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CHAPITRE PREMIER
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LE CARACTÈRE,—LA PERSONNE,—LA FAMILLE DE MARIE DE ROHAN.—NÉE EN DÉCEMBRE 1600, ELLE ÉPOUSE EN SEPTEMBRE 1617 LE FUTUR DUC ET CONNÉTABLE DE LUYNES.—PLUS JUSTE APPRÉCIATION DE LA CARRIÈRE DE LUYNES: IL LE FAUT CONSIDÉRER COMME UN PRÉDÉCESSEUR INÉGAL DE RICHELIEU.—LE MARIAGE DE LUYNES ET DE MARIE DE ROHAN PARFAITEMENT HEUREUX. SON MARI L'INITIE AUX AFFAIRES; ELLE L'Y SERT, ET PREND SUR LUI UN GRAND EMPIRE.—A LA FIN DE 1618, NOMMÉE SURINTENDANTE DE LA MAISON DE LA REINE, ELLE EXCITE D'ABORD LA JALOUSIE D'ANNE D'AUTRICHE, PUIS DEVIENT SA FAVORITE, COMME LUYNES ÉTAIT LE FAVORI DU ROI.—ENFANTS QU'ELLE EUT DE SON MARI.—VEUVE EN 1621, ELLE SE REMARIE EN 1622 AVEC LE DUC DE CHEVREUSE, DE LA MAISON DE LORRAINE.
Si nos lecteurs ne sont pas fatigués de nos portraits de femmes du XVIIe siècle, nous voudrions bien leur présenter encore deux figures nouvelles, également mais diversement remarquables, deux personnes que le caprice du sort jeta dans le même temps, dans le même parti, parmi les mêmes événements, et qui, loin de se ressembler, expriment pour ainsi dire les deux côtés opposés du caractère et de la destinée de la femme: toutes deux d'une beauté ravissante, d'un esprit merveilleux, d'un courage à toute épreuve; mais l'une aussi pure que belle, unissant en elle la grâce et la majesté, semant partout l'amour et imprimant le respect, quelque temps l'idole et la favorite d'un roi, sans que l'ombre même d'un soupçon injurieux ait osé s'élever contre elle, fière jusqu'à l'orgueil envers les heureux et les puissants, douce et compatissante aux opprimés et aux misérables, aimant la grandeur et ne mettant que la vertu au-dessus de la considération, mêlant ensemble le bel esprit d'une précieuse, les délicatesses d'une beauté à la mode, l'intrépidité d'une héroïne, par-dessus tout chrétienne sans bigoterie, mais fervente et même austère, et ayant laissé après elle une odeur de sainteté; l'autre, peut-être plus séduisante encore et d'un attrait irrésistible, puisque Richelieu lui-même y succomba, jetée dans toutes les extrémités du parti catholique et ne pensant guère à la religion, trop grande dame pour daigner connaître la retenue et n'ayant d'autre frein que l'honneur, livrée à la galanterie et comptant pour rien le reste, méprisant pour celui qu'elle aimait le péril, l'opinion, la fortune, plus remuante qu'ambitieuse, jouant volontiers sa vie et celle des autres, et après avoir passé sa jeunesse dans des intrigues de toute sorte, traversé plus d'un complot, laissé sur sa route plus d'une victime, parcouru toute l'Europe en exilée à la fois et en conquérante et tourné la tête à des rois, après avoir vu Chalais monter sur l'échafaud, Châteauneuf précipité du ministère dans une prison de dix années, le duc de Lorraine dépouillé de ses États, la reine Anne humiliée et vaincue et Richelieu triomphant, soutenant jusqu'au bout la lutte, et la renouvelant contre Mazarin, toujours prête, dans ce jeu de la politique devenu pour elle un besoin et une passion, à descendre aux menées les plus ténébreuses ou à se porter aux résolutions les plus téméraires; d'un coup d'œil incomparable pour reconnaître la vraie situation et l'ennemi du moment, d'un esprit assez ferme et d'un cœur assez hardi pour entreprendre de le détruire à tout prix; amie dévouée, ennemie implacable sans connaître la haine, l'adversaire enfin le plus redoutable qu'aient rencontré tour à tour Richelieu et Mazarin. On entrevoit que nous voulons parler de Mme de Hautefort et de Mme de Chevreuse.
Est-il besoin d'ajouter que nous n'entendons pas tracer des portraits de fantaisie, et que si parfois nous avons l'air de raconter des aventures de roman, c'est en nous conformant à toute la sévérité des lois de l'histoire? On peut donc compter et bientôt on reconnaîtra que ces peintures en apparence légères méritent toute confiance, et qu'elles reposent sur des témoignages contemporains éprouvés ou sur des documents nouveaux qui peuvent défier la critique.
Nous commencerons par Mme de Chevreuse. Elle remonte plus haut dans le XVIIe siècle que Mme de Hautefort. Il faut dire aussi qu'elle a occupé une situation plus élevée, joue un rôle plus considérable, et que son nom appartient à l'histoire politique encore plus qu'à celle de la société et des mœurs.
