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IV

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Essayons de soulever le voile qui couvre l’origine du prieur de Cluny. A l’extrémité occidentale du comté de Champagne, sur une haute colline que baignent les rives de la Marne, s’élevait au dixième siècle l’importante forteresse de Châtillon. Ces tours épaisses commandaient une verte vallée qui court avec la rivière d’Épernay à Dormons, et s’appuyait de l’autre côté sur une forêt sombre. Hérivée, petit-fils d’Ursus, comte de Champagne, l’avait élevée en 925 sur un fief de l’église de Reims, inféodé à son père par un archevêque qui portait aussi le nom de Hérivée. Un siège qu’elle soutint avec honneur en 940 contre Louis d’Outremer fonda sa célébrité : dès lors elle devint le berceau d’une illustre famille.

C’est là, derrière les murs du château féodal, que la tradition fait naître notre héros vers 1042. En vain interrogerait-on aujourd’hui la forteresse sur l’honneur qu’elle eut de donner un souverain pontife à l’Église. Depuis longtemps elle n’est plus, et huit siècles tiennent ensevelies sous ses ruines, les légendes, les tombes et les épitaphes des seigneurs qui l’habitèrent. A son défaut, il faut remonter aux sources historiques de l’époque. Mais le onzième siècle produisit plus de guerriers que d’annalistes. Les chroniqueurs étaient donc rares; encore la plupart, moines obscurs, enfermés dans la solitude des cloîtres, recevaient les bruits du monde d’une manière incomplète et dénaturée. Ordinairement ils puisaient leurs renseignements chronologiques dans les obituaires ou ménologes des monastères, les seuls actes d’état civil qu’il y eut alors. Mais ces éléments n’offraient qu’une nomenclature sèche et aride indiquant le jour où la communauté priait pour ses bienfaiteurs. De là une foule d’obscurités. Du reste, en étudiant de près cet âge de fer, il est aisé de comprendre quel peu de souci l’on prenait d’établir des généalogies à une époque où la vie humaine était constamment moissonnée par des guerres acharnées. Aussi ne saurait-on s’étonner des ténèbres qui enveloppent encore aujourd’hui les premières années du pape Urbain.

Appartient-il à la famille des Châtillon, ou bien descend-il d’un seigneur de Lagery? telle est la question qui a partagé les historiens en deux camps. Le cardinal Pandulphe, de Pise, contemporain d’Urbain et historiographe du pape Gélase II, Sigonio, Onuphre Panvini , Aubert le Mire, et surtout le savant André Duchesne, penchent pour cette première opinion.

Il n’existerait donc aucune difficulté sur ce point sans la chronique manuscrite d’Albéric de Trois-Fontaines. Ce moine champenois, qui écrivait environ vingt-cinq ans après la mort d’Urbain, prétend que le pape, et Rodolphe, son frère, quoique nés à Châtillon, descendaient des châtelains de Lagery, seigneurie voisine de Châtillon. Il fortifie cet aveu, du témoignage de deux chroniqueurs dont les travaux ne nous sont point parvenus. Il cite enfin une généalogie incomplète, diffuse, et fort différente de celle établie par André Duchesne. D’un autre côté, le nécrologe de l’abbaye de Molesmes fait mention en juin, sans date d’année, d’Heucher et d’Isabelle son épouse, père et mère du seigneur pape Urbain. Quel était cet Heucher? Faut-il y voir le seigneur de Lagery, mentionné par Albéric? Les termes vagues de l’obituaire laissent place à toutes les conjectures.

Quoi qu’il en soit, une autorité souveraine domine de bien haut tout ce débat, c’est celle du prieur de Cluny lui-même. Devenu souverain pontife, Urbain, déclare dans un rescrit que le pagus Bainsonnensis, situé sur la Marne et presque vis-à-vis la forteresse de Châtillon, appartenait à ses ancêtres.

