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PRÉFACE

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Le duc de Parisis, qui était fort beau, portait dans sa figure la marque de la fatalité. Toutes les femmes qui l'ont aimé ressentaient toutes dans le coeur, aux meilleurs jours de leur passion, je ne sais quelle secrète épouvante. Aussi plus d'une confessait qu'à certaines heures elles croyaient sentir les étreintes du diable quand elles se jetaient dans ses bras.

A chaque période, à Paris surtout, depuis que Paris est la capitale des passions, un homme s'est révélé qui prenait—presque toutes les femmes—pour les aimer un jour et pour les rejeter hors de sa vie, toutes brisées, dans les larmes éternelles, ne pouvant vaincre cet amour tyrannique qui déchirait leur coeur et ensevelissait leur âme.

Jean-Octave, duc de Parisis, fut cet homme dans la plus belle période du second empire; aussi fut-il surnommé don Juan par les femmes de la cour, par les demi-mondaines et par les coquines.

Il était si bien admis qu'il faisait le massacre des coeurs que beaucoup de femmes se fussent trouvées ridicules de ne pas se donner à lui quand il voulait bien les prendre. C'était la mode d'être sa victime; or, Paris est par excellence le pays de la mode.

Beaucoup de femmes du monde ont porté ses armes—un petit poignard d'or qu'il fichait dans leur chevelure,—quelques-unes s'imaginaient que c'était une fiche de consolation, quelques autres que c'était un porte-bonheur.

Les courtisanes, au contraire, disaient tout haut que le duc de Parisis leur portait malheur. «Octave porte la guigne». Mais celles qui avaient le plus d'illusions ne furent pas longtemps à les perdre, car on s'aperçut bientôt que le duc de Parisis traînait avec lui la mort, la ruine, le désespoir. Qui eût jamais dit cela en le voyant si gai en son perpétuel sourire armé de raillerie?

La Fatalité, cette divinité des anciens, n'a pas d'autels parmi nous, mais si on ne lui sacrifie pas des colombes elle n'en est pas moins vivante, impérieuse, terrible, vengeresse, toujours déesse du mal.

Elle est invisible, mais on la pressent comme on pressent l'orage et la tempête.

Et d'ailleurs elle a ses représentants visibles. Combien d'hommes ici-bas qui ne sont que les représentants de la fatalité! combien qui portent malheur sans avoir la conscience du mal qu'ils vont faire!

C'est que le monde vit par le mal comme par le bien. Dieu l'a voulu parce que Dieu a voulu que l'homme ne pût arriver au bien qu'en traversant le mal: ne faut-il pas que la vertu ait sa récompense? La vertu n'est pas seulement le don de ne pas mal faire comme le croient beaucoup de gens, c'est la force d'arriver au bien après avoir traversé tous les périls de la vie.

Ceux qui étaient à la surface sous le second empire ont tous connu le duc de Parisis: le comte d'Orsay comme M. de Morny, Kalil-Bey comme M. de Persigny, M. de Grammont-Caderousse comme M. Georges de Heckereen, le duc d'Aquaviva comme Antonio de Espeletta. Le règne de ce personnage, tragique dans sa comédie mondaine, fut bien éphémère. Il passa comme l'ouragan, mais son souvenir est vivant encore dans plus d'un coeur de femme qu'il a blessé mortellement. Ce n'était pas un coeur que cet homme, c'était un orgueil, c'était une soif de vivre par toutes les voluptés, c'était don Juan ressuscité pour finir plus mal que ses ancêtres, car on sait que tous les don Juan ont mal fini.

J'ai été plus d'une fois le compagnon d'aventures d'Octave de Parisis, j'ai vécu avec ce viveur chez moi et chez lui dans l'intimité la plus cordiale: je veux donc conter son histoire que je connais bien. Il y a certes plus d'un chapitre qu'il me faudrait écrire en hébreu pour les jeunes filles, mais pourtant ce livre portera sa moralité; je pourrais même écrire sur la première page, à l'inverse de Jean-Jacques Rousseau sur la Nouvelle Héloïse: Toute femme qui lira ce livre est une femme sauvée.

Je passe avec respect devant toutes les femmes qui ont bravé la passion; j'étudie avec sympathie les coeurs vaincus, qui me rappellent cette épitaphe d'une grande dame au Père Lachaise: «PAUVRE FEMME QUE JE SUIS!» Son nom? Point de nom. C'est une femme.

