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LA MARQUISE DE MORENA

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Dans le plus bel appartement d’un des principaux hôtels de Marseille, et au milieu d’un désordre de bagages entassés pêle-mêle sur des meubles ou disséminés sur le parquet, une jeune femme est assise devant une table, les yeux mouillés de larmes et occupée à répondre à une lettre qu’elle relit par intervalles et avec une vive agitation. De temps en temps cette jeune femme se lève et se précipite fébrilement du côté de la fenêtre, où elle semble interroger avec impatience chaque bruit de la rue, comme s’il devait lui annoncer l’arrivée d’une personne impatiemment attendue.

Profitons du moment où elle s’est levée et où elle se tient debout, le visage collé contre la vitre, pour esquisser son portrait.

C’est une jeune femme, nous l’avons déjà dit; cependant son visage, empreint du charme irritant des beautés andalouses dont il présente les teintes orangées, les grands yeux noirs et les sourcils profondément accusés, son visage trahit déjà au printemps de la vie une sorte d’étiolement, dû plutôt à l’organisation hâtive développée par les températures tropicales qu’à l’outrage des années. Exiguë dans sa taille, mais plus mince que ne le sont généralement les femmes espagnoles, et douée de cette élégante et solide cambrure que la valse fait si bien ressortir, la personne dont nous parlons est vêtue d’une splendide robe de taffetas d’Italie à larges volans qu’elle prodigue négligemment aux fatigues du voyage, et l’on pressent, seulement à la voir, que les instincts de la vie usuelle sont complètement étrangers à cette nature, tout absorbée par la fougue des sensations.

La physionomie de la jeune femme s’éclaire comme sous l’impression d’une délivrance, et les pleurs se sèchent instantanément dans ses yeux, quand le bruit d’un pas reconnu par elle dans l’escalier lui annonce la fin de sa longue attente.

La clef semble tourner rapidement d’elle-même dans la serrure, comme sous la main du maître qui revient, et, avant que la femme de chambre, au bruit de l’arrivée du nouveau venu, ait pu aller jusqu’à l’antichambre, celui-ci est déjà dans le salon, portant amoureusement à ses lèvres deux mains qu’on lui tend avec beaucoup d’abandon et de complaisance.

Le nouveau venu (le lecteur l’a deviné sans doute) n’est autre que le beau blondin déjà suffisamment connu sous le nom d’Horace Guidai. Quand à la jeune femme, dont nous parlerons tout à l’heure avec plus de détails, c’est la marquise de Morena, femme de l’un des chambellans de Sa Majesté l’empereur du Brésil.

A peine la femme de chambre s’est elle retirée, à peine Horace se trouve-t-il seul avec la marquise; que, après une étreinte des plus passionnées, tout au moins de la part de cette dernière, le dialogue suivant s’engage entre le jeune homme et celle qui l’attendait:

— Que m’annonce donc votre billet, chère et adorée Gonzaga? s’écrie Horace avec inquiétude; je n’y ai compris qu’une chose: c’est qu’il nous arrive un grand malheur; et je suis accouru.

— Mon ami, répond la marquise en fondant en larmes, nous sommes perdus.

— O ciel! votre mari est de retour? il a tout découvert?

— Non, mais il me rappelle auprès de lui.

Si la marquise de Morena n’eût pas été complètement absorbée par sa douleur, elle eût à coup sûr, en ce moment, remarqué sur le visage d’Horace cette expression de soulagement intime qu’éprouverait un homme qui, menacé de périr corps et biens dans un naufrage, en serait quitte pour la perte de son portemanteau.

Néanmoins, trop plein de savoir-vivre ou peut-être seulement de compassion pour laisser deviner une impression semblable, Horace reprit d’un ton amoureusement câlin:

— Oh! non, cela n’est pas possible, ma chère et belle Gonzaga; dites-moi que cela n’est pas!

— Cela n’est que trop vrai, répartit douloureusement l’étrangère, tenez, lisez!

En même temps elle lui remit avec une nouvelle effusion de larmes la lettre à laquelle elle était occupée si fiévreusement à répondre, au moment où Horace était entré.

