Читать книгу Canova et Napoléon - Adolphe de Bouclon - Страница 7

III

Оглавление

Table des matières

A Crespano, Canova se retrouva auprès de la première amie de son cœur, Betta Biasi, remarquable par des yeux étincelants de grâce et de beauté, et par une chevelure que le grand artiste disait n’avoir rencontrée que dans les descriptions d’Apulée. Si les encouragements du généreux et bienfaisant Faliéro, sénateur de Venise, n’eussent pas entraîné Canova à Venise, puis à Rome, Canova eût été l’époux ignoré d’une simple bergère de la province vénitienne de Trévise, mais Phidias et Michel-Ange n’eussent point eu peut-être de successeur dans notre siècle.

Betta Biasi était alors mariée et vivait heureuse dans la compagnie d’un époux qui avait acquis de l’aisance dans le commerce: heureuse autant qu’on peut l’être quand l’ami du cœur est absent et perdu pour toujours! Elle eut, du moins, un beau jour dans sa vie: elle n’était pas oubliée! Elle vit avec transport que son image n’était pas effacée dans les rayons de gloire qui couronnaient alors le front de Canova, jadis un pauvre petit pâtre comme elle dans les montagnes qui lui parlaient sans cesse de lui.

En effet, après avoir respiré avec l’air natal les principes de la vie et de la santé, celui qui n’avait pas d’autre nom que le Grand Artiste, âme délicate et tendre, conservant un pieux souvenir des premières impressions de son enfance, voulut illustrer de sa présence le foyer de son ancienne amie. Il la retrouva toujours belle, toujours radieuse, et admira de nouveau en elle la pureté de ces lignes et les perfections de ces formes artistiques dont les nymphes et les déesses que son ciseau consacrait à l’immortalité étaient une gracieuse réminiscence. C’est un trait de ressemblance de plus de Canova avec Raphaël, deux génies qui virent le beau des mêmes yeux, le sentirent et l’exprimèrent avec le même cœur. Betta revit dans les déesses de Canova; les amies de Raphaël sont devenues autant de vierges divines. Admis au foyer domestique comme un frère de la maison, Canova félicita les deux époux de la sagesse qui leur avait fait trouver le bonheur dans la concorde et l’union; il s’en réjouit comme du sien propre.

Un homme tel que lui ne pouvait oublier l’humble toit où il avait pris naissance. Possagno, de son côté, voulait revoir l’enfant qui faisait sa gloire, et c’est là que l’attendait, par les soins et par l’enthousiasme de Betta Biasi elle-même, un modeste triomphe qui laissa plus de joie et plus d’attendrissement dans son âme que s’il avait reçu au Capitole les ovations du peuple-roi.

Betta Biasi, à l’insu de son hôte illustre, s’était mise à la tète d’un complot, dans lequel entrèrent les habitants de Crespano de tout âge, de tout sexe, de tout rang, et qui fut couvert du silence le plus absolu.

Canova, après avoir pris congé de ses hôtes et de sa mère, s’était mis en route, seul, un bâton à la main, les larmes dans les yeux, cherchant les sentiers détournés pour donner un libre cours aux pensées. aux rêveries tristes et douces, qui assiégeaient à la fois son esprit et son cœur. Il avait jeté un dernier regard sur l’église de Crespano et sur la route déserte qu’il avait parcourue, lorsqu’une foule de jeunes gens placés en embuscade fondent sur lui de toutes parts, en poussant de cris de joie, d’admiration, où l’on distinguait ces exclamations: «Viva il grande nostro Canova!

«Viva il maggior genio de l’Italia! Viva il

«Phidias veneziano! (Vive notre grand Ca-

«nova! Vive le plus grand génie de l’Ita-

«lie! Vive le Phidias vénitien! )»

A ces cris, Canova s’arrête sans pouvoir parler. La jeunesse, se livrant à tous les transports de l’enthousiasme italien, exécute autour de lui une de ces danses antiques, telles à peu près qu’il les avait figurées lui-même dans son groupe d’Antinoüs, puis elle s’approche respectueusement de lui, en déposant une couronne de fleurs sur sa tête, et le contraint d’avancer. Malgré sa répugnance naturelle pour les honneurs et les acclamations, le grand artiste s’avance au milieu de cette brillante jeunesse. Mais ce n’était là que le prélude de son modeste triomphe. Vingt pas plus loin, au détour d’une colline, il aperçoit la route jonchée de fleurs, de lis, de roses, d’immortelles et de branches de laurrier. A droite, à gauche, toute la population de Possagno et des environs s’était rassemblée en habits de fête.

Possagno donnait là l’exemple, unique peut-être dans les annales de l’histoire, d’un prophète inspiré, d’un grand homme reçu en triomphe parmi les siens, et traité avec honneur dans sa propre patrie.

Femmes, enfants, vieillards, pauvres et riches, tous n’ont qu’un cri, un seul nom dans la bouche: «Ecco il nostro grand’ Ca-

«nova! Gloria al Canova! (Voici notre

«grand Canova! Gloire à Canova! )»

Les cloches sonnent dans tous les villages environnants; les curés, les anciens du peuple, les podestà villageois marchent au-devant du grand artiste. Les détonnations des mousquets et des pièces d’artifice saluent son passage; les hymnes patriotiques, au son des instruments champêtres, retentissent à ses oreilles; des couplets sont improvisés en son honneur et l’accompagnent jusqu’à la maison du vieux Pasino, son grand-père.

Lorsque Napoléon passait triomphant sur le front de ses grandes armées, lorsqu’un pape le sacrait empereur au son du bourdon de Notre-Dame de Paris, sous les yeux de toute l’Europe émerveillée, peut-être n’éprouva-t-il pas une joie aussi pure que celle qui inonda alors le cœur sensible de Canova. Il avait comprimé l’anarchie, sauvé la société : mais à quel prix! Canova ne voyait aucune tache de sang dans sa gloire.

Canova et Napoléon

Подняться наверх