Si je n'ai pas raconté l'histoire des grandes dames vertueuses, c'est que les femmes vertueuses n'ont pas d'histoire.

Il n'y a plus de grandes dames, disent les petites dames; le catéchisme de 1789 a barbouillé les marges du livre héraldique; la dernière duchesse, si elle n'est pas morte déjà, reçoit le viatique dans le dernier château de la Normandie ou dans le dernier hôtel du faubourg Saint-Germain. Il n'y a donc plus de grandes dames, il n'y a plus que des femmes comme il faut.»

Il serait plus juste de dire: Il n'y a pas de grandes dames ni de femmes comme il faut: il y a des femmes. Selon Balzac, «le XIXe siècle n'a plus de ces belles fleurs féminines qui ont orné les plus belles périodes de la monarchie française.» Et il ajoutait avec plus d'esprit que de vérité: «L'éventail de la grande dame est brisé; la femme n'a plus à rougir, à chuchoter, à médire, l'éventail ne sert plus qu'à s'éventer.» Balzac découronnait ainsi la femme d'un trait de plume; un peu plus il la rejetait dans l'humiliation de son ancien esclavage; ce qui n'empêchait pas Balzac de mettre en scène les grandes dames de son imagination.

Où commence la grande dame? où finit-elle? La grande dame commence toujours dans l'aristocratie de race, qui est son vrai pays natal; mais s'il lui manque la grâce presqu'aussi belle que la beauté, elle est dépossédée; elle n'est plus qu'une femme du monde. Il serait trop commode d'être une grande dame parce qu'on est la fille d'une grande dame, sans avoir toutes les vertus de son emploi. De même qu'il serait trop cruel de naître avec tous les dons de la beauté, de la grâce, de l'esprit, sans devenir une grande dame, parce qu'on ne serait pas la fille d'une duchesse ni même d'une baronne.

Il y a donc des grandes dames partout, depuis le faubourg

Saint-Germain jusqu'au faubourg du Temple.

Mais comment la plébéienne qui naît grande dame prendra-t-elle sa place au soleil? Par le hasard des choses; peut-être lui faudra-t-il traverser le luxe des courtisanes; mais, un jour ou l'autre, si elle le veut bien, elle écartèlera d'argent sur champ de gueules. C'est l'amour qui la remettra dans son chemin, ce sera une grande dame de la main gauche, mais ce sera une grande dame. Quand Mlle Rachel entrait dans un salon, c'était une grande dame; combien de princesses qui venaient à sa suite, et qui ne semblaient que des princesses de théâtre!

La grande dame finit où commence la femme comme il faut, qui elle-même finit où commence le demi-monde.

On naît grande dame comme on naît poète; mais, pour cela, il ne faut pas toujours naître d'une patricienne. Il faut bien laisser à la création ses imprévus et ses transfigurations; il faut bien que la nature donne de perpétuelles leçons à l'orgueil humain. Les grandes dames sont presque toujours des filles de race; mais quelques-unes pourtant, nées plébéiennes, lèvent leur épi d'or de pur froment au milieu du champ de seigle.

Les anciennes aristocraties ont gardé le privilège de faire les grandes dames. Les nouvelles en font aussi, mais avec plus d'alliage. Ce n'est pas à la première génération que la race s'accuse; elle resplendit à la seconde; souvent, à la troisième, elle se perd. C'est l'histoire de ces vins, rudes à la première période, exquis à la seconde, et qui vont se dépouillant trop vite à la troisième. C'est la loi de l'humanité, comme c'est la loi de la nature.

Dieu lui-même ne crée pas un chef-d'oeuvre du premier coup; il commence, comme tous les artistes, par l'ébauche.

Voilà pourquoi la grande dame est un oiseau rare. Où est le merle blanc? Les familles qui ont fait leur temps n'ont plus le privilège de frapper leur marque; elles se sont étiolées, comme les plus belles fleurs qui ne donnent plus que des tiges pâlies, où la sève s'épuise. Toutes les forces de la création, dans son action la plus divine, n'arrivent pas à créer dans le monde entier cent grandes dames par an. Et combien qui meurent petites filles! Et combien qui font l'école buissonnière avant d'arriver à la beauté souveraine du corps et de l'âme!

Les grandes dames

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