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UN MENEUR: JEAN ROSSIGNOL

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Si la Cour n'avait eu contre elle que les rentiers et les bourgeois, gens naturellement pacifiques, elle aurait triomphé facilement. Mais les bourgeois surent entraîner derrière eux la foule des prolétaires. Les véritables chefs de l'insurrection furent d'anciens soldats, vivant du travail de leurs mains en artisans, ne s'occupant pas généralement de politique, mais gagnés pour une fois par la contagion de l'exemple. L'un d'eux, Jean Rossignol, ouvrier orfèvre, qui avait fait auparavant de nombreuses garnisons sous le sobriquet militaire de Francoeur, a raconté, avec une sincérité admirable, comment il devint un des vainqueurs de la Bastille.

«Le 12 juillet 89, dit-il, je ne savais rien de la Révolution, et je ne me doutais en aucune manière de tout ce qu'on pouvait tenter.» C'était un dimanche. Il dansait dans une guinguette quand il vit qu'on brûlait les barrières. Des passants l'interpellent: «Es-tu du Tiers-État? Crie Vive le Tiers-État!» Il cria Vive le Tiers-État sans trop savoir ce que cela voulait dire. Bien lui en prit, car un de ses camarades qui s'y refusait fut roué de coups. Le lendemain, 13 juillet, il voit la foule qui s'arme dans les boutiques des fourbisseurs. Ce spectacle l'intéresse. Il fait comme tout le monde: «Je fus au Palais-Royal: là je vis des orateurs montés sur des tables qui haranguaient les citoyens et qui réellement disaient des vérités que je commençais à apprécier. Leurs motions tendaient toutes à détruire le régime de la tyrannie et appelaient aux armes pour chasser toutes les troupes qui étaient au Champ-de-Mars. Ces choses m'étaient si bien démontrées que je ne désirais plus que l'instant où je pourrais avoir une arme afin de me réunir à ceux qui étaient armés.» Voilà Rossignol converti et lancé. Il retourne dans son quartier, il groupe ses connaissances, il devient un chef. Il suit les bourgeois, mais il se défie d'eux, il n'est pas de leur classe.

Nous nous rassemblâmes entre gens de connaissance et nous nous trouvâmes plus de soixante dans un instant tous bien décidés, car la plupart d'entre nous avaient au moins un congé de service dans la ligne. Nous entrâmes dans l'église; nous y vîmes tous ces gros aristocrates s'agiter; je dis aristocrates, parce que, dans cette assemblée, ceux qui parlaient étaient pour la plupart chevaliers de Saint-Louis, marquis, barons, etc. Le seul homme qui me plût, et que je ne connaissais pas, fut le citoyen Thuriot de La Rozière, qui s'est bien montré dans cette assemblée. Là, on était occupé à nommer des commandants, des sous-commandants, [Note: La réunion avait pour but d'organiser la milice bourgeoise que les électeurs venaient de décréter. On remarquera que la réunion se tient dans l'Eglise.] et toutes les places étaient données à ces chevaliers de Saint-Louis. Enfin, je fis une sortie contre cette nomination parce qu'aucun citoyen n'y était appelé.

Un nommé Dégié, alors notaire, Saint-Martin et les derniers chevaliers de Saint-Louis proposaient les candidats. Je fus si outré de voir cette clique infernale se liguer pour commander les citoyens que je demandai la parole. Je montai sur une chaise et je leur dis que l'on commençait par où l'on devait finir, et que ce n'était pas de cette manière qu'il fallait agir pour nous préserver des troupes qui étaient aux environs de Paris, que de tous les commandants que l'on venait de nommer aucun n'était dans le cas d'empêcher que les citoyens fussent massacrés.

On me dit que je n'avais qu'à en donner le moyen.

Je leur répondis qu'il fallait commencer par avoir des soldats et ensuite des armes à leur distribuer, qu'il fallait absolument des armes pour pouvoir se défendre; ensuite on devait se rassembler par quartiers, chacun étant armé, chacun devait avoir le droit de nommer son chef;… je proposai d'aller chez tous les seigneurs qui résidaient dans la paroisse, d'y faire une perquisition et d'apporter dans l'église toutes les armes que l'on trouverait. J'ajoutai que la distribution devrait en être faite légalement par chaque quartier, en donnant surtout les fusils aux mains des hommes connus qui en savaient le maniement: c'était là le bon moyen, selon moi.

Ma motion fut rejetée et improuvée comme venant d'un homme suspect, et Le Bossu, alors curé de Saint-Paul, [Note: Bossu refusera le serment, sera déporté et ne reviendra en France qu'en 1801.] dit qu'il fallait me mettre à Bicêtre; ce à quoi je répliquai que j'étais soutenu de tout mon quartier et que, s'il voulait me faire arrêter, j'allais lui tomber sur le corps. En me regardant, il vit que j'étais entouré de plus de trente hommes qui avaient les bras retroussés: il eut peur et ne souffla plus mot….

A neuf heures on vint me dire que l'on faisait des listes chez le curé. Je m'y rendis et j'y fis grand tapage afin qu'aucun de mes amis venus pour s'inscrire sur cette liste, qui était à bien nommer liste de proscription, n'y fût inscrit; et je demandai: Où sont les fusils de cette ville, que vous aviez promis dans deux heures? En voilà six de passées et rien n'est encore arrivé!…

Mes camarades et moi nous les laissâmes délibérer et nous nous en fûmes boire, tout le Tiers-État ensemble, avec promesse de nous rejoindre le lendemain, le plus qu'il nous serait possible afin d'avoir des armes. [Note: Vie véritable du citoyen Jean Rossignol, publiée par V. Barrucand, 1896, pp. 75-79.]

Ce récit, d'une couleur si vive, n'a pas besoin de commentaire. La bourgeoisie, en déchaînant Rossignol et ses pareils contre les privilégiés, dut avoir très vite le sentiment qu'elle ne s'était pas donné seulement des alliés mais des rivaux.

Rossignol participera à toutes les grandes journées révolutionnaires, deviendra général, commandera en Vendée, sera déporté par Bonaparte aux îles Seychelles puis à Anjouan où il mourra en 1802.

Les grandes journées de la Constituante

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