Mme de Chevreuse en effet a possédé presque toutes les qualités du grand politique; une seule lui a manqué, et celle-là précisément sans laquelle toutes les autres ne sont rien et tournent en ruine: elle ne savait pas se proposer un juste but, ou plutôt elle ne choisissait pas elle-même; c'était un autre qui choisissait pour elle. Mme de Chevreuse était femme au plus haut degré; c'était là sa force et aussi sa faiblesse. Son premier ressort était l'amour ou plutôt la galanterie [5], et l'intérêt de celui qu'elle aimait lui devenait son principal objet. Voilà ce qui explique les prodiges de sagacité, de finesse et d'énergie qu'elle a déployés en vain à la poursuite d'un but chimérique qui reculait toujours devant elle et semblait l'attirer par le prestige même de la difficulté et du péril. La Rochefoucauld [6] l'accuse d'avoir porté malheur à tous ceux qu'elle a aimés: il est encore plus vrai de dire que tous ceux qu'elle a aimés l'ont précipitée à leur suite dans des entreprises téméraires. Ce n'est pas elle apparemment qui a fait de Charles IV, duc de Lorraine, un brillant aventurier; de Chalais, un étourdi assez fou pour s'engager contre Richelieu sur la foi du duc d'Orléans; de Châteauneuf, un ambitieux impatient du second rang, se croyant capable du premier et l'étant peut-être [7]. Il ne faut pas croire qu'on connaît Mme de Chevreuse quand on a lu le portrait célèbre que Retz en a tracé; car ce portrait est outré et chargé comme tous ceux de Retz, et destiné à amuser la curiosité maligne de Mme de Caumartin: sans être faux, il est d'une sévérité poussée jusqu'à l'injustice. «Je n'ai jamais vu qu'elle, dit-il [8], en qui la vivacité suppléât au jugement. Elle lui donnoit même assez souvent des ouvertures si brillantes qu'elles paroissoient comme des éclairs, et si sages qu'elles n'auroient pas été désavouées par les plus grands hommes de tous les siècles. Ce mérite, toutefois, ne fut que d'occasion. Si elle fût venue dans un siècle où il n'y eût point eu d'affaires, elle n'eût pas seulement imaginé qu'il y en pût avoir. Si le prieur des Chartreux lui eût plu, elle eût été solitaire de bonne foi. M. de Lorraine la jeta dans les affaires, le duc de Buckingham et le comte de Holland l'y entretinrent, M. de Châteauneuf l'y amusa. Elle s'y abandonna parce qu'elle s'abandonnoit à tout ce qui plaisoit à celui qu'elle aimoit, sans choix, et purement parce qu'il falloit qu'elle aimât quelqu'un. Il n'étoit pas même difficile de lui donner un amant de partie faite [9]; mais dès qu'elle l'avoit pris, elle l'aimoit uniquement et fidèlement, et elle nous a avoué, à Mme de Rhodes et à moi, que par un caprice, disoit-elle, elle n'avoit jamais aimé ce qu'elle avoit estimé le plus, à la réserve du pauvre Buckingham. Son dévouement à la passion qu'on pouvoit dire éternelle, quoiqu'elle changeât d'objet, n'empêchoit pas qu'une mouche lui donnât des distractions [10]; mais elle en revenoit toujours avec des emportements qui les faisoient trouver agréables. Jamais personne n'a fait moins d'attention sur les périls, et jamais femme n'a eu plus de mépris pour les scrupules et pour les devoirs; elle ne connoissoit que celui de plaire à son amant.» De cette peinture, qui ferait envie à Tallemant et à Saint-Simon, retenez au moins ces traits frappants et fidèles: le coup d'œil prompt et sûr de Mme de Chevreuse, son courage à toute épreuve, sa loyauté et son dévouement en amour. D'ailleurs Retz se trompe entièrement sur l'ordre de ses aventures, il en oublie et il en invente; il a l'air de regarder comme des bagatelles les événements auxquels les passions de Mme de Chevreuse lui firent prendre part, tandis qu'il n'y en a pas eu de plus grands, de plus tragiques même. A l'entendre, c'est le duc de Lorraine qui l'a mise dans les affaires, et le comte de Holland qui l'y retint, brouillant ainsi toutes les dates, et n'ayant pas l'air de se douter qu'avant Charles IV et Holland elle avait connu un tout autre politique, qu'elle avait été la femme dévouée du duc et connétable de Luynes, et que ç'avait été là sa vraie, sa première école. Enfin, il ne faut pas oublier que dans la Fronde, Retz et Mme de Chevreuse avaient fini par ne plus s'entendre, et que ce n'est pas lui, mais bien elle qui avait vu clair dans la vraie situation des affaires et dans le dernier parti qui restât à prendre. Tandis que Retz s'enfonçait dans des résolutions désespérées et des combinaisons chimériques, le coup d'œil prompt et sûr de Mme de Chevreuse lui montra vite la seule voie de salut, la nécessité de se rallier à l'unique pouvoir qui subsistait et dont elle accrut la force [11]. De là l'humeur et le dépit partout sensibles dans ce portrait exagéré à plaisir. Appartenait-il