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7II
ON FORME LES LÉGIONS
ОглавлениеAprès la victoire d’Arroyo-Grande, Oribe marcha sur Montevideo, déclarant qu’il ne ferait grâce à personne, pas même aux étrangers.
En attendant, tout ce qu’il rencontrait sur sa route avait la tête tranchée ou était fusillé.
Alors, comme il y avait à Montevideo un grand nombre d’Italiens qui y étaient venus, les uns pour affaires de commerce, les autres parce qu’ils étaient proscrits, j’adressai une proclamation à mes compatriotes, en les invitant à prendre les armes, à former une légion et à combattre jusqu’à la mort pour ceux qui leur avaient donné l’hospitalité.
Rivera, pendant ce temps, réunissait les restes de son armée.
De leur côté, les Français composèrent une légion à laquelle se joignirent les Basques français, tandis que les Espagnols en formaient une à laquelle se réunissaient les Basques espagnols. Mais, trois ou quatre mois après sa formation, la légion espagnole, composée en grande partie de carlistes, passa à l’ennemi et devint le nerf de l’attaque, comme la légion italienne fut le nerf de la défense.
La légion italienne n’avait pas de paye, elle n’avait que des rations de pain, de vin, de sel, d’huile, etc.; cependant, après la guerre, on devait donner aux survivants, et aux veuves et aux orphelins, des terres et des bestiaux.
La légion se composa d’abord de quatre à cinq cents hommes; ensuite elle monta jusqu’à huit cents, attendu qu’au fur et à mesure que les bâtiments européens amenaient des Italiens proscrits ou venus pour chercher fortune, et dont l’espoir était déçu par le mauvais état des affaires, on les enrôlait.
La légion fut, dans le principe, divisée en trois bataillons, l’un commandé par Danuzio, l’autre par Ramella, et le troisième par Mancini.
Oribe savait tous ces préparatifs de défense; seulement, il n’y croyait pas. Il marcha sur Montevideo, comme je l’ai dit, mais campa au Cerrito. Peut-être, dans l’état de désordre où était la ville, eût-il pu y entrer du même coup; mais il croyait avoir des partisans nombreux, et il attendit une démonstration de leur part. La démonstration fut vainement attendue, et Oribe donna le temps à Montevideo d’organiser la défense.
Il resta donc à une heure de marche, à peu près, de Montevideo, avec douze ou quatorze mille hommes.
Montevideo pouvait, au bout d’un certain temps, lui opposer neuf mille hommes, dont cinq mille noirs, auxquels on avait rendu la liberté, et qui firent d’excellents soldats.
Lorsque Oribe eut perdu l’espérance d’entrer amicalement à Montevideo, il se fortifia au Cerrito, et les escarmouches commencèrent.
De leur côté, les Montévidéens se fortifièrent de leur mieux; notre ingénieur était le colonel Echevarria.
L’organisation générale des troupes appartenait au général Paz.
Joaquin Souarez était président, Pacheco y Obes ministre de la guerre.
Bientôt Paz quitta Montevideo pour faire soulever Corrientes et Entre-Rios.
La première fois que l’on sortit des lignes, je ne sais si ce fut la faute des chefs ou des soldats, mais la légion tout entière fut prise d’une panique, et rentra sans avoir tiré un coup de fusil.
J’obligeai l’un des trois commandants à donner sa démission. Je fis une vigoureuse allocution aux Italiens, et j’écrivis pour la seconde fois à Anzani, qui était dans une maison de commerce de l’Uruguay, de venir me rejoindre.
Cet excellent ami arriva vers le mois de juillet.
Avec lui, tout reprit force et vie; la légion était horriblement administrée: il y donna tous ses soins.
Pendant ce temps, on avait, tant bien que mal, réorganisé une petite flottille; on m’en confia le commandement.
Mancini reprit ma place à la tête de la légion.
La flottille communiquait par le fleuve avec le Cerro, forteresse restée au pouvoir des Montévidéens, quoiqu’elle fût à trois ou quatre lieues plus loin sur la rive de la Plata que le Cerrito, tombé au pouvoir d’Oribe.
Le Cerro nous était très-nécessaire. C’était à la fois un point d’appui pour nous ravitailler, pour envoyer des partis dans la plaine et pour recueillir les fugitifs.
Avant l’organisation de la défense, l’escadre de l’amiral Brown avait fait une tentative sur le Cerro et sur l’île de los Ratos. Pendant trois jours, je défendis l’île et la forteresse. L’île avait des canons de dix-huit et de trente-six, et je forçai l’amiral Brown à se retirer avec de grandes pertes.
J’ai dit qu’à l’arrivée d’Anzani les concussions avaient cessé; son honorabilité planait sur tous les marchés; ce n’était point l’affaire des concussionnaires. Alors se forma un complot qui avait pour but de nous assassiner tous deux et de vendre à l’ennemi la légion italienne.
Anzani en fut averti.
Les conjurés virent qu’il n’y avait rien à faire de ce côté-là, et, un matin que la légion était aux avant-postes, vingt officiers et cinquante soldats passèrent à l’ennemi.
Mais les soldats, rendons-leur cette justice, revinrent peu à peu et un à un.
La légion, purgée des traîtres, ne s’en porta que mieux; Anzani la réunit.
—Si j’avais voulu faire un choix entre les bons et les mauvais, dit-il, je n’eusse pas si bien réussi que les mauvais viennent de le faire.
De mon côté, je haranguai les troupes; le général Pacheco lui-même fit un discours.
Quelques jours après la première sortie où la légion italienne avait donné d’elle un si triste programme, je tins à la réhabiliter et je proposai une expédition qui fut acceptée. C’était d’aller attaquer les troupes d’Oribe, qui étaient devant le Cerro. J’embarquai la légion italienne sur notre petite escadre, et nous prîmes terre au Cerro. Là, nous nous mîmes à la tête de la légion, Pacheco et moi; l’ennemi fut attaqué à deux heures de l’après-midi, et mis en fuite à cinq.
La légion, composée de quatre cents hommes, chargea un bataillon de six cents. Pacheco combattait à cheval; moi, je le faisais à pied ou à cheval, selon le besoin. Nous tuâmes cent cinquante hommes à l’ennemi, et lui fîmes deux cents prisonniers. Nous eûmes cinq ou six tués, une dizaine de blessés, entre autres un officier nommé Ferrucci, auquel il fallut couper la jambe.
Nous revînmes en triomphe à Montevideo; le lendemain, Pacheco rassembla la légion, la remercia, la loua et donna un fusil d’honneur au sergent Loreto.
L’affaire avait eu lieu le 28 mars 1843.
Maintenant, j’étais tranquille; la légion avait reçu le baptême du feu.
Au mois de mai, on bénit le drapeau.
Il était d’étoffe noire, avec le Vésuve peint dessus. C’était l’emblème de l’Italie et des révolutions qu’elle renfermait dans son sein. Il fut donné en garde à Sacchi, jeune homme de vingt ans, qui s’était admirablement conduit dans le combat du Cerro.
C’est le même qui combattit avec moi plus tard à Rome, et qui est aujourd’hui colonel.