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VIII

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—Je ne suis pas marié; partant, je n'ai pas de fils. Si j'en avais un, je ne le ferais pas voyager, répondit l'homme. Pour moi, je n'irai jamais plus loin que Versailles, où je vais me retirer. J'y trouverai à coup sûr, une tente hospitalière, car j'ai dix mille francs de rente. Enfin, je ne suis pas un homme généreux; je suis marchand de porcelaines.

—Il n'est point de sot métier, dit sentencieusement Eusèbe Martin.

—Je vous ai fait entrer, continua le commerçant, parce que j'ai reconnu à votre accent que vous étiez un compatriote. Je suis de Rochechouart; je me nomme Lansade.

Martin fils raconta son voyage, et en détailla les motifs au marchand, qui ne les comprit pas.

—Ce que je vois de plus clair en tout ceci, c'est que M. Martin, votre papa—je l'ai bien connu—a voulu vous faire voir du pays. C'est bien naturel. Un jeune homme doit connaître la vie.

—C'est cela, dit le jeune homme.

—Seulement, continua Lansade, il aurait dû vous donner des lettres de recommandation pour quelques amis, qui se seraient fait un plaisir de vous piloter.

—Mon père n'a pas d'amis.

—Par le temps qui court, c'est une bonne chose. Cependant, on a toujours quelques connaissances; on ne peut pas vivre comme un ours.

—Mon père vit comme un philosophe.

—C'est la même chose, dit Lansade. Maintenant, puisque votre bonne étoile vous a conduit devant ma porte, je veux vous être utile. Prenez d'abord ces cartes où se trouve mon adresse; ne les égarez pas. Je vais fermer mon magasin et vous mener chez Mme Morin, une dame qui loue des chambres: c'est une brave femme, qui aura bien soin de vous. Je ne suis pas fâché de lui amener une pratique; je rendrai service à deux personnes.

—Vous êtes vraiment bon, monsieur, dit le jeune Martin; je ne puis vous dire combien je vous suis obligé.

—Il n'y a pas de quoi. Attendez que j'aie fermé mon magasin, et nous partirons.

—Voulez-vous que je vous aide? demanda Eusèbe.

—Par exemple, je n'ai que trois volets à placer. Voici tantôt vingt-cinq ans que je les mets le soir et les ôte le matin. Vous comprenez que j'ai eu le temps de m'y faire.

Lansade se mit à transporter un à un ses contrevents.

Eusèbe était un tout autre homme. Une heure dans une boutique lui avait suffi: il ne pensait plus.

Pourtant, au bout d'un instant, étonné de ne pas voir revenir le marchand, il s'avança sur le pas de la porte. Lansade regardait ses volets et paraissait atterré.

—Voilà encore une belle affaire! s'écriait-il. Canaille de Piérichou, brigand concussionnaire! Demain tu auras de mes nouvelles, filou!

—A qui en avez-vous? demanda Eusèbe.

—Mais à mon garçon de magasin donc! un fainéant que j'ai tiré de la misère. Figurez-vous que voilà quinze jours que j'ai fait repeindre ma devanture. Le peintre a oublié de numéroter les volets. Alors j'avais dit à Piérichou de les numéroter lui-même avec de l'encre. L'imbécile les a numérotés avec du blanc d'Espagne, et ce que j'avais prévu arrive: voilà un chiffre effacé.

—Qu'est-ce que cela fait?

—Vous êtes bon, vous, par exemple! cela fait que je ne sais plus comment faire. Si je mets le premier le dernier ou le second, ça n'ira pas, à cause des clavettes.

—Pardon, dit Eusèbe, voulez-vous me permettre?

—Quoi?

—Il n'y a qu'un numéro effacé?

—C'est bien assez.

—Voyez quels sont les deux qui restent et vous saurez celui qui manque.

—Tiens, c'est juste ça, dit Lansade. Vous n'êtes pas trop bête, vous!

Il ferma sa boutique, et, prenant son compatriote sous le bras, il le conduisit dans la cité Bergère.

—Mme Morin, lui dit-il en chemin, est une excellente femme. Elle a été légère dans le temps; mais je ne m'attache pas à ces choses-là, moi, je suis voltairien, comme votre papa. Je suis philosophe aussi à ma manière. Dans la partie, j'ose dire qu'on en voit encore peu qui me vaillent. Aussi, j'ai fait ma petite fortune.

On était arrivé. Lansade présenta Eusèbe, qui fut parfaitement accueilli par Mme Morin, et se retira.

—Avant qu'on vous montre votre chambre, dit la maîtresse de la maison, donnez-moi vos papiers, pour que je vous inscrive sur mon livre.

—Quels papiers? demanda le jeune homme, étonné.

—Mais vos papiers, ce n'est pas pour moi; vous pensez bien que du moment que c'est M. Lansade qui vous amène... mais c'est pour la police.

Au mot de police, Eusèbe se rappela la scène du commissaire, et s'empressa de remettre son port d'armes à Mme Morin, qui écrivit sur son livre:

Chambre nº 17, M. Eusèbe Martin, né à la Capelette, département de la Haute-Vienne, âgé de 21 ans, profession de chasseur.

La bêtise humaine (Eusèbe Martin)

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