bien, en vérité, au remuant et déréglé coadjuteur d'être le censeur impitoyable d'une femme dont il a surpassé les égarements de tout genre? Ne s'est-il pas trompé tout autant et bien plus longtemps qu'elle? A-t-il montré dans le combat plus d'adresse et de courage, et dans la défaite plus d'intrépidité et de constance? Mais Mme de Chevreuse n'a pas écrit des mémoires d'un style aisé et piquant où elle relève sa personne aux dépens de tout le monde. Pour nous, nous lui reconnaissons deux juges, et qui ne sont pas suspects, Richelieu et Mazarin. Richelieu a tout fait pour la gagner, et, n'y pouvant parvenir, il l'a traitée comme une ennemie digne de lui: plusieurs fois il l'a exilée, et quand après sa mort les portes de la France s'ouvraient à tous les proscrits, son implacable ressentiment, lui survivant dans l'âme de Louis XIII expirant, les fermait à Mme de Chevreuse. Lisez avec attention les carnets et les lettres confidentielles de Mazarin, vous y verrez la profonde et continuelle inquiétude qu'elle lui inspire en 1643. Plus tard, pendant la Fronde, il s'est fort bien trouvé de s'être réconcilié avec elle, et d'avoir suivi ses conseils, aussi judicieux qu'énergiques. Enfin, en 1660, quand Mazarin, victorieux de toutes parts, ajoute le traité des Pyrénées à celui de Westphalie, et que don Luis de Haro le félicite sur le repos qu'il va goûter après tant d'orages, le cardinal lui répond qu'on ne se peut promettre de repos en France, et que les femmes mêmes y sont fort à craindre. «Vous autres Espagnols, lui dit-il, vous en parlez bien à votre aise, vos femmes ne se mêlent que de faire l'amour; mais en France ce n'est pas de même, et nous en avons trois qui seraient capables de gouverner ou de bouleverser trois grands royaumes: la duchesse de Longueville, la princesse Palatine et la duchesse de Chevreuse [12].»
Un mot sur la beauté de Mme de Chevreuse, car cette beauté a fait une grande partie de sa destinée. Tous les témoignages contemporains s'accordent à la célébrer. Un portrait peint, à peu près de grandeur naturelle, que possède M. le duc de Luynes et qu'il a bien voulu nous laisser voir [13], lui donne une taille ravissante, le plus charmant visage, de grands yeux bleus, de fins et abondants cheveux d'un blond châtain, le plus beau sein, et dans toute sa personne un piquant mélange de délicatesse et de vivacité, de grâce et de passion. On retrouve ce caractère de la beauté de Mme de Chevreuse dans deux excellents portraits gravés du temps: l'un, de Le Blond [14], la représente dans sa première jeunesse, avec ses grands yeux, son beau sein, et les cheveux frisés et crêpés du commencement de Louis XIII; l'autre, de Daret, lui donne quelques années de plus et les cheveux flottants sur de riches épaules, comme en plein XVIIe siècle [15]. Ferdinand l'a peinte déjà vieille [16]; mais, en ce dernier portrait même, on sent encore que la grande beauté a passé par là, et la finesse, la distinction, la vivacité et la grâce ont survécu.
Marie de Rohan appartenait à cette vieille et illustre race, issue des premiers souverains de la Bretagne, qui par elle-même et ses branches diverses, sans compter ses alliances, couvrit et posséda longtemps une partie considérable de la Bretagne et de l'Anjou, se divisa presque également au XVIe siècle et dans la première moitié du XVIIe entre le parti catholique et le parti protestant, tour à tour servit avec éclat ou combattit la royauté, et dont les traits héréditaires, marqués dans l'un et dans l'autre sexe, étaient particulièrement la hauteur de l'âme, la hardiesse et la constance. Au siége de La Rochelle, deux femmes, après avoir enduré toutes les rigueurs de la famine, comme les derniers des soldats, et s'être longtemps nourries comme eux de chair de cheval, aimèrent mieux rester prisonnières entre les mains de l'ennemi que de signer la capitulation. C'était Catherine de Parthenai et Anne de Rohan, la mère et la sœur de ce fameux duc Henri de Rohan, le chef des calvinistes français, le politique et l'homme de guerre du parti, et sans contredit notre plus grand écrivain militaire avant Napoléon [17]. La femme de ce même Henri de Rohan, Marguerite de Béthune, fille de Sulli, défendit Castres contre le maréchal de Thémines. Son frère Soubise, l'intrépide amiral, après la prise de La Rochelle, plutôt que de servir Richelieu et les catholiques vainqueurs, s'exila et alla mourir en Angleterre. Dans le cours des siècles, la noble maison n'a pas cessé de produire des héroïnes au cœur résolu, comme aussi, il faut bien le dire, des beautés plus brillantes que sévères. A cet égard, celle dont nous allons retracer l'histoire n'avait pas dégénéré de sa race, et elle était bien du sang des Rohan.