Voici ce qui donna lieu à cette déclaration. Thibauld II, comte de Troyes et de Champagne, ayant eu, en 1066, un fils, pria l’abbé de Cluny, saint Hugues, de le baptiser. En souvenir de cet événement, il fonda sur sa terre de Coincy une petite abbaye qu’il réunit au grand monastère bourguignon. Vers 1072, le comte de Champagne, voulant donner plus d’importance à l’établissement religieux qu’il avait créé, résolut de lui annexer l’autel ou revenu paroissial du village de Bainson. L’évêque de Soissons, Thibauld de Pierrefonds, que cette affaire regardait, obtint des chanoines de l’Église mère de Soissons l’abandon de leurs droits sur les dîmes et oblations de Bainson en faveur des moines de Cluny, établis à Coincy. Ceux-ci s’engagèrent de leur côté à payer annuellement un cens de vingt sols de deniers au chapitre de la cathédrale et à reconnaître à perpétuité le doyen de l’Église de Soissons comme le titulaire dudit autel, quoique la paroisse fût desservie par un prêtre dépendant du monastère. Cette transaction s’opéra sans doute avec l’assentiment des Châtillon, autrefois maîtres et seigneurs de Bainson, qu’ils avaient donné au chapitre de Soissons. C’est à ce titre que Miles de Châtillon fut invité à souscrire à l’acte émané de l’évêque Thibauld. Quelques années plus tard, Urbain II, se trouvant à Tours, délivra un bref sur cette affaire: Il confirma l’acte épiscopal, non-seulement, est-il dit, en vertu de son autorité apostolique, mais encore parce que son père avait consenti à l’établissement de la redevance des vingt sols de deniers sur l’Église de Bainson où ses ancêtres avaient exercé des droits.

Cette déclaration si formelle apporte dans la question d’utiles éclaircissements. Que le voisinage très-rapproché des châtellenies de Bainson et de Lagery, appartenant sans doute à des membres de la famille de Châtillon, en possession dès longtemps de nombreux fiefs, ait donné le change sur la véritable origine d’Urbain rien n’est plus facile à concevoir. Mais qu’un souverain pontife affirme, sans être revêtu d’un droit certain, en face du monde et au milieu de ses concitoyens, que tel fief relève de sa famille, c’est un fait inadmissible.

Un seul point reste donc à éclaircir. Les seigneurs de Châtillon étaient-ils les seuls maîtres de Bainson? Sur cette dernière question, le savoir si connu d’André Duchesne fait autorité : aux yeux du grave historien, le seigneur qui aliéna le fief de Bainson au profit du chapitre de Soissons, le même qui consentit ensuite à la cession faite aux moines de Coincy, en un mot, Miles, seigneur de Châtillon et de Bazoches, est le père du pape Urbain II.

En résumant cette esquisse, aride mais nécessaire, il résulte, de l’aveu unanime de tous les historiens, qu’Urbain II est certainement né à Châtillon-sur-Marne, ou dans son voisinage le plus rapproché ; que ses ancêtres, et particulièrement son père, possédaient la seigneurie de Bainson, comme le prouve la lettre apostolique; et enfin ce dernier point plus conjectural, mais reposant sur une tradition de plusieurs siècles et sur des témoignages d’une haute gravité, que le prieur de Cluny se rattache par des liens solides à la maison de Châtillon. On connaît l’éclat jeté par cette famille célèbre; aucune illustration ne lui a manqué ; et dans les annales de notre pays on la retrouve toujours mêlée aux plus grands événements: il n’est pas de batailles, pas de traités où ne figure quelques-uns de ses représentants qui se sont particulièrement distingués dans les croisades. Cette noble race a compté de grands capitainés, de vertueux prélats, des connétables, des chanceliers: sa puissance politique et sa prospérité croissante lui ont valu les alliances les plus brillantes avec les maisons souveraines de Bourbon, de Lorraine, dé Hainaut, d’Espagne et de Brabant. Comme couronnement à toutes ces gloires, elle méritait de voir un de ses membres élevé au pontificat suprême, prendre place parmi les successeurs du pêcheur de Galilée.

Urbain II : un pape au moyen âge

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