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A la porte du commissariat, le greffier pria civilement Eusèbe de passer devant et l'introduisit dans une pièce coupée en deux par une grille illustrée de rideaux verts en lustrine. Les murs décrépits étaient chargés de dessins noirs exécutés par des administrés et de jeunes filous qui avaient charmé les longueurs de l'attente en cultivant les beaux-arts. Un jour douteux, filtrant par une fenêtre sur la cour, éclairait assez mal un bureau de bois blanc peint en noir, sur lequel gisaient des papiers timbrés qui semblaient avoir la jaunisse. Deux employés portant des sous-manches, ainsi nommées parce qu'elles se portent sur les autres, griffonnaient placidement. Eusèbe, qui trouvait cet ensemble médiocre, demanda au greffier:

—Est-ce là, monsieur, ce qu'on nomme le formidable appareil de la justice?

Le chien du commissaire sourit et répondit en le regardant avec une bienveillance mêlée de compassion:

—Non, monsieur, la justice, c'est au Palais; ici, c'est comme qui dirait un laboratoire où on lui mâche les morceaux.

—Je ne comprends pas, dit le jeune homme.

—Ça ne fait rien, dit le greffier, vous comprendrez plus tard, il faut l'espérer. Voici monsieur le commissaire qui revient; asseyez-vous et répondez.

—Vous m'avez dit que vous vous appeliez Eusèbe Martin? demanda le fonctionnaire.

—Oui, monsieur.

—Comment avez-vous quitté la maison paternelle?

—En prenant la voiture des Pénicault jusqu'à Vierzon.

Le commissaire de police et son clerc échangèrent un regard significatif.—Écrivez les réponses, dit M. Bézieux au greffier.

—Avez-vous un passe-port?

—Je ne sais pas ce que c'est.

—Écrivez aussi cette réponse. Dites-moi, encore une fois, ce que vous venez faire à Paris?

—Je vous l'ai dit, étudier la civilisation.

—Pour quoi faire?

—Mais... pour être... civilisé.

—Ah! très-bien. Avez-vous, outre ces mille francs, des moyens d'existence?

—En dépensant dix francs par jour, j'ai de quoi vivre cinq mille jours, à peu près quatorze ans. Voici mon argent.

—Très-bien. Connaissez-vous quelqu'un à Paris?

—Oui, quatre personnes: un cocher qui m'a insulté, un militaire qui s'est moqué de moi, un vieillard qui m'a gourmandé, et l'Auvergnat que j'ai dépendu.

—Cela ne suffit pas, dit le magistrat; votre âge, l'incohérence de vos réponses, la somme considérable dont vous êtes porteur, tout me fait un devoir de vous retenir jusqu'à plus amples informations. Ne vous inquiétez pas, vous serez traité convenablement, et avant peu, je l'espère, rendu à la liberté et à votre famille.

—Je ne suis pas pressé, ce sera quand il vous plaira.

Depuis un instant le commissaire retournait ses poches sans résultat.

—J'ai perdu mon mouchoir, dit-il à son clerc; en vous en allant, passez donc chez ces gens, voir s'ils ne l'ont pas trouvé.

—C'est inutile, monsieur, lui dit Eusèbe; j'ai vu un enfant le prendre dans votre poche et se sauver.

—Et vous ne m'avez pas averti! s'écria M. Bézieux.

—A moins d'un événement extraordinaire, je ne me mêle que le moins possible des affaires des autres. Voulez-vous me permettre de vous en offrir un?

Sans attendre une réponse, le jeune homme déboucla sa valise et en sortit un mouchoir qu'il offrit avec civilité au commissaire, qui le refusa.

—Merci, dit celui-ci, je vais en envoyer chercher un. Quel est ce papier qui vient de tomber de votre valise?

—Mon port-d'armes.

—Un permis de chasse! vous avez un permis de chasse? que ne le disiez-vous tout de suite? Voyons.

—Voilà; vous ne me l'aviez pas demandé.

M. Bézieux tourna et retourna le papier, examina attentivement le signalement. Comme Eusèbe avait deux signes noirs sur la joue gauche, la vérification était facile.

—Mon jeune ami, reprit le magistrat, mille pardons de mes questions. J'ai dû agir comme je l'ai fait; vous êtes en règle, je n'ai plus rien à dire. Allez, vous êtes libre. Avec votre inexpérience de la vie, vous serez à coup sûr dupé. Souvenez-vous de moi, et venez me voir dans les moments critiques.

—Monsieur, répondit Eusèbe, vous êtes trop bon, je suis bien votre serviteur. Et il se retira lentement comme un homme en proie à de grandes et sérieuses réflexions. Dans l'escalier: il s'arrêta un instant, puis, tout haut, comme si quelqu'un l'eût écouté, il s'écria:

—Voici une chose singulière et certainement indéfinissable: cet homme qui se dit justicier, me voit faire deux bonnes actions, et il m'arrête en disant que je suis fou; il ne me trouve sage qu'en voyant mon permis de chasse. Or, mon permis de chasse aurait dû au contraire l'affermir dans son idée, et lui faire croire que j'étais fou véritablement, car j'ai fait une grande folie le jour où j'ai été assez bête pour donner vingt-cinq francs au maire du Moustier, afin d'avoir le droit de tuer des oiseaux qui ne sont pas à lui.

La bêtise humaine (Eusèbe Martin)

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