de Vinci et des Titien.

Ce siècle, si porté pour les beaux-arts, n'exigea pas de ses artistes qu'ils suivissent toujours pour plaire les routes les plus sûres. Tous les romans charment dans la jeunesse. Mais il eut la partie principale du goût, celle qui peut les suppléer toutes, et qu'aucune ne peut remplacer, je veux dire la faculté de recevoir par la peinture les plaisirs les plus vifs. Il aima avec passion cet art bienfaiteur qui embellit de plaisirs faciles les temps prospères de la vie, et qui, dans les jours de tristesse, est comme un refuge ouvert aux cœurs infortunés. Entrerai-je ici dans quelques détails? Oserai-je, dès le portique, faire entrevoir le sanctuaire?

Un livre ne peut changer l'âme du lecteur[47]. L'aigle ne paîtra jamais dans les vertes prairies, et jamais la chèvre folâtre ne se nourrira de sang. Je puis tout au plus dire à l'aigle: Viens de ce côté, c'est vers cette région de la montagne que tu trouveras les agneaux les plus gras; et à la chèvre: C'est dans les fentes de ce roc que croît le meilleur serpolet.

Les sensations manquent à l'homme froid. Un homme, dans les transports de la passion, ne distingue pas les nuances, et n'arrive jamais aux conséquences immédiates. Le sauvage, qui ne sait pas lire, n'a garde de trembler à la vue d'un papier écrit; le voleur, plus instruit, frémit devant sa sentence de mort.

Les liaisons d'idées qui font les trois quarts du charme des beaux-arts ont besoin d'être nommées une fois aux âmes tendres; elles n'oublient plus ces sentiments divins qui ont le bonheur d'être donnés dans une langue que l'ignoble vulgaire ne souilla jamais de ses plates objections.

Parlerai-je de la beauté? Dirai-je qu'il en est, dans les arts, de la sublime beauté[48] comme des beautés mortelles, dont l'amour nous conduit aux beautés du marbre et des couleurs? A la faveur d'une parure ni trop flottante ni trop serrée, montrant beaucoup de leurs attraits, en laissant deviner bien davantage, elles n'en sont que plus séduisantes aux yeux du connaisseur. La pensée soulève ces voiles; elle entre en conversation avec cette vierge charmante de Raphaël; elle veut lui plaire; elle jouit de ces qualités de son âme, qui font qu'elle lui plairait, qualités si longuement oisives dans notre système de vie actuel.

Quant aux autres, ils se plaisent à considérer la délicatesse et la broderie de ses vêtements, la richesse de l'étoffe, la vivacité et le jeu des couleurs, et ils donneraient volontiers la dame pour ses habits[49].

Qui osera dire au tigre rapide: Échange ton bonheur pour celui de la tendre colombe?

Ce n'est pas au moment où un bel enfant vient de naître qu'il faut parler des causes qui le conduiront un jour à la décrépitude. Je ne dirai qu'un mot de la misère actuelle.

Dès ses premiers pas en Italie, le voyageur rencontre l'église célèbre connue sous le nom de Dôme-de-Milan. Cinq portes principales donnent l'entrée dans ce vaste édifice. Si, en passant sous ses portes, le voyageur lève les yeux, il aperçoit dans le bas-relief qui est au-dessus de la plus grande un sujet qui, de nos jours, serait proscrit par les convenances. Il trouve au-dessus de trois des autres portes des charmes retracés avec trop de vérité. Nous ne voulons plus des Ève, des Judith, des Débora si séduisantes. La religion et les convenances s'y opposent également. La plupart des actions de la vie, étant sérieuses, n'admettent plus les beaux-arts au même degré. Les mots si vifs de Henri IV conviennent moins à notre majesté que les réponses un peu lourdes de Louis XIV[50].

La religion du quinzième siècle n'est pas la nôtre. Aujourd'hui que la réforme de Luther et les sarcasmes des philosophes français ont donné des mœurs pures au clergé et à ses dévots, l'on ne se figure guère ce que furent les prêtres aux jours brillants de l'Italie. Les premières places de l'Église étaient dévolues à des cadets de grandes maisons. Ces jeunes gens voyaient bien vite que, pour s'avancer, il fallait de l'esprit et de la politique[51]. Léon X, entrant à treize ans dans le collége des cardinaux, qui avaient pour doyen très-considéré le cardinal Borgia, vivant publiquement avec ses enfants et la belle Vanosa, ce qui ne l'empêcha pas bientôt après d'acheter la couronne, ne devait prendre qu'une idée médiocre de l'utilité des mœurs. De nos jours, c'est le contraire, la mode est pour les vertus négatives; et les papes, avertis par la présence de l'ennemi, n'élèvent à la pourpre que des vieillards habiles qui ont passé leur vie à ne pas se rendre indignes de cette grande distinction, et à s'en approcher sans cesse par des pas insensibles.

Si l'on a la curiosité de prendre l'âge des évêques et des cardinaux du quinzième siècle, et qu'on le compare au temps où la vieille ambition de nos prêtres reçoit enfin sa récompense, on verra que Luther a mis les grandeurs de l'Église dans une autre saison de la vie[52]. Dommage immense pour les beaux-arts.

Les circonstances qui leur étaient favorables, et que le hasard avait surtout réunies à Florence, à Rome et à Venise, se rencontraient plus ou moins dans les autres États.

Histoire de la peinture en Italie

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