Pendant que ce dernier parcourt avec avidité cet ultimatum marital, nous allons faire connaître au lecteur, à qui nous l’avons suffisamment dépeinte au physique, ce que c’était au moral que la marquise de Morena, et sous quels auspices s’était formée une liaison dont il semblait que le terme fût si proche.

Issue d’une ancienne famille de l’Andalousie depuis longtemps transplantée à Rio-de-Janeiro, mais beaucoup plus pourvue de parchemins que de doublons et de quadruples, la jeune et piquante Gonzaga avait eu le bonheur de tourner la tête de l’un des plus riches hidalgos de l’empire du Brésil, le marquis don Annibal de Morena y Mazarredo y Sierras de Guadalcazar, etc., etc, car au Brésil comme en Espagne on n’est réellement de bonne souche qu’à la condition de noircir plusieurs pages de la nomenclature de ses noms et seigneuries. Heureusement ou malheureusement, comme on voudra, le seigneur marquis don Annibal de Morena comptait encore plus d’années que de noms baptismaux et seigneuriaux, et il eût pu être à coup sûr pour le moins l’aïeul de son épousée. Quoi qu’il en soit, après avoir, durant les premières années de son mariage subjugué un nombre infini de jeunes Brésiliens, la marquise de Morena éprouva le besoin, bien naturel à une jolie femme, de venir essayer le pouvoir de ses charmes sous d’autres cieux, et de visiter Paris, la grande Babylone.

Le marquis de Morena était trop habitué à respecter les moindres caprices de la marquise pour se refuser à celui-là. On s’embarqua donc un beau jour de l’an de grâce 1852, et l’on vint faire élection de domicile au faubourg Saint-Honoré. Bientôt il ne fut plus question, dans le monde des ambassades et du Théâtre Italien, qui est à proprement parler la paroisse de ce monde-là, que de la petite marquise brésilienne. C’était à qui, dans les bals diplomatiques aurait la précieuse faveur de valser avec la marquesita, comme l’appelaient ses compatriotes; car, ainsi que nous l’avons déjà dit, la marquise de Morena, avec ses petits pieds, sa taille souple et cambrée, ses allures de créole, était expressément formée pour cette danse voluptueuse.

Horace Guidal passait, de son côté, pour l’un des meilleurs valseurs de Paris, et bien que son nom n’eût rien d’aristocratique, il rachetait si complétement par sa bonne mine, son élégance et le haut goût de sa mise, ce qui lui manquait sous le rapport du blason, qu’il eût pu se donner pour un prince. Aussi bien on était à une époque encore trop voisine de la révolution de février pour se montrer très-rigide en pareille matière, et puis Horace, qui était alors à l’apogée de ses bonnes fortunes de Bourse, menait le train d’un conscrit milionnaire. En vertu d’une proportion toute mathématique, l’argent se dépense généralement de même qu’il se gagne.

Toutes ces causes réunies firent que bientôt Horace Guidal eut distancé les nombreux rivaux qui se disputaient avec lui les bonnes grâces de la marquise de Morena. Mais, par une fatalité singulière, au moment même où il ne lui était plus permis de douter de son triomphe, le marquis de Morena fut rappelé à la cour de son souverain.

Il était bien difficile à la marquise, sa femme, de ne pas l’accompagner; mais l’amour est ingénieux, Peu de jours avant celui qui avait été fixé pour le départ, la jeune marquise se trouva atteinte d’une maladie subite, et le médecin appelé à lui donner ses soins déclara qu’il ne répondait de son existence qu’à la condition expresse qu’elle aurait le courage de renoncer à s’embarquer avec son mari et de passer en France au moins six mois. Le marquis, gagné par l’exemple de sa femme, se résigna et partit seul pour le Brésil.

Au bout de six mois, la courageuse Gonzaga écrivait à son seigneur et maître qu’elle était en effet guérie, mais que le cher docteur, dont elle envoyait un certificat, craignait une rechute si elle ne se déterminait à prolonger pendant quelques mois encore son séjour sous le ciel éminemment curatif de la capitale de l’empire français.

