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COMMENT LE PETIT PRINCE QUITTA LE CHATEAU DE SES PÈRES

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Le lendemain, en s'éveillant, Dieudonat, qui habitait la tour du Nord, mit le nez à sa fenêtre, pour voir le matin, et tout de suite il aperçut, sous les machicoulis, le long corps de son gouverneur qui pendait au bout d'une corde; il fut profondément ému, car les sentiments de commisération lui venaient toujours les premiers, et il pleura ce compagnon de toutes ses heures. Ensuite, il s'étonna qu'un si digne ecclésiastique eût été condamné à mort, et se demanda quel crime il avait pu commettre; finalement il songea que toute créature vivante est, par définition, une créature faillible, et que sans doute dom Ambrosius avait failli tout comme un autre.

Donc, il alla s'enquérir de la faute, auprès du bon seigneur son père, et sa stupéfaction devint plus considérable que jamais quand il apprit que le précepteur expiait entre deux créneaux les égarements du disciple; il estima et déclara sans hésiter que la justice ducale s'était trompée d'adresse, et que logiquement il conviendrait de dépendre l'aumônier, s'il était temps encore, afin de le pendre lui-même, et bien vite, à la place qui lui revenait de droit.

Il monta sur la plate-forme, et peut-être il eût été pendu, puisque tous ses vœux s'exauçaient; mais le prêtre avait trépassé la veille au soir; une seconde exécution n'aurait nullement réparé les torts de la première, et le prince se résigna au fait accompli, comme il avait coutume, étant déjà un sage. Il se contenta de décrocher lui-même et d'embrasser le vieil ami qui lui avait donné tant de calottes pour lui apprendre à penser comme tout le monde, et qui n'avait pas réussi.

En redescendant l'escalier de pierre, il méditait sur cette justice intempestive: force lui était de condamner ceux qui se permettent de condamner les autres, et qui osent retirer la vie, étant incapables de la rendre si par la suite ils s'aperçoivent qu'ils eussent mieux fait de ne pas y toucher.

Il vénérait et il aimait son père, ainsi que Dieu nous le prescrit au quatrième commandement, mais nulle vénération ne pouvait empêcher que ce père se fût montré inintelligent et féroce sans le savoir, c'est-à-dire à la manière des taureaux et des tigres, qui sont des bêtes. Il le déclara respectueusement à l'auteur de ses jours, et, dans la même phrase, avec des regards pleins de larmes et de tendresse, il lui promit que toujours il persisterait à le vénérer et à l'aimer tel que Dieu l'avait fait, c'est-à-dire semblable aux bêtes.

Le Duc, en entendant ces mots, entra dans une violente colère et fit jeter Dieudonat dans un cachot profond, très humide, où le prince continua de méditer dans la compagnie des rats.

Avant la fin du premier jour, il arrivait à conclure que le pouvoir est chose bien malséante aux hommes, qui doivent le craindre, plutôt que le désirer, puisqu'il multiplie les occasions d'erreur et de péché; pour demander à Dieu de lui épargner une telle mission, il se jetait à genoux, avec grand soin de ne pas écraser les rats, et il priait du fond de son âme.

Son vœu, naturellement, s'exauça, et voici comme. Au bout d'une semaine, Hardouin-le-Juste fit comparaître son hoir chargé de chaînes; il le somma de rétracter les propos qu'il avait tenus, et d'en demander pardon.

—Vous demander pardon, mon père, je le veux et de tout mon cœur, si j'ai pu vous chagriner en constatant la faiblesse de votre intelligence; rétracter ce que j'ai dit, je le fais de bien grand cœur aussi, mon père, si j'ai eu tort de dire ma pensée, alors que ma pensée était de nature à vous peiner, et s'il vaut mieux mentir que de chagriner ceux qu'on aime, comme je le crois.

—Ainsi, misérable avorton, dire que je ne suis pas une bête, c'est mentir?

