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LE MERCURE GALANT

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— En attendant que le bâtiment qui devait emporter le marquise de Morena levât l’ancre, Horace se promenait solitairement sur le port, tantôt dominé par le regret que laisse toujours un départ, même dans l’âme d’un homme à bonnes fortunes, tantôt aussi, il faut bien le dire, cédant à la satisfaction intime d’avoir esquivé une prise de corps. Soudain il se trouva face à face avec un de ses anciens amis, un habitué, comme lui, de la Bourse, de l’Opéra et du café de Paris. C’était un ci-devant lion déshérité de sa crinière et dont la tenue dépenaillée et les vêtemens fort avariés ne trahissaient sous aucun rapport l’ancienne splendeur.

— Ah! je te rencontre enfin! s’écria l’ex-dandy, j’en désespérais presque. Je suis passé hier à l’hôtel de ta marquise avec l’espoir de t’y trouver. On n’a pas voulu me laisse rentrer.

— Que le diable t’emporte! interrompit Horace, tout s’explique à présent. Achève!

— On m’a répondu qu’on ne t’avait pas vu et qu’on ne t’attendait même pas. Est-ce qu’il y a de la brouille dans le ménage?

— En aucune façon.

— A la bonne heure! j’ai un service à te demander.

— Je comprends: tu veux que je te récompense du tort que tu m’as fait hier?

— Quel tort?

— Tu ne te sers donc plus de miroir, à présent? Sache qu’en te voyant dans cette tenue, avec cette barbe inculte et ce costume à l’avenant, on t’a pris à l’hôtel pour un recors chargé de m’arrêter. Allons, j’en suis quitte pour la peur.

— Mon pauvre Horace, je te fais mes excuses; tu vois en moi une victime...

— Du choléra!

— Plût à Dieu! C’est bien pis que cela. Je suis victime de la hausse, mon cher; j’ai été exécuté le mois dernier, et, tel que tu me vois, je n’ai plus qu’une ressource: c’est de me rendre en Asie, en Afrique, n’importe où. J’ai pensé que, par tes relations de famille à Marseille, tu pourrais me faire obtenir Je passage gratuit à bord de quelque bâtiment du commerce, à charge de revanche bien entendu, si la chance vient à tour ner contre toi.

— Ainsi la hausse l’emporte! s’écria Horace en s’attachant avidement à ce seul mot; tu en es bien sûr!

— Parbleu! regarde les journaux, une hausse énorme et persistante! Et dire que je n’ai pu en profiter!

— J’en profiterai, moi! reprit Horace. Et qui sait? dans un mois peut-être ma fortune est faite.

En même temps, assailli par un souvenir néfaste, Horace ajouta mentalement: Peut-être je me suis trop pressé de demander à la marquise ce billet... Heureusement je pourrai le retirer quand je vais être en fonds!

Et il demeura rêveur quelques instants. Puis se frappant le front, il murmura entre ses dents:

— Ah! bah l Comme dit le proverbe:» Ce qui est bon à prendre est bon à... dépenser.»

— Que marmottes-tu là tout bas? lui dit son ami.

— Cela ne te regarde pas, répondit Horace viens déjeuner avec moi, Puisque je suis un peu en fonds, je me charge de payer ton passage. En attendant, nous allons nous griser, n’est-ce pas? c’est un préservatif infaillible contre le choléra.

Comme il parlait ainsi, le bâtiment où la marquesita avait pris place venait de s’ébranler pour quitter le port et, debout sur le pont, la jeune femme agitait son mouchoir en jetant à son amant un suprême adieu, dans un long regard tout mouillé de larmes, tout empreint d’un amer désespoir.

Le jour même du départ de son Ariane, Horace reprit la route du château de Saint-Pons; car, après y avoir mûrement réfléchi, il avait reconnu qu’à plus d’un titre il serait dangereux pour lui de retourner à Paris. Les questions les plus menaçantes rendaient pour lui l’asphalte brûlant, le macadam plein d’écueils.

Il ne voulait pas d’ailleurs employer ses ressources â désintéresser un créancier qui ne l’inquiétait plus guère dans la retraite où il allait volontairement se confiner, et tirer aux usuriers la poudre qu’il réservait aux grandes luttes de la Bourse. Il s’était donc empressé de mettre par correspondance, à la disposition de son agent de change, les munitions nouvelles qui lui permettaient de reprendre l’offensive et de chercher une revanche à ses échecs dans une victoire éclatante.

En attendant, c’était le château de Saint-Pons qui allait devenir pour Horace la base des opérations qu’il se disposait à commander de loin, et c’est vers ce quartier général qu’il se dirigea.