Cette fois, la résignation du marquis de Morena fut quelque peu ébranlée. Sans doute d’indiscrets amis contribuèrent à ce fâcheux résultat en venant lui apprendre que la marquise ne s’était jamais mieux portée que depuis qu’il l’avait quittée; peut-être même on ajouta qu’on la rencontrait fréquemment dans les bals et dans les spectacles avec un jeune et beau cavalier qui pouvait avoir eu quelque influence sur sa guérison. Quoi qu’il en soit, le marquis perdit tout à coup patience, et jugeant dans sa perspicacité qu’il y avait lieu de recourir à un stimulant énergique pour ramener au bercail la brebis égarée, il lui ordonna d’avoir à réintégrer sans délai le domicile conjugal. Telle était la conclusion du message qui avait fait couler tant de larmes des yeux noirs de la marquesita, message dont Horace venait de prendre lecture avec un soin et un intérêt dont il est facile de se rendre compte.

— Eh bien! balbutia la jeune femme, en reprenant des mains de son interlocuteur la lettre fatale, vous voyez, mon ami, si j’avais raison de vous dire que nous sommes perdus?

— Telle n’est pas mon opinion, répondit Horace qui avait repris son merveilleux aplomb. Vous êtes un enfant, ma pauvre Gonzaga: tenez, si vous m’en croyez, vous n’abandonnerez pas ainsi la partie, quand elle peut encore être gagnée. Il faut répondre à votre mari, de votre plus fine écriture, de votre éloquence la plus enchanteresse, lui demander de vous laisser encore en France, sans tenir compte de propos injustes..., calomnieux..., invraisemblables..., vous entendez?... Une jeune et charmante femme est toujours si puissante sur un mari qui a le triple de son âge! Il a beau avoir le pouvoir d’un mari, il n’a jamais que la situation d’un soupirant, et, si vous le voulez bien, il cédera encore cette fois.

La marquise hocha tristement la tête.

— Ce n’est plus possible, dit-elle: non-seulement son parti est pris irrévocablement, mais ses ordres sont donnés; j’ai été prévenue que ma pension était supprimée,

— Ah diable!

— Je dois m’embarquer demain sur un bâtiment de notre nation, en partance dans le port de Marseille; mon passage est payé d’avance... Mon mari ne m’envoie même aucune traite sur son banquier, de peur que cela ne me serve à prolonger mon séjour. Il n’y a que deux partis à prendre: obéir ou bien...

— Ou bien...?

— Vous pouvez lire ce que j’étais occupée à écrire quand vous êtes entré. J’ai laissé cette réponse sur la table; il n’y a plus qu’à y mettre le cachet et à la jeter à la poste,

Horace se mit en devoir de déférer à l’invitation de la marquise; mais à mesure qu’il avançait dans la lecture de cette nouvelle épitre, une altération visible se peignait sur son visage. A la fin il s’écria:

— Mais c’est impossible! c’est du délire, Gonzaga. Ecrire à votre mari que vous rompez avec lui, que vous avez rencontré un homme que vous aimez et pour qui vous voulez vivre exclusivement désormais! Mais ces choses-là ne se disent jamais! vous vous perdez!

— C’est possible, mais je ne vous perds pas.

— Ce n’en est pas moins un suicide.

— A deux, j’aime mieux cela que le salut à moi seule. Ainsi vous oseriez donc me conseiller de vous quitter, de nous séparer pour toujours?

— Pour toujours! Est-ce qu’un mari de l’âge du marquis de Morena, et jaloux comme il l’est, peut vivre longtemps? Il lui reste à peine quelques moments d’existence, et il les dévore doubles. Croyez-moi Gonzaga, il faut fléchir ce tigre du nouveau monde; il faut partir.

— Nous quitter, Horace?

— Momentanément, pour que vous n’abdiquiez point, par un mouvement irréfléchi, votre place dans la société. Le monde, si facile et si indulgent pour toutes les petites fraudes morales, quand on se donne la peine de les faire accepter à la douane conjugale, ne demande pas mieux que de fermer les yeux; mais il ne faut pas qu’on les lui crève. Croyez-moi, Gonzaga, vous ne savez pas quelle est la terrible situation d’une femme déclassée.

— Et pensez-vous, Horace, que la situation d’une femme qui abandonne tout ce qu’elle aime soit moins cruelle?

