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LE DÉVOUEMENT D'ELIE
ОглавлениеPour parvenir à travers la cour du gouvernement [Note: Le gouvernement était le logement du gouverneur, situé en avant de la forteresse. Voir le plan.] et tenter jusqu'au pont de pierre et tenter d'enfoncer à coups de canon les ponts-levis et les portes de la forteresse, les assiégeants étaient gênés par les voitures de paille que les combattants de la première heure avaient incendiées dans l'intention de se protéger par un rideau de fumée contre les coups de la garnison. Ce fut un officier du régiment de la Reine-Infanterie nommé Elie qui se dévoua pour les déplacer. Vieux sous-officier, nommé sous-lieutenant porte-drapeau, en 1788, à l'âge de 40 ans et après 22 ans de service, Elie était tout dévoué à la cause du Tiers-Etat, sans doute en haine des officiers nobles, dont il avait eu tant à souffrir. Dès la première attaque contre la Bastille, il avait couru revêtir son uniforme et il était revenu se mettre à la tête des assaillants. Aidé d'un mercier du quartier nommé Réole et de quelques citoyens restés inconnus, Elie se mit bravement en avant et entreprit de retirer ces voitures. Ils écartèrent la première assez facilement; mais ils eurent plus de mal pour enlever la seconde qui était en face du pont dormant et bouchait précisément l'entrée du château. Cependant Réole parvint, à lui seul, à retirer cette voiture enflammée, après avoir perdu deux de ses camarades tués à ses côtés. En même temps Hulin faisait couper à coups de canon les chaînes du pont-levis de l'Avancée, afin de prévenir toute trahison. Alors les assiégeants passèrent en foule dans la cour du Gouvernement avec leurs canons, qu'ils placèrent en batterie à l'entrée du pont de pierre, en face des ponts-levis et des portes de la forteresse qui n'en étaient éloignés que d'une trentaine de mètres.
Cette manoeuvre hardie décida du succès du siège et, quoi que puissent dire aujourd'hui les adversaires de la Révolution, ce succès fut dû à la bravoure des assiégeants autant et plus qu'à la faiblesse du gouverneur. Car pour traîner ces canons à travers les cours et pour les mettre en batterie devant l'entrée principale de la Bastille sous le feu continuel de la garnison, les assaillants eurent à faire preuve du plus grand courage. Les rédacteurs de la Bastille dévoilée sont eux-mêmes obligés de le reconnaître: «Jamais, disent-ils, on n'a vu plus d'actions de bravoure dans une multitude tumultueuse. Ce ne sont pas seulement les gardes-françaises, les militaires, mais des bourgeois de toutes les classes, des simples ouvriers de toute espèce qui, mal armés et même sans armes, affrontaient le feu des remparts et avaient l'air d'y insulter. Ce n'est pas derrière des retranchements qu'ils se tenaient; c'est dans les cours de la Bastille et si près des tours que M. de Launay lui-même a fait plusieurs fois usage des pavés et autres débris qu'il avait fait monter sur la plate-forme. On ne peut disconvenir qu'il n'y eut beaucoup de confusion et de désordre. Chacun était chef et ne suivait que sa fougue. C'était des individus de tous les quartiers, dont plusieurs n'avaient jamais manié d'armes et cependant les Invalides qui se sont trouvés à bien des sièges et à bien des batailles nous ont assuré qu'ils n'ont jamais vu un feu de mousqueterie servi comme celui des assiégeants; ils n'osaient plus mettre la tête en dehors du parapet des tours.» Pour prouver que ces éloges ne sont que justes, il suffit de rappeler le chiffre des pertes subies par les vainqueurs de la Bastille. Dans cette affaire qui ne dura pas quatre heures, les assiégeants eurent au moins 83 des leurs tués sur place: les autres moururent des suites de leurs blessures; 13 furent estropiés et 60 blessés. [Note: J. Flammermont, La journée du 14 juillet 1789 (pp. 224-227).]