Lorsqu’il arriva au château, M. de Saint-Pons était à table et s’occupait solitairement à égréner une grappe de raisin que la prudence implacable de Rose ne lui avait permis d’arroser d’aucun moka. On pouvait voir encore à l’unique couvert demeuré servi sur la table que le châtelain avait dîné seul.

Horace avait à peine répondu par quelques mots brefs et évasifs aux questions que son oncle lui avait adressées sur son excursion, lorsqu’à son tour il crut devoir l’interroger, non sans quelque surprise sur l’absence de Maxime.

— Maxime! reprit le général, il est parti aujourd’hui.

— Parti! fit Horace, mais il avait annoncé l’intention de passer avec vous presque toute la durée de son congé.

— Que veux-tu, mon garçon? répliqua M. de Saint-Pons, l’officier propose et le ministre dispose. Nous sommes habitués à cela nous autres, dans l’armée de terre comme dans l’armée de mer. Un ordre du ministre de la marine est arrivé ce matin par le télégraphe à ton cousin, il est question, je crois, de l’envoyer au Pirée. Le pauvre Maxime, sans attendre même l’heure du dîner, après avoir pris à la hâte une aile de poulet et un verre de Bordeaux, a été obligé de partir avec son sauvage, pour ne pas manquer le chemin de fer, qu’il prend ce soir à Marseille.

— Et son dîner de dimanche, chez l’amiral de Marsal?

— Eh bien! il va sans dire qu’il n’ira pas à son dîner de dimanche.

— Je le plains.

— Pourquoi?

— Parce qu’en me rendant ici, mon oncle, j’ai rencontré la famille de Marsal tout entière, l’amiral à cheval, ces dames dans une calèche découverte. Pardieu! la mère est bien conservée, mais les filles sont charmantes!... la cadette surtout. Le portrait que nous en ont tracé les souvenirs amoureux de Maxime était presque impartial. Au moment où je venais de passer, après avoir salué ces dames, bien que je ne les connusse pas, afin d’avoir le prétexte de les regarder plus longtemps, un paysan me les a nommées.... ah! décidément Maxime a dû bien maudire le télégraphe!

— Voici en effet, reprit M. de Saint-Pons, l’expression de ses regrets dans ce billet que je me suis chargé d’envoyer à l’amiral de Marsal; il est trop tard aujourd’hui, mais un domestique ira demain.

Et le général désigna du doigt une lettre que Maxime, en venant lui dire adieu, avait laissée sur une étagère.

— Inutile de déranger personne, dit Horace en saisissant le message, j’irai porter moi-même les regrets et les excuses de Maxime à l’amiral de Marsal, ce sera plus poli.

— Comment! toi! tu iras?

— Pourquoi pas?

— Je comprends: un moyen d’introduction dans la maison; M. Horace veut jouer le rôle de mercure galant; eh bien! tu sauras, mon garçon, que je ne m’y prête pas... d’autant que ce n’est pas moi, ce serait ce pauvre Maxime lui-même qui t’aurait ainsi introduit sous le toit de celle qu’il a distinguée, qu’il aime peut-être. Je te défends de prendre cette lettre, entends-tu?

— Allons donc, mon oncle, et quelle diabolique idée avez-vous là ? comment, pour une simple visite de politesse?

— A d’autres, mon gaillard! Tu ne me persuaderas pas que ce soit uniquement par politesse que tu te déranges pour aller porter une lettre de ton cousin qu’un domestique remettrait tout aussi bien à son adresse.

— Eh bien! reprit Horace négligemment, j’ai d’abord le bonheur de passer un mois avec vous en Provence, et votre compagnie m’est bien douce...

— Surtout lorsque l’air de Paris t’est si malsain.

— Maintenant où serait le mal à ce que je variasse les plaisirs de mon séjour dans le pays du roi Réné, en me ménageant les moyens d’être reçu quelquefois dans une honnête famille?

— Est-ce parce qu’elle est honnête que tu t’empresses de t’y présenter? ou parce que. grâce à toi, il se pourrait bien qu’elle cessât de l’être complètement?

— De la morale, mon oncle?

— De la clairvoyance tout simplement. Je te connais. Avec les femmes comme en affaires, tu n’es pas homme à te contenter de profits imaginaires il te faut, même avec le beau sexe, ta prime assurée et des dividendes fin courant; or, je me démande quel dividende tu espères chez l’amiral; ce n’est plus de sa femme que tu en attends?

— Oh! non, reprit Horace en souriant; elle a quarante ans ou peu s’en faut: je suis trop vieux... pour elle.

— Il s’agit donc de l’une de ses filles? Mais, à coup sûr, tu ne veux pas épouser. D’abord ça serait honnête et ça te changerait trop; et puis l’amiral n’est pas assez riche; la dot de cette jeune fille doit équivaloir tout au plus à un médiocre coup de bourse. Enfin il est plus que probable qu’on ne voudrait pas de toi, car tu n’as pas d’état, pas de fortune, et en revanche tu es un fort mauvais sujet.