— Non sans doute, Gonzaga, reprit Horace de son ton le plus insinuant, car je juge de votre cœur par le mien; et, moi qui vous parle, après la douleur de notre séparation, votre départ m’aura laissé une situation bien affreuse. Oh! tenez... je n’y puis songer sans frémir.

— Que dites-vous, Horace?

— Mais n’importe, je saurai souffrir seul.

— Vous serez triste! vous souffrirez! Comment voulez-vous que je parte?

— Quand même vous resteriez pour moi en France, Gonzaga, vous ne pourriez me secourir.., dans les épreuves qui m’attendent. Savez-vous que je suis sous le coup de nouvelles poursuites, et qu’on peut venir m’arrêter d’un moment à l’autre si je ne trouve pas une somme de dix mille francs?

— Eh bien! puisque vous venez de voir votre oncle?

— Il me les a refusés: il est inflexible! et ce voyage que nous avions fait tout exprès est inutile... Votre pension supprimée vous ôte tout moyen de venir à mon secours, et d’ailleurs je ne voudrais plus accepter votre dévouement, qui a déjà trop fait pour moi. N’est-ce pas vous qui m’avez ouvert les portes de Clichy, où je vous ai vue apparaître comme un ange sauveur?

—N’était-ce pas pour moi, pour assurer l’indépendandce d’un avenir que je ne comprends qu’à vos côtés, Horace, que vous avez cherché à faire fortune? Dès lors, je devais vous secourir quand vous succombiez dans la lutte entreprise pour moi. Demandez-moi tous les sacrifices, Horace, tous! et je ne me croirai pas même le moindre droit à votre reconnaissance. Mais aussi, si vous me trompiez, ne me demandez pas la moindre pitié !

Pendant qu’elle articulait ces derniers mots, la physionomie de la marquesita, si pleine jusqu’alors de tendresse passionnée, devint presque farouche; son front se plissa, ses grands yeux noirs étincelèrent dans leurs orbites, et, si maître de lui que fût Horace dans cette comédie de l’amour où il avait acquis tant de supériorité, il ne put réprimer un léger frémissement. Cependant il reprit bientôt, avec un accent plein de mélancolique résignation:

— Vous devez d’autant moins me soupçonner, Gonzaga, qu’en ce moment c’est moi qui me sacrifie; je demeure seul au fond du gouffre, ne voulant pas vous y entraîner avec moi.

— Eh! justement! reprit impétueusement la marquesita, si mon départ vous sauvait encore, j’aurais peut-être la force de me séparer de vous, soutenue par la seule pensée que plus tard je pourrais vous revoir. Mais partir pour être si malheureuse là-bas et vous laisser sans ressources, sans espoir, ici! Je sens que je ne puis m’y décider.

— Il le faut pourtant, dit Horace.

Au même instant on frappa à la porte.

— Entrez! fit la marquise, qui n’eut que le temps d’essuyer ses yeux noyés de larmes.

C’était la femme de chambre. Elle semblait fort troublée, et s’approcha vivement de sa maîtresse à qui elle se mit à parler à voix basse, tout en jetant des regards furtifs et inquiets sur Horace.

— Merci! merci! s’écria la jeune femme en congédiant sa camériste, ne laissez pénétrer ici âme qui vive, sous aucun prétexte, entendez vous.

Puis, quand elle fut seule avec Horace:

— Mon pauvre ami, ajouta-t-elle en se jetant dans ses bras, savez-vous ce que vient de m’apprendre ma femme de chambre? Vous avez été reconnu, sans doute suivi jusqu’à ma porte... Bref, un homme de mauvaise mine est là en bas qui demande à vous parler. Justine a eu la présence d’esprit de nier que vous fussiez venu ici; mais on vous cherche, c’est bien certain et, si vous mettez le pied dehors, vous serez arrêté.

Horace devint pâle; toutefois, dissimulant son émotion sous une apparence de légèreté et d’ironie:

— Allons, dit-il, mon créancier a peur que je ne noircisse mon teint sous le soleil de la Provence. Eh bien! j’attendrai pour sortir que le soleil soit couché, et, tant que je serai là, près de vous, ma charmante, ce sera chose facile.