Elle était fille d'Hercule de Rohan, duc de Montbazon, serviteur zélé d'Henri III et d'Henri IV, grand veneur en 1602, et plus tard gouverneur de l'Ile-de-France. Sa mère était Madeleine de Lenoncourt, de la grande maison des Lenoncourt de Lorraine, fille d'Henri de Lenoncourt, troisième du nom, et de Françoise de Laval, sœur du maréchal de Bois-Dauphin. Elle avait pour frère le prince de Guymené, moins célèbre par lui-même que par sa femme, Anne de Rohan, cette belle princesse de Guymené, que les mémoires de Retz ont trop fait connaître [18]. Enfin un second mariage de son père lui donna pour belle-mère, en 1628, Marie de Bretagne, fille du comte de Vertus, une des femmes les plus belles et les plus décriées de son temps [19].
Marie de Rohan naquit presque avec le XVIIe siècle, en décembre 1600; elle perdit sa mère étant encore en très-bas âge, et à moins de dix-sept ans, en septembre 1617, on lui fit épouser celui qui devait s'appeler bientôt le duc et connétable de Luynes.
Que faut-il penser de ce personnage si célèbre et si peu connu, auquel fut d'abord unie la destinée de Marie de Rohan? Luynes n'est-il qu'un favori vulgaire, comme le maréchal d'Ancre qu'il a renversé, ou ses talents ont-ils fait une partie considérable de sa fortune? Son pouvoir a-t-il été utile ou funeste à la France? Problème aussi intéressant que difficile, qui attend encore un sérieux examen.
La passion a parlé d'abord avec son empire accoutumé, et le préjugé a docilement suivi. L'Histoire de la mère et du fils [20], attribuée à un contemporain véridique, a fait l'opinion générale, et, sur ces peintures si vives et en apparence si fidèles, il a été reçu et il est resté à peu près établi que l'élévation de Luynes vient du caprice d'un roi presque enfant, qui prend un de ses pages, un petit gentilhomme, pour en faire un premier ministre, parce qu'il le trouve habile dans l'art de la chasse aux oiseaux. Mais on sait aujourd'hui que l'Histoire de la mère et du fils n'est point de Mézerai, mais de Richelieu; c'est le commencement même de ses mémoires, si précieux, si admirables à tant d'égards, mais destinés, comme tous les mémoires, à tromper la postérité au profit de leur auteur. Or, Richelieu avait bien des raisons de haïr Luynes: c'est Luynes qui, en 1617, détruisit le cabinet dont l'évêque de Luçon faisait partie, et c'est lui encore qui, à la fin de l'année 1620, malgré la cour habile que lui fit l'ambitieux évêque, ne se laissant pas séduire à l'apparence, l'empêcha d'être cardinal et arrêta quelque temps sa fortune. Aussi Richelieu, dont les rancunes étaient implacables, et qui joignait toutes les petitesses de la vanité à toutes les grandeurs de l'ambition et de l'orgueil, s'applique partout à rabaisser Luynes: il passe le bien sous silence; il met le mal en relief avec un soin, avec un art qui nulle part dans les mémoires n'est aussi sensible; et, singulier aveuglement de la haine, il va jusqu'à lui reprocher précisément ce que plus tard il a fait lui-même et ce qui le place si haut dans l'histoire.
Richelieu, dans son second ministère, a poursuivi avec une vigueur incomparable, et avec un succès souvent acheté bien cher, trois grands objets: 1o la suprématie du pouvoir royal, au-dessus de cette république féodale de grands seigneurs qui divisaient, opprimaient, dévoraient la France; 2o l'abaissement de la maison d'Autriche qui depuis Charles-Quint affectait la domination de l'Europe; 3o la soumission politique et militaire des protestants, dont il fallait assurément respecter la liberté religieuse, mais en les empêchant de former un État dans l'État, et d'occuper des places fortes où l'autorité publique ne pénétrait point, et d'où ils pouvaient fomenter impunément des troubles et donner la main à l'étranger. Mais cette grande entreprise, d'où peu à peu est sortie la France nouvelle, ce n'est pas Richelieu qui le premier l'a conçue, comme il le dit et comme il a fini par le persuader, c'est Henri IV; et après Henri IV, celui qui l'a reprise et servie, avec plus ou moins de génie et d'éclat, c'est incontestablement Luynes, tandis que Richelieu a commencé par servir le parti contraire, sous le maréchal d'Ancre et sous la reine mère, dont il fut d'abord le courtisan et le favori avant d'en devenir l'ennemi irréconciliable.