—Ce mensonge, ô mon père, je suis prêt à le faire pour vous, et à assumer le remords de ce péché, tant je vous aime et vénère; car je crois bien que, dans le perpétuel conflit de nos devoirs incompatibles, les devoirs qui passent les premiers et qui excluent les autres, ô mon père, sont les devoirs d'amour.

Le Duc sauta sur son trône, et vint en personne souffleter l'héritier d'une longue race; même, son indignation était si violente que, au moment du soufflet, il oublia d'ouvrir la main: cette simple distraction avait suffi à faire, de la main paternelle, un poing.

—Un poing, c'est tout, fit Dieudonat.

Presque aussitôt, il sentit une dent qui errait sur sa langue, comme une pastille; il la retira entre le pouce et l'index et dit:

—Je suis bien content, mon père, car dom Ambrosius eut la coutume de me frapper la joue chaque fois que j'avais raisonné juste, et je dois avoir aujourd'hui raisonné mieux qu'à l'ordinaire, car vous frappez plus fort que dom Ambrosius, mon père.

—Exécrable insolent, tu n'auras pas ma couronne! Je te déshérite!

—Vous comblez mes vœux, ô mon père, en m'accordant en échange du périlleux diadème, la sérénité de mes jours à venir.

—Excrément de la terre, sors d'ici! Je te chasse!

—Soyez béni, mon père, pour ce mot qui fait de moi un homme libre.

—Libre! Je t'enfermerai dans un couvent!

—Je n'y fais aucune objection, mon père, car, aussi bien, vous n'enfermerez que mon corps; depuis une semaine que je suis en prison, je sais ceci, mon père: l'esprit voyage d'autant plus loin que le corps reste plus tranquille. Enfermez-moi, pour que ma pensée soit libre.

—Hors de ma présence, vilain!

—Que Dieu vous ait en sa sainte garde et vous accorde longue vie, mon père.

—Dehors! Dehors!

—Ainsi soit-il.

La Duchesse eut beau supplier, se rouler à terre, tordre ses bras, s'écrier que son fils était fou et qu'il faut pardonner aux fous: le Duc resta inexorable.

Dieudonat fut emmené, sous bonne garde, et conduit au couvent de la Fortunade, qui était très loin dans la montagne. Pour y arriver, il fallut gravir et redescendre maint coteau, par des chemins frayés à peine entre des roches, et passer des torrents qui se ruaient au creux des gouffres. Le Prince n'avait rien vu de si beau. Les arbres inviolés grandissaient là depuis des siècles; des fleurs inconnues s'épanouissaient dans les recoins paisibles; le fond des précipices était bleu, et quand, le soir, on allumait un feu, la fumée montait, toute droite, vers le calme du ciel.

—Oh! le magnifique pays, imposant et pieux! Ne trouvez-vous pas, monsieur le capitaine, que ces montagnes, avec leurs cimes et leurs gorges, invitent l'âme à la prière?

—Silence!

—Et au silence, comme vous dites.

On pénétra dans le monastère. Le prieur reçut, en même temps que son hôte, la consigne de veiller à ce qu'il ne communiquât avec qui que ce fût, et la consigne ajoutait: «Par-dessus toutes choses et dans l'intérêt de nos États, il importe de ne pas révéler au Prince qu'il possède la faculté de faire réaliser ses vœux; le prieur et les moines en répondent sur leurs personnes.»

Afin de renforcer cet avis d'un argument qui eût toute la vigueur d'une menace, le Duc expédiait aux bons Pères la dépouille de son défunt aumônier et ami; il leur demandait de lui faire de dignes funérailles, comme il en avait fait une saine justice, et il les remerciait par avance.

Le vénérable abbé apprécia dans toute son étendue la portée de cette double requête, et prit ses mesures. Le trépassé eut un caveau, et le vivant une cellule.

Toutefois, afin de prémunir le néophyte contre les tentations de l'ennui, on l'autorisait à puiser à sa guise dans la bibliothèque du couvent, réputée comme la plus riche du monde entier, et qui contenait des milliers d'ouvrages.

Dieudonat: Roman

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