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III
MAGNÉTISME

Table des matières

Heureusement on arrivait.

Patient appela:–«Germaine!–Charlot!»– Avec précaution il déchargea son fardeau.

Germaine, sa fille, accourut; le vieux pâtour aux bœufs, Charlot, arriva.

Les sacs étaient tachés de sang, le blessé ne donnait plus signe de vie.

–«Je le crois mort, dit Patient.»

–«Mort! s’écria Germaine.»

Elle posa sa main au cœur. Elle regarda et écouta. Son œil était anxieux.–Un jet de fluide généreux se dégagea de je ne sais quelle couche magnétique ambiante et traversa. Germaine fut aveuglée.–Elle tourna vers son père un front animé, son regard réfléchit l’étincelle; elle dit, comme triomphant:

— «Père, non… Il vit!…»

–«Ah! Tant mieux, fit le vieillard, c’est un brave garçon; il a fait son devoir et me console de plusieurs.–Germaine, portons-le au lit de la petite chambre; il y aura chaud, nous le soignerons là.– A cette heure, ma fille, il faut, un petit, que chacun paye sa dette.»

On coucha le blessé dans la petite chambre. Patient repartit en hâte chercher le médecin à Montrésor, le chef-lieu voisin; Charlot retourna posément au travail.–Germaine se mit au chevet.

Et le blessé rouvrit les yeux.

Substance éthérée qui souffles des hauteurs en lumière et traverse la terre pour en chasser l’amertume; haleine épurée et toujours jeune dont les parfums réchauffent, enchantent, embrasent, enivrent et dilatent les âmes jusqu’à la fusion, jusqu’à la communion parfaite, jusqu’au mélange absolu dans les délices; quel cœur puissant, quelle poitrine, quelle bouche divine t’exhale.–Tu secoues les torpeurs, tu fixes l’inconstance, tu dissous les douleurs, tu écrases le mal, tu poétise la brute; pour les désespérés tu refais l’espérance; et, comme cette force du soleil qui pompe l’eau des ornières troublées, qui la distille et la balance en panaches de beautés et de bienfaits dans l’azur, toi, tu pénètres le sang, les veines et les entrailles, tu traverses en traits bienfaisants les sentiments de l’homme, tu les distilles, tu les épures, tu les ennoblis, tu les fais grands et les enlève en ton empirée bleu et doré,–que les poëtes, aux jours de génie, rêvent, entrevoient, et croient le ciel,–que deux jeunes cœurs qui s’unissent atteignent sans efforts, palpent, connaissent et nomment de son beau nom,–amour.

Sous ce premier regard, Germaine et le jeune homme s’aimèrent.

Il n’y eut plus de chambrette de cabane, plus d’humble couchette sur un plancher inégal et plus de douleurs étendues sur ce lit; plus de brise au dehors, plus d’éclats de la guerre, plus de hontes à la patrie:–il y eut un beau rêve.

Entre cet homme et cette jeune femme se passait un grand silence et dans ce silence deux cœurs illuminés battaient à l’unisson. Balzac, leur compatriote analyste, les eût entendus, il eût numéroté leurs battements. Eux, sans rien chiffrer, tout de même s’entendaient au mieux.

Les traits énergiques du jeune homme étaient fatigués et pâles, mais ses yeux perçants avaient retrempé leur éclat dans les sentiments nouveaux qui le modifiaient.

Germaine, debout, la bouche pure, le front grave, les paupières demi-fermées, semblait une Psyché du premier jet que l’atteinte du souffle inspiré entr’ouvre au vrai et initie. Ses joues étaient rosées comme celles des jeunes paysannes vouées aux soins d’intérieur et que les âpres travaux des champs n’ont point encore ternies. Sa taille moyenne, souple et riche de santé s’élevait comme une tige svelte, forte et gracieusement cambrée sous la puissance salubre d’un air libre. Quelques touffes chastes de cheveux blonds, échappées aux efforts discrets de sa cornette campagnarde, protestaient contre un emprisonnement inique et à peu près impuissant.

