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LA LÉGION ITALIENNE REFUSE LES TERRES QUILUISONTOFFERTES
ОглавлениеLe 30 janvier 1845, le général Rivera, émerveillé de la conduite qu’avait tenue la légion italienne au combat du Cerro et au passage de la Boyada, m’écrivit la lettre suivante:
«Monsieur,
»Lorsque, l’an dernier, je fis don à l’honorable légion française, don qui fut accepté, comme vous l’auront appris les journaux, d’une certaine quantité de terres, j’espérais que le hasard conduirait à mon quartier général quelque officier de la légion italienne, qui m’eût ainsi donné l’occasion de satisfaire à un ardent désir de mon cœur, en montrant à la légion italienne l’estime que je professe pour les importants services rendus par vos compagnons à la République, dans la guerre que nous soutenons contre la force armée d’invasion de Buenos-Ayres.
»Pour ne pas différer plus longtemps ce que je regarde comme l’accomplissement d’un devoir sacré, je renferme dans la présente, et cela avec le plus grand plaisir, un acte de la donation que je fais à l’illustre et valeureuse légion italienne, comme un gage sincère de ma reconnaissance personnelle pour les éminents services rendus par ce corps à mon pays.
»Le don n’est, certes, égal ni aux services ni à mon désir; et cependant vous ne refuserez pas, je l’espère, de l’offrir en mon nom à vos camarades et de les informer de mon bon vouloir et de ma reconnaissance pour eux, de même que pour vous, monsieur, qui les commandez si dignement, et qui déjà, antérieurement à cette période, avez conquis, en aidant notre république, un droit si incontestable à notre reconnaissance.
»Je saisis cette occasion, colonel, pour vous prier d’agréer l’assurance de ma parfaite considération et de ma profonde estime.
»Fructuoso Rivera.»
Il y a cela de remarquable que cet excellent patriote prenait sur sa propre fortune pour nous faire ce don. Les terres qu’il nous offrait n’étaient point des terres de la République, c’était son propre patrimoine.
Aussi lui répondis-je, le 23 mai suivant, époque où sa lettre me fut communiquée:
«Eccellentissimo signore[1]!
»Le colonel Parrodi, en présence de tous les officiers de la légion italienne, m’a remis, selon votre désir, la lettre que vous avez eu la bonté de m’écrire en date du 30 janvier, et, avec cette lettre, un acte par lequel vous faites don spontané à la légion italienne d’une portion de terres prises dans vos propriétés et s’étendant entre l’Arroyo de las Avenas et l’Arroyo-Grande au nord du rio Negro; et, en outre, d’un troupeau de bestiaux, ainsi que des haciendas existant sur le terrain.
[1] Nous mettons en italien ces deux mots, difficiles à traduire en français, langue dans laquelle les mots excellent seigneur n’ont pas une signification équivalente.
»Vous dites que le don est fait par vous comme rémunération de nos services à la République.
»Les officiers italiens, après avoir pris connaissance de votre lettre et de ce qu’elle renferme, ont à l’unanimité déclaré, au nom de la légion, qu’ils n’avaient point entendu, en demandant des armes et en offrant leurs services à la République, recevoir autre chose que l’honneur de partager les périls que courent les enfants du pays qui leur a donné l’hospitalité. Ils obéissaient, en agissant ainsi, à la voix de leur conscience. Ayant satisfait à ce qu’ils regardent simplement comme l’accomplissement d’un devoir, ils continueront, tant que les nécessités du siége l’exigeront, à partager les peines et les périls des nobles Montévidéens; mais ils ne désirent pas d’autre prix et d’autre récompense de leurs travaux.
»J’ai donc l’honneur de vous communiquer, Excellence, la réponse de la légion, avec laquelle mes sentiments et mes principes concordent complétement.
»En conséquence, je vous renvoie l’original de la donation.
»Puisse Dieu vous donner de longs jours!
»Giuseppe Garibaldi.»
Les Italiens continuèrent de servir sans rétribution aucune; leur seule façon d’avoir un peu d’argent, lorsqu’ils avaient absolument besoin de renouveler telle ou telle pièce de leur habillement, était de faire le service de quelque négociant français ou basque, qui alors payait à son remplaçant à peu près deux francs de France.
Il va sans dire que, s’il y avait combat, le remplaçant combattait et se faisait tuer pour le titulaire.