Le grand roi avait à peine fermé les yeux que ses desseins étaient oubliés et que sa veuve, la régente, Marie de Médicis, embrassait une politique toute différente. Henri IV s'était déclaré le protecteur de l'indépendance de l'Italie, et par conséquent l'allié du Piémont, de Venise et de Mantoue, que convoitait l'ambition espagnole, déjà maîtresse de Naples et du Milanais. Marie de Médicis laissa l'Espagne entrer, d'un côté, dans le Montferrat, qui appartenait alors au duc de Mantoue, et même franchir la frontière piémontaise, et de l'autre, chercher querelle à Venise, protéger contre elles les Uscoques, ces pirates de l'Adriatique, et faire effort pour s'emparer de la Valteline, afin de s'ouvrir une libre communication entre ses possessions d'Italie et ses possessions d'Allemagne. Henri IV, pour unir plus étroitement le Piémont et l'Angleterre à la France, voulait donner une de ses filles au prince de Piémont et une autre au prince de Galles. Marie de Médicis, se faisant tout espagnole, maria, le même jour, sa fille aînée avec l'infant d'Espagne, qui devint bientôt Philippe IV, et Louis XIII avec Anne d'Autriche. Quiconque voulait plaire à la régente et à son favori Concini célébrait l'alliance espagnole et les mariages qui semblaient la sceller à jamais, et nul ne l'a plus vantée que ce même Richelieu, qui devait lui porter le coup mortel. Dans ses mémoires, il se défend avec chaleur d'avoir jamais été partisan de l'Espagne. Il avait donc oublié la Harangue prononcée en la salle du Petit-Bourbon, le 23 février 1615, à la clôture des Estats tenus à Paris, par révérend père en Dieu, messire Armand-Jean du Plessis de Richelieu, évesque de Luçon [21]. Richelieu y félicite le roi d'avoir, tout majeur qu'il était, «remis les rênes de ce grand empire en la main de la reyne, sa mère, afin qu'elle eût pour quelque temps la conduite de son Estat.» «L'Espagne et la France, dit-il, n'ont rien à craindre estant unies, puisque estant séparées elles ne peuvent recevoir de mal que d'elles-mêmes.» Et, s'adressant à la reine mère, il lui dit: «La France se reconnoist, madame, obligée à vous départir tous les honneurs qui s'accordoient anciennement aux conservateurs de la paix et de la tranquillité publique.» Vains compliments! au lieu de jouir de la paix, la France allait revoir les horreurs de la guerre civile. Les grands, n'étant plus contenus par une main ferme, renouvelaient leurs vieilles prétentions et devançaient la Fronde. Les protestants redoublaient d'audace, et, s'appuyant sur eux, Henri de Bourbon, prince de Condé, reprenait ses rêves de régence: on était forcé d'en venir à cette extrémité d'arrêter et de mettre à la Bastille le premier prince du sang. Pendant ce temps, l'évêque de Luçon, grâce à ses adroites flatteries, était devenu secrétaire des commandements de la reine mère et grand aumônier de la jeune reine, infante d'Espagne; de là, en caressant le maréchal d'Ancre et le parti espagnol, il s'était fait nommer ambassadeur auprès du cabinet de Madrid, nomination considérée comme un triomphe par l'ambassadeur d'Espagne, duc de Monteleone [22], mais qui resta sans effet, parce que bientôt après, en novembre 1616, à l'aide de ses deux amis, le garde des sceaux Mangot et Barbin surintendant des finances, et par la protection déclarée du tout-puissant favori, Richelieu entra dans le ministère, au poste de secrétaire d'État des affaires étrangères. Il y mit sa haute capacité au service des passions régnantes.
La scène change à l'avénement de Luynes. Loin de retenir son jeune maître dans les amusements vulgaires auxquels jusque-là on l'avait abandonné, Luynes l'exhorte à s'occuper du gouvernement et à faire son métier de roi. Il tire de leur disgrâce les vieux ministres d'Henri IV, et avec eux il remet en honneur les maximes du grand roi et les fait prévaloir peu à peu, au dedans et au dehors, par ce mélange de finesse, de douceur, et, au besoin, de résolution qui est le trait de son caractère. Sans rompre avec l'Espagne, Luynes s'en dégage; il renoue avec l'Angleterre et reprend en main la cause de l'indépendance italienne; il resserre notre alliance avec Venise et avec le Piémont, marie la seconde sœur du roi avec Victor-Amédée et négocie l'union de la troisième avec le prince de Galles. Il tient quelque temps la reine mère éloignée de la cour et des affaires sans rigueurs inutiles, puis il l'y ramène après l'avoir deux fois vaincue. Tour à tour, il s'accommode avec les grands et leur fait la guerre. Il incorpore à la monarchie, range à nos institutions et à nos lois le Béarn et la Navarre. Enfin, c'est en poursuivant avec une énergie et une constance, que la fortune n'a point couronnées, la juste répression des protestants révoltés contre les prescriptions les plus formelles de l'édit de Nantes, c'est à la suite du siége de Montauban, précurseur de celui de La Rochelle, que Luynes a succombé, donnant son sang pour frayer la route au succès d'un autre. Il a donc été, dans la mesure de son génie et des circonstances, le restaurateur de la politique d'Henri IV et le prédécesseur inégal et incomplet de Richelieu. Tel est, à nos yeux, le titre de Luynes à l'estime de la patrie, et ce titre-là, toutes les attaques intéressées du grand cardinal, tous les pamphlets, sérieux ou frivoles, ni même bien des fautes et de grands défauts ne l'effaceront point [23].