— C’est que je ne suis pas encore d’âge à me faire ermite.

— Impertinent! Voyons, entre nous, conviens-en, tu as des projets de séduction. Je te croyais pourtant assez d’esprit pour savoir d’avance que tu ne réussiras pas

— Et pourquoi, après tout, ne réussirais-je pas, mon oncle? répliqua Horace, visiblement piqué et laissant entrevoir, à travers les blessures de sa vanité, le cynisme de ses espérances.

— Alors, dit le général, si tu réussissais, ce serait encore bien pis. En vérité je ne comprends plus rien à l’époque où nous vivons. Autrefois, nous ne nous piquions pas certes de morale,mais nous poursuivions en amour nos habitudes de campagne. Nous ne faisions que de la guerre loyale: nous nous attaquions aux femmes mariées, aux veuves même; celles-là connaissent du moins le danger et peuvent se défendre mais les jeunes filles nous étaient sacrées par leur faiblesse, par leur ignorance.

— Mon Dieu! mon oncle, reprit Horace, si vous condamnez notre époque, c’est qu’elle ne vous est pas connue, et si c’est uniquement leur faiblesse et leur ignorance qui doivent établir actuellement un rempart infranchissable entre les jeunes filles et nos prétentions, leurs droits à l’immunité ont singulièrement diminué, croyez-moi. Tout progresse si rapidement à notre époque!... la vapeur a été réellement appliquée à l’éducation de nos jeunes filles. Elles commencent à se peindre et à se plâtrer déjà comme des lionnes équivoques; et puis l’école du volant, les initiations de la valse et de la polka-mazurka forment singulièrement les intelligences: toutes les Françaises sont égales devant la poudre de riz et la crinoline.

— Jolie idée que tu me donnes de notre époque! répliqua le général. Tu me permettras de croire cependant que ta moralité a déteint sur ton lorgnon; mais enfin, je dois l’avouer, nous sommes distancés. Et nous qui avions l’innocence de nous croire pervertis! Je vois décidément que nous étions une époque de rosières, une collection de prix Monthyon. Mais si tu dis vrai, alors raison de plus pour t’arrêter dans ton entreprise; quand la place est si forte, l’attaque devient une folie.

— Tout au moins, mon oncle, il n’y a plus là de déloyauté ni de lâcheté.

— D’autant que l’amiral n’est pas commode et que la maison est bien gardée.

— Comment le savez-vous donc, mon oncle?

— Entre voisins on connaît ses habitudes, reprit le général en grommelant.

— Eh bien! mon oncle, repartit Horace avec fatuité, si j’avais pu hésiter, cette sorte de défi que vous me portez aurait suffi pour me décider. Oui, le sort en est jeté ; nouveau Jason, je m’en vais à la conquête, ou tout au moins à la découverte de la toison d’or dans les parages de l’amiral. Seulement, d’après ce que je crois comprendre de vos sentimens à mon égard, il faut que je me passe du moyen d’introduction que j’espérais; mais, à défaut de celui-là...

— Tu ne serais, à coup sûr, pas embarrassé d’en trouver un autre, répondit le général; mais, décidément et après réflexion, je tiens à ce que tu remettes toi-même la lettre de ton cousin.

— Comment! vous permettez, mon oncle?

— Oui, je ne demande pas mieux que de te voir introduit, grâce à moi, chez M. de Marsal; tu as besoin d’une bonne leçon, et c’est le devoir d’un oncle de la procurer à son neveu. Ah! mon gaillard! tu veux jouer au Jason, au César! Tes succès auprès des drôlesses t’ont porté à la tête; je veux te dégriser, et pour cela je te livre le billet de ton cousin; et ne t’en prends désormais qu’a toi si ce n’est plus seulement à la bourse que tu te casses le nez.

Horace prit avec sa fatuité habituelle la lettre de Maxime. Quant au général, sa figure venait de se contracter péniblement sous l’influence d’une recrudescence de ses douleurs rhumatismales qui le rappelaient au lit. Comme si ce pénible ressouvenir de lauriers desséchés lui présageait encore mieux la malencontreuse issue de l’outrecuidante entreprise de son neveu, il secoua la tête en le regardant d’un air de pitié mécontente, et prit le bras de Rose, qui avait paru à la porte comme une sorte d’horloge vivante toujours prête à sonner l’heure de la retraite.

Le lendemain matin même, ainsi qu’il l’avait annoncé, Horace Guidai, porteur du billet de son cousin Maxime, se présentait en personne chez l’amiral de Marsal.

La famille de Marsal

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