— Cher Horace! balbutia la jeune femme avec attendrissement, comme il m’aime!

Puis, après un silence, elle reprit:

— Ce créancier est donc un monstre sans entrailles?

— Ne m’en parlez pas, Gonzaga, c’est un véritable crocodile; et, à moins que je ne lui jette dans la geule quelques billets de mille francs...

— Ah! si j’avais encore mes diamans!

— Ne me rappelez pas, ma toute belle, que vous avez dû les engager pour me tirer de la prison pour dettes, mais je les dégagerai, je vous le jure, la première fois que je gagnerai à la Bourse.

— Que m’importent mes diamans?

— Diable! cela m’importe beaucoup à moi. Sachez, chère adorée, que, avec le prix de ces diamans-là j’échappe à une prise de corps, je recouvre la confiance de mon agent de change, et que d’ici à la fin de l’année je puis être millionnaire.

— Tout cela avec si peu?

— Oh! mon Dieu, oui! Dix mille francs suffiraient à la rigueur, les dix mille francs que mon oncle m’a refusés.

— Et moi je donnerais la moitié des jours qui me restent à vivre pour vous procurer ces dix mille francs.

— Bonne et adorable Gonzaga! Pensez-vous que j’accepterais jamais un pareil sacrifice? Plutôt mourir sous les verrous de Clichy!

Puis, comme frappé d’une illumination soudaine, Horace ajouta:

— Il y aurait peut-être un moyen beaucoup moins dispendieux pour vous de se procurer cet argent qui nous manque à tous deux.

— Lequel? Ah! parlez!

— Je n’ose.

— Je l’exige au nom de notre amour.

— J’obéis. Vous avez un banquier à Paris?

— Oui.

— Ce banquier a un correspondant à Marseille?

— Certainement.

— Eh bien! ne pouvez-vous émettre une traite sur un des deux? Au moment de votre départ, ils ne sauraient se refuser à faire droit à cette traite, étant en relations d’affaires avec le marquis.

— C’est impossible. Mon mari a donné ordre de ne remettre d’argent que sur sa signature.

— Pourtant vous portez son nom, et il a pu vous arriver plus d’une fois de lui servir de secrétaire?

— C’est vrai, quand il avait son rhumatisme au bras droit.

— Eh bien! Gonzaga, ma chère et adorée Gonzaga, pensez-vous que, dans la situation où vous êtes, vous vous exposiez à des reproches bien sévères, lorsque vous viendrez, les paupières timidement abaissées sur vos beaux grands yeux noirs, avec vos charmantes petites mains jointes, raconter à ce vieillard, qui raffole de vous et qui pourrait être votre aïeul, que, au moment de quitter la France, vous avez signé, en son nom, qui est le vôtre, une lettre de crédit destinée à faire face à des engagemens sacrés, à des dépenses indispensables?...

Il y eut un silence.

— Ce que vous me demandez là, murmura la jeune femme, est bien grave, bien fort.

— Plus fort que votre amour, peut-être? reprit le tentateur.

— Méchant! s’écria la marquesita en lui tendant ses deux mains, ne fais-je pas toujours tout ce que vous voulez? Voyons, dites-moi ce que je dois écrire: c’est mal ce que je vais faire là, c’est bien mal; mais pour vous, Horace, bien que je sois catholique fervente, comme on l’est dans mon pays, je braverais l’enfer, pourvu que je fusse sûre de vous y retrouver.

Horace dans l’effusion de sa reconnaissance, peut être même de son amour, se jeta aux pieds de sa libératrice et couvrit ses mains de baisers.

Le soir même, une lettre de crédit de dix mille francs, signée marquis de Morena, était acquittée par un banquierde Marseille et le lendemain, dans la matinée la marquise elle-même, cédant aux exhortations d’Horace, s’embarquait sur un bâtiment à destination de Rio-de-Janeiro. L’infortunée jeune femme avait dû être transportée à bras sur le navire, tant elle était absorbée dans une de ces douleurs poignantes qui, autant que les dévouemens, donnent encore quelque noblesse aux fautes et trop souvent, hélas! aux déceptions.

La famille de Marsal

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