D'ailleurs, il ne faut pas s'imaginer que Luynes soit parti d'aussi bas qu'on le dit pour arriver en un jour à ce pouvoir presque souverain qu'il a exercé pendant cinq années.
Sans examiner les généalogies vraies ou fausses que des dictionnaires complaisants, et même le Père Anselme et Moreri, donnent aux Luynes, et en ne remontant pas au delà du père de celui qui nous intéresse, on ne peut nier qu'Honoré d'Albert de Luynes n'ait fait bonne figure sous Henri III et sous Henri IV. Il se signala par son courage dans toutes les guerres du temps, et se fit un nom parmi les plus braves: on l'appelait le capitaine Luynes. Compromis, à tort ou à raison, dans l'affaire de La Mole et de Coconas, et offensé des propos que tenait à ce sujet un officier de la garde écossaise, célèbre par ses succès dans les combats particuliers, il le provoqua, et c'est en cette circonstance qu'eut lieu, en champ clos, au bois de Vincennes, en présence de Henri III et de toute la cour, le dernier duel que les rois aient autorisé. Luynes en sortit vainqueur. Dès que parut Henri IV, il s'attacha à sa fortune et lui rendit des services qui furent récompensés par le gouvernement d'une place forte alors importante et considérée comme une des clefs du Midi, le Pont-Saint-Esprit. Il s'était marié à une personne d'une bonne famille du Comtat, et joignit ainsi à sa très petite seigneurie de Luynes, en Provence, entre Aix et Marseille, deux autres seigneuries du Comtat, tout aussi médiocres, Cadenet et Brantes. Il eut trois fils qui prirent les noms de ces trois terres, et quatre filles, dont une a été religieuse et les trois autres ont fait d'assez beaux mariages. Le capitaine Luynes mourut en 1592. Son fils aîné, Charles d'Albert de Luynes, né le 5 août 1578, commença très-vraisemblablement par être page du comte du Lude, François de Daillon, sénéchal d'Anjou, le grand-père d'Henri de Daillon fait duc par Louis XIV et grand maître de l'artillerie. Il attira près de lui ses deux frères Cadenet et Brantes, et, sous les auspices de ce grand seigneur, ils passèrent ensemble au service du roi Henri IV, qui les mit auprès du petit Dauphin. Une fois là, les trois frères se poussèrent. On estimait particulièrement en eux la tendre amitié qui les unissait. Ils vivaient d'une pension de douze cents écus que l'aîné tenait du roi. Ils étaient bien faits, adroits dans tous les exercices, de manières distinguées, et empressés à plaire. Charles d'Albert surtout, sans être d'une beauté régulière, avait une figure si aimable qu'on disait de lui, comme de Henri de Guise, que pour le haïr il fallait ne pas le voir. Il s'insinua dans les bonnes grâces du jeune prince en le servant dans ses jeux et dans ses goûts, et en dressant à son usage des oiseaux de proie, alors peu connus, nommés pies-grièches, qui fondaient sur les petits oiseaux et les rapportaient à leur maître. L'inclination née de ces puérils amusements se fortifia avec l'âge et s'étendit à toutes choses. Luynes était discret, modeste, très-poli et très-fin. Sa faveur innocente n'inquiéta d'abord personne: il en profita, et sa fortune grandit vite. Avant 1617, il était déjà conseiller d'État, gentilhomme ordinaire de la chambre, gouverneur de la ville et du château d'Amboise en Touraine, et capitaine du château des Tuileries. En 1615, il avait été envoyé sur la frontière d'Espagne, au-devant d'Anne d'Autriche, pour lui remettre la première lettre du jeune roi, et le 30 octobre 1616 il acquit la charge importante de grand fauconnier de France.
