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25VI
DISGRACE DE RIVERA
ОглавлениеJ’ai dit quel était le plan du général Paz lors de notre sortie nocturne de Montevideo.
Ce plan, s’il réussissait, changeait la face des choses et faisait, selon toute probabilité, lever le siége à Oribe; mais, ce plan une fois tombé dans l’eau, nous revînmes à notre garnison de tous les jours, c’est-à-dire aux postes avancés qui, de part et d’autre, allaient se fortifiant de plus en plus, jusqu’à ce que nous eussions, de notre côté, une ligne de batteries à peu près correspondante aux batteries ennemies.
Sur ces entrefaites, le général Paz nous quitta et partit pour diriger l’insurrection de la province de Corrientes, et aider ainsi la cause nationale en divisant les forces du général Urquiza, qui se trouvait en face du général Rivera.
Mais les choses furent loin de tourner comme on l’espérait, et cela par l’impatience du général Rivera, lequel, sans s’inquiéter des ordres du gouvernement qui lui défendaient d’accepter une bataille décisive, accepta cette bataille et la perdit complétement dans les champs d’India-Muerte.
Notre armée de campagne fut battue; deux mille prisonniers, davantage peut-être, furent étranglés, pendus, décapités, contre toutes les lois de l’humanité et de la guerre.
Beaucoup restèrent sur le champ de bataille, d’autres furent dispersés dans les steppes immenses. Le général Rivera, avec quelques-uns des siens, gagna la frontière du Brésil, et fut, comme cause de cet immense désastre, exilé par le gouvernement.
La bataille d’India-Muerte perdue, Montevideo resta livré à ses propres ressources. Le colonel Correa prit le commandement de la garnison. Cependant le soin supérieur de la défense demeura concentré entre Pacheco et moi. Quelques-uns de nos chefs, après cette déplorable bataille, parvinrent à réunir divers détachements de soldats dispersés et firent avec eux la guerre de partisans dans les lieux les plus propres à cette guerre.
Le général Llanos réunit deux cents hommes, à peu près, et, préférant se réunir aux défenseurs de Montevideo, se rua sur les ennemis qui observaient le Cerro, fit une trouée, parvint jusqu’au fort et nous rejoignit.
Pacheco, en recevant ce petit renfort, eut l’idée d’un coup de main.
Le 27 mai 1845, nous embarquâmes à Montevideo, pendant la nuit, la légion italienne et quelques autres forces prises au Cerro, et, avec ce petit corps, nous allâmes nous embusquer dans une vieille poudrière abandonnée.
Dans la matinée du 28, la cavalerie du général Llanos sortait, protégée par l’infanterie, et attirait l’ennemi du côté de la poudrière; lorsque celui-ci ne fut plus qu’à une petite distance, les nôtres sortirent, la légion italienne en tête, et, chargeant à la baïonnette, couvrirent le terrain de cadavres.
Alors toute la division en observation au Cerro se porta sur la ligne, et il s’engagea un combat meurtrier qui finit par se décider à notre avantage.
L’ennemi fut mis en pleine déroute, poursuivi la baïonnette dans les reins, et il fallut un de ces ouragans mêlés de tonnerre, de grêle et de pluie, comme seuls peuvent s’en faire une idée ceux qui les ont vus, pour mettre fin au combat.
Les pertes de l’ennemi furent considérables.
Il eut grand nombre de blessés et de morts, et, parmi ces derniers, le général Nunz, un des meilleurs et des plus braves généraux ennemis, qui fut tué par la balle d’un de nos légionnaires.
En outre, on recueillit un copieux butin en bestiaux; de sorte que nous rentrâmes à Montevideo avec la joie et l’espérance dans le cœur.
La réussite de ce coup de main fit que j’en proposai un autre au gouvernement: il s’agissait d’embarquer sur la flottille la légion italienne, de remonter le fleuve, en cachant mes hommes autant qu’il serait possible, jusqu’à Buenos-Ayres, et, arrivé là, de débarquer de nuit, de me diriger sur la maison de Rosas, de l’enlever et de le ramener à Montevideo.
Cette expédition, réussissant, terminait la guerre d’un seul coup; mais le gouvernement refusa.
Quoi qu’il en soit, dans les intervalles de repos que prenait notre armée de terre, je remontais sur notre petite flottille, et, malgré le blocus, dont je trompais la vigilance, je prenais le large, et j’allais jeter le grappin sur quelque bâtiment de commerce, qu’à la barbe de l’amiral Brown, je ramenais prisonnier dans le port.
D’autres fois, par des manœuvres bien combinées, attirant à moi toutes les forces du blocus, j’ouvrais le port à des barques marchandes qui apportaient toute sorte de provisions à la ville assiégée.
Souvent encore, m’embarquant la nuit avec une centaine de mes légionnaires les plus résolus, j’essayais de donner l’assaut aux bâtiments ennemis que je ne pouvais attaquer de jour, à cause de leur grosse artillerie; mais c’était presque toujours inutilement: l’ennemi, se doutant de mes surprises, ne restait point la nuit sur ses ancres et se transportait dans quelque endroit éloigné de celui où je croyais le trouver.
Enfin un jour, voulant en avoir le cœur net, je sortis avec trois petits bâtiments les moins mauvais de l’escadrille, et, en plein jour, je résolus d’aller attaquer l’ennemi sur son arrimage dans la rade de Montevideo.
L’escadre de Rosas se composait de trois navires: le 25 Mars, le Général Echague et le Maypu.
Ces trois navires portaient quarante-quatre pièces de canon.
J’en avais huit de petit calibre seulement; mais je connaissais mes hommes: si nous arrivions à aborder l’ennemi, il était perdu.
Je m’avançai contre l’escadre en ligne de bataille.
Nous étions déjà presque à portée de canon; un mille encore, et le combat était inévitable. Toutes les terrasses de Montevideo étaient couvertes de curieux; les mâts des navires de toutes les nations stationnant dans le port étaient, pour ainsi dire, pavoisés d’hommes.
Tous ces spectateurs attendaient avec anxiété l’issue d’un combat que chaque instant rendait de plus en plus inévitable.
Mais le commandant de la flotte argentine ne voulut pas courir les risques de cette lutte; il prit la mer, et nous rentrâmes dans le port, mal dédommagés par les applaudissements universels qui nous saluèrent.