Le jeune blessé laissait errer ses regards parmi les égarements de ces touffes blondes sur les tempes; les tempes s’agitaient, les cheveux caressaient, et, par delà, ouvraient une porte sur des trésors.

Les enchantements de cette pause harmonieuse se prolongèrent.

Plus fort, plus dur aux émotions, le jeune homme les rompit.–Il dit:–«Durant la route que m’a ’fait suivre votre père, j’ai lutté longtemps. Je me suis senti défaillir; puis je n’ai plus souffert. J’étais vaguement bercé par d’étonnantes et douces visions: ces visions grandissaient, se rapetissaient, puis s’allongeaient encore selon des cercles bizarres; elles m’oppressaient, mais j’entendais presque ce que vous faisiez autour de moi. Vous m’avez transporté, vous m’avez soigné; je croyais être heureux. . . . . Je ne souffre plus. . . . . Que vous êtes bons!»

Il voulut tendre sa main.–Germaine se précipita pour couvrir cette main et la retenir, et ce fut cette main qui retint la sienne.

A cette étreinte, Germaine sentit, à la tête, une grande lourdeur, délicieuse mais maîtrisante. Elle se laissa tomber sur une chaise et crut défaillir elle-même. Elle pensa porter la main à sa tête, mais sa main lui parut engagée.

Sa faiblesse lui rappela celle du blessé. Elle dit:– «Vous souffrez?»

Le blessé dit:–«Oh! non.»

Oh! non était une ode. Il fut interprété:–Je ne saurais plus souffrir; n’êtes-vous pas là, le baume, le bienfait, la guérison?–Imaginations heureuses! –Ce mot fut musical, harmonieux comme un concert de rêverie.

Harmonies des Lamartine, tendres mélodies d’Auber, vous pouvez charmer d’autres théâtres, jamais une note de vos enivrements apprêtés ne fut portée, vers ces chaumières, par les vents âpres qui, uniquement, se plaisent aux bruissements des grands arbres; –Mais jamais vous n’égalâtes les moelleuses et berçantes imaginations que la nature, simplement, fit jaillir, en cet instant, du sein de cette jeune fille pure.

Germaine n’essaya pas de tirer sa main. Irrévocablement sa main lui semblait engagée, comme l’ancre en cet océan nouveau.

De l’autre main elle prit un morceau de sucre, le trempa dans un verre préparé là, et le tendit aux lèvres du malade.–Le malade, les yeux fixés, noyés dans l’idéal, but longuement et silencieusement l’ambroisie.

Dans ce cadre étroit de la chambrette se résumaient: les vertus d’intérieur, la production, le travail, troublés, dans leur calme nécessaire, par les plus violentes agitations des combats.–Deux termes d’une proposition redoutable:–d’un côté, l’innocence et la paix menacées;–d’autre, la victime d’une protection inefficace abattue; et par delà, vers St-Aignan, profond dans un horizon sombre, l’ennemi.

Au dehors, la neige, fouettée par la bise, glaçait; –le chirurgien approchait avec ses scalpels d’acier.

Au dedans, un tableau suave, simple, calme: une fillette, aimante et chaste, tenait un morceau de sucre aux lèvres d’un heureux. Et, pour ce ciel, tout était oublié.

Opuissance! ô bienfaits de l’amour!–Aux meurtrissures de tes angles, ô vie! partout il faudrait ce coussin.

Le sucre achevé, Germaine doucement retira sa main. Le bout des doigts était humide.–Du sucre ou des lèvres?…

Lentement le malade interrogea:–«Votre nom?»

Elle répondit:–«Germaine.»

–«Merci, dit-il.»

Puis un très long silence.

Germaine le rompit.

D’une voix très faible, elle dit:–«Et le vôtre?»

Lui répondit:–«Germain.»

Germaine poussa un léger cri:–«Ah!»

L’enfant candide s’expliquait une coïncidence de noms, conforme aux usages locaux, par un trait d’union prédestiné.

Elle fut plus heureuse encore.

Joies éphémères! La réaction était proche.

Le dégrossi

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