Compagnon assidu de Louis XIII, Luynes recevait souvent, dans leurs longs entretiens, les douloureux épanchements de cette âme mélancolique, de cet esprit inquiet, soupçonneux, jaloux, né pour se tourmenter lui-même, et qui alors se faisait une peine et une injure de la domination de sa mère et de celle du maréchal d'Ancre. Il y avait en Louis XIII, à côté de tous ses défauts, des instincts de roi dignes de son père Henri IV, et il s'indignait de voir un étranger incapable usurper le gouvernement de son État, tandis qu'on le reléguait dans un coin du Louvre. Il souffrait encore d'une autre blessure plus secrète et plus vive. Marie de Médicis avait trop laissé paraître la préférence qu'elle éprouvait pour son second fils, Gaston, duc d'Anjou, depuis duc d'Orléans, qui était, en effet, un très-gracieux et aimable enfant. Cette injuste préférence mit de bonne heure dans le cœur du jeune roi un sentiment qu'il ne s'avoua jamais bien à lui-même, que le temps n'éteignit point, et qui a été le ressort caché de bien des événements. Le roi se plaignit donc à son confident du jour de la tyrannie de Concini, comme, plus tard, Baradat, Saint-Simon, Cinq-Mars, Mlle de Lafayette et Mme d'Hautefort l'entendirent se plaindre de la tyrannie de Richelieu. Peu à peu le dévouement et l'ambition suggérèrent à Luynes la pensée de servir son royal ami et de se servir lui-même en brisant le joug qui leur pesait à l'un et à l'autre. Mais le fin courtisan mit un masque sur sa pensée, et s'appliqua à prévenir ou à désarmer les soupçons de Marie de Médicis en l'accablant de protestations de zèle. On dit pourtant que l'Italien entrevit le danger et que Luynes ne fit guère que frapper le premier. Quoi qu'il en soit, il est impossible de ne pas reconnaître qu'il fallait une énergie peu commune pour former une semblable entreprise et jouer sa tête sur la parole d'un roi de seize ans; comme il fallait assurément une habileté profonde et une prudence consommée pour dérober cette conspiration à la vigilance de ministres tels que Barbin, Mangot et Richelieu, saisir le juste moment de l'exécution, pendant que le maréchal d'Ancre envoyait toutes ses forces contre les grands seigneurs partout révoltés, concerter et arrêter le plan de la terrible journée du 24 avril 1617, préparer et assurer le lendemain, fonder un gouvernement. Luynes avait alors trente-neuf ans.
Il hérita de celui qu'il venait de renverser. A toutes les charges qu'il possédait déjà, il ajouta celles du maréchal d'Ancre; il eut aussi, comme on disait alors, la confiscation du maréchal, c'est-à-dire sa fortune et celle de sa femme presque entière, accessoire accoutumé du succès dans les mœurs du temps [24]; et quand, le lendemain de la conspiration victorieuse, il songea à s'affermir par un grand mariage, il avait le choix des plus illustres alliances. Louis XIII voulait lui faire épouser Mlle de Vendôme, fille d'Henri IV et de Gabrielle d'Estrées, la sœur du duc César de Vendôme et du grand prieur, la nièce du marquis de Cœuvres, le futur duc et maréchal d'Estrées [25]; et l'ambitieuse famille ne demandait pas mieux que d'acquérir à ce prix le favori du roi. Mais Luynes craignit de s'engager dans le parti des Vendôme et de se donner des beaux-frères qui voudraient le dominer et se servir de lui au lieu de le servir. Par le même motif, il déclina la main d'une autre fille d'Henri IV, Mlle de Verneuil, n'entendant pas se laisser entraîner dans les orgueilleuses prétentions et les ténébreuses intrigues de sa mère, Henriette de Balzac d'Entragues. On lui proposa encore une des plus riches héritières de France, la fille unique de Philibert-Emmanuel d'Ailli, vidame d'Amiens [26]. Il préféra Mlle de Montbazon, très-riche assurément et de grande qualité, dont le père occupait une haute charge de cour et pouvait être à son gendre un appui considérable, en même temps que la facilité de son humeur et un esprit sensé mais médiocre le devaient rendre un instrument sûr et docile. Il n'était pas besoin aussi de la finesse et de la pénétration de Luynes pour comprendre de quel secours lui serait dans tous ses desseins une jeune femme qui unissait déjà tant d'intelligence à tant de beauté. Comme nous l'avons dit, il avait alors trente-neuf ans, et Mlle de Montbazon n'en avait pas dix-sept; mais, outre qu'il était d'une figure encore très-agréable, d'une douceur et d'une politesse accomplies, il venait de braver de grands périls pour monter à un poste où il allait en trouver de tout aussi grands. Il y avait là de quoi toucher le cœur de la belle Marie, et leur union fut parfaitement heureuse [27]. Ils se convenaient par le contraste même de leurs caractères, l'une vive et impétueuse, l'autre réfléchi et circonspect jusqu'à l'apparence de l'incertitude. Luynes se complut à la former; il lui donna les premières leçons de la politique du temps qui ne connaissait point les scrupules et se composait surtout d'intrigue et d'audace. Marie de Rohan profita vite à cette école. Selon la nature ardente et dévouée que nous lui avons reconnue, elle mit au service de celui qu'elle aimait tout ce qu'il y avait en elle de grâces engageantes et de ferme courage. Luynes l'initia à tous ses secrets, la mit de moitié dans tous ses desseins et se gouverna par ses conseils. Un témoin contemporain très-bien informé assure qu'elle exerçait sur son mari un grand empire [28].
Le premier intérêt du favori de Louis XIII était de garder le cœur du roi pour lui et les siens, et de s'emparer aussi de la confiance de la reine Anne, afin d'être maître assuré de toute la cour. Il y introduisit donc sa jeune femme en lui donnant pour instruction de s'appliquer à gagner les bonnes grâces de la reine et du roi. Elle y réussit à merveille, et en décembre 1618, elle fut nommée surintendante de la maison d'Anne d'Autriche à la place de la connétable de Montmorenci. Anne et celle qui était chargée de la conduire étaient à peu près du même âge et dans la première fleur de la jeunesse; elles se lièrent aisément, et plus tard nous verrons cette amitié grandir et résister à bien des épreuves. Mais il y eut d'abord un léger nuage entre les deux amies. Soit que la belle surintendante eût un peu trop suivi les instructions de son mari et employé trop habilement les manœuvres de la coquetterie pour plaire au roi, soit plutôt que celui-ci voulût être agréable à Luynes en montrant à sa femme les attentions les plus flatteuses, la reine qui était Espagnole et jalouse, en conçut un chagrin qui ne céda qu'aux plus vives démonstrations de la tendresse du roi et à l'évidente innocence de ses relations avec la séduisante duchesse. En effet, loin de séparer les deux époux, Luynes et sa femme s'appliquèrent à les rapprocher, et c'est même Luynes qui, se prévalant de sa familiarité avec Louis XIII, osa lui faire une sorte de violence pour triompher de sa timidité et de sa froideur naturelle [29]. Depuis, Anne d'Autriche et Marie de Rohan redoublèrent d'affection l'une pour l'autre, et la duchesse de Luynes devint tout aussi chère à la reine que son mari l'était au roi.
L'année 1621 vit le terme des prospérités et de la carrière de Luynes: il périt le 14 décembre devant Monheur, après avoir été forcé de lever le siége de Montauban, dans cette fameuse campagne, si bien commencée, si mal terminée, où le nouveau connétable, fier de ses premiers succès, s'obstina à continuer la guerre, dans une saison défavorable, contre les protestants admirablement retranchés, commandés par des chefs habiles et se battant avec l'énergie du désespoir. Il laissait une fille, morte assez tard sans alliance dans la plus haute dévotion, avec un fils né en 1620 sous les plus heureux auspices, pendant le plus grand éclat de la faveur de son père, et en présence de la jeune reine, qui n'avait pas voulu quitter un moment son amie [30] tant qu'avait duré le travail de l'accouchement. Le roi avait été le parrain de cet enfant. Louis-Charles d'Albert, second duc de Luynes, sans être ni militaire ni politique, porta fort bien son nom, s'honora par sa généreuse amitié pour les solitaires de Port-Royal, traduisit en français les Méditations de Descartes, et écrivit, sous le nom de M. de Laval, d'estimables livres de piété. Il eut pour fils ce vertueux ami de Fénelon et de Beauvilliers, dont les descendants ont dignement continué, dans les armes et dans l'Église, l'illustre maison jusqu'au duc actuel qui n'en est pas le moindre ornement.
La duchesse et connétable de Luynes épousa en secondes noces, à la fin de l'année 1622, Claude de Lorraine, duc de Chevreuse, un des fils de Henri de Guise, grand chambellan de France, dont le plus grand mérite était celui de son nom, accompagné de la bonne mine et de la vaillance qui ne pouvaient manquer à un prince de la maison de Lorraine; d'ailleurs de peu de capacité, sans nul ordre dans ses affaires et bien peu édifiant dans ses mœurs, ce qui explique et atténue les torts de sa femme. De ce nouveau mariage il ne sortit que des filles. Deux furent religieuses: l'une, Anne-Marie, naquit à Londres en 1625, et mourut en 1652, abbesse du Pont-aux-Dames; l'autre, Henriette de Lorraine, née en 1631, devint abbesse de Jouarre, dans le diocèse de Meaux, eut d'assez vives contestations avec Bossuet, son évêque, sur l'étendue du pouvoir des abbesses, puis déposant volontairement la dignité pour laquelle elle avait combattu, se retira à Port-Royal où elle termina sa vie en 1693 [31]. La troisième est cette belle Mlle de Chevreuse, Charlotte de Lorraine, née en 1627, morte sans alliance en 1652, qui a joué un rôle dans la Fronde, à côté de sa mère, eut la faiblesse d'écouter Retz, à ce que Retz nous assure, et qu'en récompense il n'a pas oublié de peindre en caricature pour divertir celle à laquelle il écrivait [32].
La duchesse de Luynes apporta à son second époux, entre autres avantages, le magnifique hôtel que le connétable avait fait bâtir à si grands frais dans la rue Saint-Thomas-du-Louvre, à côté de l'hôtel de Rambouillet, et qui devint successivement l'hôtel d'Épernon et l'hôtel de Longueville [33]. De son côté, le duc de Chevreuse fit entrer dans sa nouvelle famille, avec un second duché, un des châteaux que les Guise possédaient autour de Paris, le château de Dampierre, près de Chevreuse, si célèbre au XVIIe siècle, reconstruit au commencement du XVIIIe à la façon de Mansard, et qui aujourd'hui, encore embelli par un goût délicat, est une des plus nobles demeures que nous connaissions [34].